Un polar suisse.
Le roman policier n’a pas de frontières, il n’a pas non plus de codes inébranlables. La preuve avec ce livre à la construction très particulière.
A presque cinquante ans, Nicolas Feuz, l’auteur de ce « Miroir des âmes », a un trajet de vie étonnant. Ce Suisse de presque 50 ans, avocat de formation, juge d’instruction et enfin procureur, a choisi, en parallèle de son métier, de s’exprimer très librement au travers d’un style littéraire bien précis, celui de l’enquête policière.
Cet univers appartient, certes, à ses quotidiens, et cela se sent : de page en page, au travers du vocabulaire, des acronymes, on se rend bien compte que rien n’est totalement inventé, que les dialogues ne souffrent d’aucune recherche littéraire, mais se contentent de reproduire la réalité.
Par contre, à côté de cette véracité de l’ambiance, du canevas général, c’est l’imaginaire qui prend le pouvoir au bout de la plume (ou du clavier d‘ordinateur…) de Nicolas Feuz.
L’intrigue de ce roman n’est d’ailleurs pas des plus simples. Il y a un attentat, dans les rues de Neufchâtel. Parmi les victimes peu touchées, le procureur Jemsen, dont la mémoire, à son réveil, se révèle ne plus fonctionner que par bribes. Il y a un tueur en série qui utilise le verre de Murano comme arme presque surréaliste. Il y a des politiciens haut placés qui se sentent investis d’une mission de bien public et, de ce fait, glissent sur les pentes de l’extrémisme idéologique. Il y a un bordel, ses pensionnaires, une femme venue de l’Est, Alba, personnage esclave et terriblement trouble.
Il y a aussi, et surtout peut-être, une vision de la société suisse d’aujourd’hui, avec ses contradictions.
Et puis, il y a une construction narrative presque déstabilisante, au début en tout cas. Ce sont des petits chapitres, deux pages, ou trois. Ce sont des allers-retours entre le présent et le passé. Ce sont des angles de vue différents, celui du procureur, de sa greffière, de la prostituée, des flics. Et c’est cette construction, presque comme un découpage en bande dessinée, qui rend ce roman palpitant, malgré quelques improbabilités, quelques raccourcis trop rapides.
Ce qui rend également ce livre passionnant, c’est le fait que, et son titre le montre bien, les histoires qui nous y sont racontées, pour horribles qu’elles soient, ne sont jamais que des miroirs. Miroirs des personnages, miroirs de la pensée, de la politique, de la peur… Des miroirs déformants, pour des êtres déformés, en quelque sorte. Jusqu’à la « chute » qui nous montre que même les âmes peuvent se révéler interchangeables à la lumière des souvenirs, des lâchetés, des angoisses, et du hasard…
Jacques Schraûwen
Le Miroir des Âmes (auteur : Nicolas Feuz – éditeur : Le Livre de Poche numéro 35474 – 262 pages – 2018)