Pour commencer l’année 2020 avec le sourire !
Vingt-deuxième album, déjà, de ce personnage qui, né en petite Belgique, se retrouve aujourd’hui aux quatre horizons de notre terre ! Vingt-deuxième album et, en même temps, préparation d’une exposition itinérante qui va fleurir dans les mois à venir !
Philippe Geluck est devenu, au fil des années, un des représentants d’un humour qui déborde, et largement, les frontières de la petite nation qui est sienne ! Grâce au Chat, bien entendu, mais grâce aussi à d’autres livres, à sa présence dans les médias, à son sens aigu, surtout, de la dérision. Il est de bon ton, aujourd’hui, à Paris et dans l’hexagone géographique qui l’entoure, de voir dans la Belgique la patrie de l’autodérision, née d’un surréalisme qui, paraît-il, est l’apanage de cette nation aux trois langages, aux trois cultures. Cette intelligentsia française « nombrilique » et condescendante, il faut bien le dire, oublie que la dérision appartient, sous des formes différentes, à toutes les cultures, au travers de l’humour comme de l’observation. C’est oublier que le surréalisme n’a pas attendu Magritte pour exister : il suffit de regarder les tableaux de Bosch, de Teniers, de lire Carroll ou Rimbaud pour en être convaincu !
Tout cela pour vous dire, simplement, que l’humour, le vrai, celui qui ne caresse pas ceux qui le « subissent » dans le sens du poil, est foncièrement surréaliste. L’humour est observateur du monde et cherche, sans cesse, à dépasser les seules apparences pour créer une espèce de miroir déformant de ce que nous vivons, de ce que nous aimons, de ce qui nous est imposé, des libertés qu’il nous reste à conquérir.
Et c’est pour cet humour-là, par cet humour-là que le Chat de Geluck plaît et plaira encore. Il observe, il nous observe, et, ce faisant, il intervient quelque peu dans nos propres possibilités de dérision, et, donc, de réflexion !
Mais ce qui fait aussi le succès et la force du chat, c’est que son créateur, en lui donnant vie d’album en album, se rend coupable de bien des délits contre la bienséance ! Délit de mauvais goût, parfois, délit d’humour potache, de temps à autre, délit de mauvais esprit, très souvent, délit de politiquement incorrect pratiquement toujours. Sous des dehors à la « Maître Capello », avec un langage châtié toujours de bon aloi, le Chat nous livre sans même en sourire ses réflexions sur la religion, sur toutes les religions, dont les vrais martyrs sont les Athées, ainsi qu’il le dit dans cet album… Les jeux de mots se multiplient pour épingler ici Hitler, là le monde politique, ailleurs le mouvement metoo, et un peu partout les médias.
D’aucuns disent, en analystes éclairés, que le Chat est un philosophe, d’abord et avant tout. Et il est vrai que Philippe Geluck aime jouer de cette « réputation »… Il est tout aussi exact, d’ailleurs, de dire que pas mal de ceux qui se disent aujourd’hui philosophes (BHL, entre autres, pour ne surtout pas le citer…) n’arrivent pas à la rondouillarde cheville du Chat !
Cela dit, si philosophie il y a dans les œuvres de Philppe Geluck, c’est une philosophie qui ne se prend jamais au sérieux, et que, donc, on peut, nous, lecteurs, prendre au sérieux !
Au détour d’une page de cette rumba féline, il y a une réflexion qui, d’ailleurs, se veut philosophique, dans la mouvance Allais et Dac : « Dieu songe sérieusement à devenir athée ». Ailleurs, il y a cette autre réflexion que Brassens et Audiard auraient adorée : « on peut être optimiste et con ».
Geluck a toujours aimé les aphorismes, les petites phrases assassines et définitives. Mais dans ce livre-ci, on le sent un peu plus amer, parfois… De quoi lui dire, et lui faire dire, avec le plus grand sérieux, que cette Rumba du Chat est pour lui l’album de la maturité !
Lorsqu’on parle de Philippe Geluck, on oublie souvent ce que fut son parcours. Il a été peintre, il a été acteur, il a été animateur en télévision. Il aime le dessin, les formes, la couleur, les mots, la folie et la liberté, la tendresse et la poésie. On peut vraiment dire de lui qu’il est « multifonctionnel », et qu’il n’y a pas que son personnage fétiche du Chat qui anime ses quotidiens ! Un Chat, malgré tout, qui reste quand même en pole-position dans la plupart de ses démarches artistiques ! C’est lui, cette boule de chairs et de poils refusant tout expressionnisme graphique, c’est lui qui va être l’objet d’une exposition itinérante. Une vingtaine de sculptures en bronze vont ainsi prendre place, en avril prochain sans doute, sur les Champs Elysées à Paris, avant de se balader, de ville en ville, jusqu’à Bruxelles, plusieurs mois plus tard, à l’occasion de ce qui devrait être l’ouverture du Musée du Chat… Un musée qui rendra honneur au chat, à tous les chats, dessinés ou pas, et donc un musée qui ne sera pas uniquement créé à la gloire du seul Philippe Geluck…
Le Chat, de par sa présence pendant de nombreuses années dans le journal « Le Soir », a accompagné, de ses délires, de ses regards, de ses observations, bien des existences en Belgique. De par sa présence dans plus de vingt albums, c’est à un public extrêmement large qu’il s’est adressé, qu’il s’adresse toujours.
Et je l’avoue, ce personnage monolithique me plaît, depuis toujours. Un personnage, et je tiens à le dire, qui prend vraiment consistance grâce au travail du coloriste, Serge Dehaes…
Et puis, ce qui me plaît surtout chez lui, c’est que, d’année en année, d’album en album, il parvient à ne jamais me décevoir, à toujours m’étonner !
Jacques Schraûwen
La Rumba Du Chat (auteur : Philippe Geluck – couleurs : Serge Dehaes – éditeur : Casterman – 48 pages – date de parution : septembre 2019)