Un récit à l’initiale de l’horreur.
Les livres consacrés à la guerre 40/45, au génocide des Juifs, des homosexuels, des communistes, des handicapés, il y en a eu énormément, il y en aura encore, c’est évident, tant il est important de ne pas « oublier » pour ne pas recommencer !
Mais avant que l’horreur s’installe comme une réalité tangible pour tout un chacun, il a fallu qu’elle s’organise, qu’elle s’implante, quelle prenne le pouvoir, politiquement, mais humainement aussi, humainement peut-être même d’abord et avant tout !
Nous sommes en 1933, en Allemagne, dans un immeuble à appartements. Y vivent des personnages qui se croisent, se font parfois intimes, aussi. Il y a le professeur Stieg, la belle Rosa et son mari, les Feldman et les Albo, des Juifs. Il y a aussi, au rez-de chaussée, un bistrot tenu par Emma et Adolf… Un bistrot qui, au début de cet album, change de nom en hommage à celui qui est devenu chancelier d’Allemagne Adolf Hitler.
Le professeur Stieg est ce qu’on appelait au 18ème siècle un « honnête homme », un citoyen peu intéressé à la politique. Un être humain, simplement, qui assiste, sans vraiment en être touché, à une entreprise de déshumanisation complète.
L’Histoire, la grande, celle qui voit s’enflammer le Reichstag, alibi parfait pour éliminer toute opposition politique, cette Histoire qui voit se multiplier, dans les rues, les exactions dues aux « Hitlerjungend », cette Histoire qui voit le premier autodafé, dans le cadre d’une école, de livres qui portent atteinte au Reich, cette Histoire-là, bien évidemment, est sans cesse présente. Mais elle laisse la place, surtout, à des quotidiens qui se mêlent, s’opposent, se posent des questions ou, simplement, se taisent et suivent le mouvement d’un troupeau de plus en plus imposant !
Le dessin de Ramon Marcos est d’un presque-réalisme qui sied à merveille au récit qu’il accompagne. Un dessin qui prend encore plus de puissance d’évocation grâce à la couleur de Dimitri Fogolin, qui a travaillé tout l’album avec une palette proche des bruns, comme cette peste nazie que l’on appelée brune…
Le scénario, lui, est probablement, à mon humble avis, un des meilleurs de Rodolphe. Parfaitement fouillé au niveau historique, ce scénario nous trace le portrait d’une époque de notre passé qui semble, par bien des aspects, se reproduire aujourd’hui. Plus qu’une immersion dans le nazisme des années trente, Rodolphe nous montre comment un pouvoir absolu, dictatorial, inhumain, peut s’imposer, relativement vite, dans tout un pays, voire dans plusieurs pays même !
On commence par créer un « decorum », une ambiance qui s’inspire des légendes du passé, on continue en s’attaquant aux commerces (ceux des boucs émissaires de la crise), donc à l’économie, puis à la jeunesse, et, enfin, à la culture. Et les gens comme le professeur héros de cet album, même s’ils se posent des questions, même i l’envie leur vient de résister, se voient obligés de s’affilier au parti nazi. De faire, simplement, comme tout le monde !
Oui, c’est bien de l’installation d’un régime fort, soutenu par un racisme d’état, que nous montre ce livre. Et Rodolphe le fait sans manichéisme, en montrant, en même temps que les lâchetés et cruautés majoritaires, des êtres qui ne sont que ballotés, même s’ils se font actifs dans la révolte, dans l’opposition en tout cas.
Un exemple : un prêtre qui défend l’idéal des scouts dont il s’occupe contre l’idéologie des Hitlerjungend.
Cet album est un livre particulièrement réussi, avec aussi de l’amour, du désir, du sentiment… De la pédophilie, également… C’est une nouvelle civilisation qui s’offre à nous, dit un des protagonistes ! C’est, tout simplement, grâce aux talents du scénariste, du coloriste et du dessinateur, un compte-rendu horrible d’une horreur insidieuse qui s’impose et devient la règle de vie générale dans tout un pays !
Un livre excellent, à découvrir, à aimer !
Jacques Schraûwen
Chez Adolf : 1. 1933 (dessin : Ramon Marcos – scénario : Rodophe – couleurs : Dimitri Fogolin – éditeur : Delcourt – 56 pages – date de parution : mai 2019)