Glénat : trois livres à découvrir

Trois chroniques pour vous les faire découvrir !

Hippolyte

(dessin : Carole Chaland – scénario : Clotilde Bruneau – Editeur : Glénat/Vents d’Ouest – 128 pages – parution : février 2020)

Nous sommes dans les années 1870, quelque part en Arizona. Dans une région qui depuis quelque temps voit se multiplier attaques de diligence, vols armés, tueries sanglantes. Au début de cet album, un cow-boy se balade dans les rues d’une petite ville, envoie un télégramme dans lequel il dit avoir découvert qui sont les truands, et où les trouver.

On pourrait, dès lors, croire être en présence d’un western tout à fait traditionnel. Et c’est vrai que le cow-boy se fait capturer par ceux qu’il poursuit, comme dans tant et tant de livres consacrés à ce grand ouest qui fait toujours rêver !

Mais voilà… S’il se fait capturer, et emmener à Hippolyte, dans une ville fantôme cachée par les hasards d’une nature sauvage, ce n’est pas par une bande de hors-la-loi hirsutes, aux trognes patibulaires. Dans cette petite cité ne vivent que 27 personnes. 27 femmes. 27 voleuses, 27 tueuses.

A partir de là, on s’éloigne totalement de tous les codes du western. En prenant des femmes comme héroïnes, en les montrant au moins aussi violentes et cruelles que les hommes, en faisant d’elles des amazones prêtes à tout pour rester entre elles, même à oublier, voire renier, leur passé, la scénariste ne fait cependant pas œuvre féministe. Elle construit un récit sans temps mort, dans lequel les sentiments dépassent les clichés pour devenir des moteurs réels à une intrigue, une intrique qui se révèle encore plus horrible que ce que le lecteur en pressentait dans les premières pages.

Reconnaissons que le dessin de Carole Chaland, de temps en temps, est quelque peu malhabile. Par contre, ce qui n’est pas malhabile, c’est la vicacité de son trait, son sens du mouvement, son plaisir à caractériser physiquement chacune de ses personnages, par le visage, par le regard plus que par l’apparence. Ce qui n’est pas malhabile non plus, c’est la façon dont elle utilise la couleur, un peu à la manière des illustrations et des bd des années 70, dans le style, quelque peu, de Forest.

Au total, une bd étonnante, surprenante, avec quelques faiblesses, sans doute, mais qui parvient à passionner le lecteur, avec son thème, avec ses rebondissements, avec son graphisme plein de promesses. Un livre à découvrir, croyez-moi !

J’irai cacher sur vos tombes

(dessin : Macutay, Ortiz, Scietronc – scénario : Jean-David Morvan – couleur : Hiroyuki Ooshima – éditeur : Glénat – 112 pages – parution : mars 2020)

C’est en juin 1959 que Boris Vian est mort, dans une salle de cinéma privée, pendant qu’il assistait à la projection du navet inspiré par son livre « J’irai cracher sur vos tombes ».

Le 10 mars dernier, on fêtait le centenaire de la naissance de cet auteur qui aura marqué son époque dans bien des domaines, celui de la littérature, celui du jazz, celui de la chanson, celui de la critique musicale, celui du théâtre avec, par exemple, l’extraordinaire « Goûter des généraux ».

Et c’est donc à cette occasion qu’un scénariste un peu fou ose se lancer, à son tour, dans l’adaptation d’un des romans les plus sulfureux de ce touche-à-tout de génie qu’était l’auteur de « L’écume des jours » et du « Déserteur ».

Jean-David Morvan, par ailleurs scénariste d’une série exceptionnelle de par son ancrage dans l’Histoire et de par sa portée émotionnelle, « Irena », a évité tous les écueils contre lesquels le cinéma avait prisé ses ambitions. Et ce, tout simplement, en revenant à l’âme-même du livre originel de Vian. Un livre qu’il a écrit sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, un livre qui avait l’air d’un polar américain à la James Hadley Chase, ou à la Carter Brown, mais qui s’en éloignait totalement par les thèmes abordés : le racisme, la sexualité omniprésente, le métissage, la haine, la mort et l’amour sans cesses mêlés de la manière la plus triviale qui soit.

A partir de l’histoire de Lee Anderson, fils blanc d’une métisse, jeune homme voulant venger l’assassinat de son frère noir, Morvan nous emmène dans une vraie tragédie humaine. Puisque c’est à cause de l’amour « mixte » dans une Amérique au racisme institutionnel, c’est par l’amour que Lee va vouloir se venger. Et, ainsi, devenir à son tour le symbole de la mort se mêlant toujours à l’amour.

Le dessin est un dessin de mouvement et d’expression qui colle parfaitement à l’ambiance créée par les mots de Boris Vian. Ne me demandez pas comment ont collaboré les trois dessinateurs de cet album, mais la réussite est au rendez-vous, sans aucun doute possible. Grâce à leur sens de la forme, c’est évident, mais aussi grâce à une utilisation très symbolique de la couleur. Comment ne pas être séduit, en effet, par les scènes qui montrent les étreintes les plus charnelles, des scènes nimbées d’une couleur aux chauds frémissements ?

Avec, et on le sent, on le sait dès les premiers dessins, la mort comme ultime solution, cet album ne trahit en rien Boris Vian, tout en parvenant à être, au-delà du simple hommage, une passionnante bande dessinée !

Gunfighter

(dessin : Michel Rouge – scénario : Christophe Bec – couleurs : Corentin Rouge – éditeur : Glénat – 56 pages – parution : août 2019)

Michel Rouge est un des dessinateurs réalistes les plus doués qui soit. C’est comme assistant de Chéret pour ses « Rahan » qu’il a commencé une carrière riche qui l’a vue, aussi, être l’auteur du « Marshall Blueberry ». Force est de reconnaître, cependant, qu’il n’est pas vraiment reconnu à la hauteur de son talent.

C’est donc un vrai plaisir que de le retrouver dans un genre qui lui plaît, incontestablement, celui du western, un genre dans lequel il excelle. On peut le qualifier de dessinateur classique, dans le bon sens du terme : un équilibre parfait entre les décors et les personnages, une attention soutenue aux ombres et aux lumières, un amour aussi des paysages. Et sa collaboration avec Corentin Rouge pour les couleurs fait de ce livre un enchantement pour les yeux. Rarement western ne fut d’une telle intensité au niveau de la coloration, qui ne se contente pas de créer des séquences, mais qui, de par ses « effets lumineux », réussit à, en une seule case, exprimer l’émotion d’un personnage.

Cela dit, ce livre, pour moi, n’est une réussite que graphiquement ! L’histoire racontée l’a déjà été des tas de fois, en bande dessinée comme au cinéma, et bien mieux ! Le scénario est plus que classique, il est convenu, voire tout simplement stéréotypé. Il y a les grands méchants, les beaux gentils, les femmes fragiles, les barbelés sur la prairie, de la vengeance, un bel héros solitaire ou presque, des sentiments presque caricaturaux à force d’être simplifiés !

Il n’y a, je le pense profondément, strictement rien d’original dans le scénario de Christophe Bec. Ce touche-à-tout qui semble rencontrer souvent le succès (et, ma fois, Bikini Atoll était une vraie réussite…), ne fait ici qu’une œuvre à l’intérêt terriblement limité ! Certes, on peut le lire vite, avec un certain plaisir…. Mais le livre à peine refermé, on n’en retient qu’une suite de clichés…

Mais pour le dessin et la couleur, oui, on peut apprécier ce livre. Les « Rouge » le méritent, eux, assurément !

Jacques Schraûwen