Cette année, Jean Giono aurait eu 125 ans. Cela fait 50 ans aussi qu’il est mort. L’année 2020 est donc particulièrement bien choisie pour lui rendre hommage ! Même en bande dessinée…
Adapter un roman de Giono, ce n’est pas chose aisée, loin s’en faut ! Comment rendre le ton de l’écriture de cet écrivain essentiel, comment allier dans une adaptation sa manière de raconter une aventure tout en rendant poétique chaque geste et chaque sentiment humain ? Le cinéma s’y est essayé plusieurs fois, sans beaucoup de réussite. Et voici donc que la bande dessinée s’y met aussi ! Le scénariste belge Jean Dufaux est aux commandes, me suis-je laissé dire, de plusieurs albums à venir. Mais le premier à s’être lancé dans cette difficile écriture graphique, c’est Jacques Ferrandez, il y a déjà quelques mois.
Et il a choisi de mettre en images un des romans les plus importants de Jean Giono, « Le chant du monde » !
Le chant du monde, c’est d’abord un fleuve… Un fleuve avec lequel vit Antonio, solitaire et enfoui du cœur et du corps dans la nature.
Le chant du monde, c’est l’inquiétude de Matelot et de sa femme face à la disparition de leur fils.
Le chant du monde, c’est le périple qui va emmener Antonio et Matelot vers les pays du haut pour découvrir une histoire d’amour entre ce fils et la fille de Maudru, maître de ce village.
Avec un personnage de guérisseur bossu, avec des femmes tantôt dominantes, tantôt rêveuses, tantôt soumises sans jamais l’être vraiment, Giono nous raconte alors une histoire d’amour tragique. Il y a l’amour au-delà des obligations sociales, il y a aussi, symboliquement, l’amour aveugle, incarné par une femme aux yeux éteints mais encore plus, de ce fait, ancrée dans la nature… On se trouve en quelque sorte dans une guerre de Troie à hauteur d’homme, à hauteur de quotidien, à hauteur de personnages qui n’ont rien d’héroïque ni d’épique.
Jacques Ferrandez construit son livre avec un total respect pour l’œuvre originelle.
D’abord en se soumettant à la langue de Giono. A ses rythmes littéraires qui ont fait de lui, dans la filiation de Mistral bien plus que dans la lignée de Pagnol, un vrai chantre de la nature. Dans ce livre, ce sont ses mots, ses dialogues, ses accents qui construisent les humanités racontées, décrites.
Et puis, il fallait à un dessinateur le courage et le talent de vouloir transformer en dessins et en couleurs les pays décrits par Giono : le fleuve et ses errances, le haut pays, la forêt, le temps, celui qui passe, celui qui ensoleille les taillis, celui qui mène à la mort, celui qui laisse place aussi à l‘honneur et à l’espoir.
Jacques Ferrandez, né en Algérie, est, comme Giono, amoureux de cette Provence, de ce pays et de ses lieux, de ses paysages. Il a derrière lui une petite cinquantaine d’albums de bd, mais aussi de carnets de voyages, de croquis pris sur le vif. Et c’est cet aspect de son talent, dessin et couleur, prise directe sur le réel, sur la beauté du monde qu’un regard d’artiste seul peut sans doute révéler, c’est ce talent-là qui fait de ce livre une superbe réussite, graphique et littéraire.
Le chant du monde, c’est le bruissement des feuilles mêlé aux chuintements de l’eau, c’est la musique invisible de l’homme ancré à son environnement sauvage, c’est une symphonie littéraire que Ferrandez est parvenu à rendre graphique…
Un album littéraire, poétique, intelligent, lumineux… Un livre, tout simplement, qui est l’hommage d’un grand dessinateur à un grand écrivain…
Jacques Schraûwen
Le Chant Du Monde (auteur : Jacques Ferrandez, d’après Jean Giono – éditeur : Gallimard – 157 pages – parution : septembre 2019)