Le dernier scénario de Raoul Cauvin ?
Cela fait 47 printemps que Blutch et Chesterfield n’arrêtent pas de se disputer ! Amour et haine sont leurs quotidiens dans une Amérique en proie à une guerre civile innommable… Et les voici de retour dans une 63ème aventure à la fois historique et souriante.
Comme toujours, Raoul Cauvin, le scénariste, construit son récit à partir de la réalité historique, de faits parfaitement avérés de cette époque terrible que fut, aux Etat-Unis (si peu unis, encore…), la guerre de Sécession.
Comme toujours, aussi, Raoul Cauvin, au-delà de l’instant historique choisi, partage avec ses lecteurs des réflexions sur des réalités trop souvent oubliées, voire occultées, de cette lutte fratricide qu’on a toujours qualifiée de combat pour la liberté des « Noirs ».
Comme tout conflit, les bonnes intentions, même si elles sont vraiment ressenties, cachent d’autres nécessités, économiques le plus souvent. Et l’alibi de la liberté des Noirs n’a pas empêché les Nordistes blancs de ne pas supporter, à leurs côtés, dans un même régiment, des Nordistes noirs… Ce qui fait qu’il y eut des régiments uniquement composés de « Nègres »… Et dirigés, bien évidemment, par des Blancs ! C’est cette réalité que nous montre, aussi, cet album.
C’est d’ailleurs la vraie marque de fabrique de cette série : raconter des faits historiques avérés et, en même temps, mais toujours avec le sourire, parler de l’âme humaine, avec son côté mouton bêlant, son côté révolté aussi, avec également toutes les injustices d’une époque qui n’avait rien, finalement, de très reluisant !
Les Tuniques Bleues, c’est une série populaire, humoristique, historique, illustrant à sa manière cette phrase de Prévert : « quelle connerie la guerre… ».
C’est une série dont le succès indéniable est du à une belle osmose entre scénario et dessin.
Pour Willy Lambil, dessiner les Tuniques Bleues correspond à un habillage de scénario. Je parlerais plutôt, quant à moi, de mise en scène, avec plongées, contre-plongées, et importance, toujours, des décors, et, singulièrement, des paysages… Lambil aime varier les plans, les perspectives, donnant ainsi vie autant à un environnement qu’aux personnages qui s’y baladent. C’est aussi ce talent qui fait de Willy Lambil un dessinateur populaire.
Les Tuniques Bleues ont leurs fans, et ils sont nombreux ! Fans des histoires, fans des deux personnages antinomiques qui vivent une amitié dans laquelle chacun connaît les erreurs et les défauts de l’autre. Fans d’histoires qui réussissent avec une espèce de simplicité de façade à parler d’humanité, et donc d’humanisme, dans un environnement fait d’horreur et de mort.
Fans d’un dessin qui permet au lecteur de découvrir des ouvertures dans chaque planche : ici un oiseau, là un cerf, un arbre bizarre, un bâtiment perdu dans la nature…
Fans d’un graphisme qui, parfois répétitif c’est vrai, n’en demeure pas moins, encore et encore, d’une évidente qualité… Chaque dessinateur a ses tics, et Willy Lambil a les siens, c’est certain. Mais il adore ses personnages, d’abord et avant tout, même le méchant Cancrelat qui, dans cet album-ci, fait deux petites apparitions, et constate que les vrais méchants, finalement, se trouvent du côté de ceux qu’on appelle les bons !
Mais, bien entendu, tous les fans des Tuniques Bleues se posent aujourd’hui la question de sa survie après le départ de Raoul Cauvin.
Une question que j’ai posée à Willy Lambil, qui m’a répondu très simplement qu’il ne voulait pas en parler.
On sent chez lui une certaine acrimonie, peut-être, ou, en tout cas, un petit désarroi… Il faut dire que leur collaboration dure depuis bien longtemps ! Il faut dire aussi que le monde de l’édition est parfois assez difficile à comprendre. Ainsi, il semble que les personnages de Blutch et Chesterfield « appartiennent » pour moitié à l’éditeur Dupuis… Ce qui fait qu’il est fort possible qu’un jour ou l’autre, un nouveau dessinateur prenne son relais.
En attendant ce jour, continuons à apprécier, sans arrière-pensée, ces excellentes Tuniques Bleues, et plongeons-nous dans ce 63ème album, avec plaisir, autant de plaisir, oui, que les auteurs ont eu à le réaliser. Vive la bd intelligemment populaire !
Jacques Schraûwen
Les Tuniques Bleues : 63. La Bataille Du Cratère (dessin : Willy Lambil – scénario : Raoul Cauvin – couleurs : studio Leonardo – éditeur : Dupuis – 46 pages – date de parution : octobre 2019)