Des Pirates, un trésor, des cannibales, une femme cruelle, une jeune noble presque féministe : Raven, c’est un monde maritime, un monde de passions humaines, une grande aventure merveilleusement amorale !
Raven est un pirate… Un combattant d’une efficacité redoutable dans ses luttes, dans les abordages comme sur la terre ferme. Un homme qui manque souvent de chance, aussi, qui porte même la poisse comme le disent ses collègues sur l’Île de la Tortue. Il a frôlé la mort bien des fois, et c’est encore dans une situation de ce genre qu’on le retrouve dès la première page de cet album : accroché à une ancre, au fond de l’eau, à quelques secondes sans doute d’un adieu définitif à la vie.
Mais voilà, Raven a aussi de la chance… Celle d’avoir des amis qui le sauvent, par exemple !
A partir de cette première scène, Lauffray construit son album avec des flash-backs, des changements de lieux, des récits parallèles aussi. C’est ainsi, par petites touches qui ressemblent à des pièces de puzzle, qu’il met en place tous les personnages qui, plus anti-héros qu’héros, vont donner vie à une histoire de violence, de tueries, de vacarme, de canons, de naufrages, de sang et, parfois, de désir.
Je ne vais pas vous raconter quoi que ce soit de cet album qui ne se contente pas d’être une simple présentation des protagonistes d’une série d’aventure, mais sachez que l’action ne manque pas, sachez que vous ne pourrez que parfois sourire aux frasques de Raven, rêver aux charmes de deux femmes totalement différentes l’une de l’autre, et, tout comme moi, la dernière page tournée, attendre avec impatience le tome suivant !
On est dans de la bonne bande dessinée d’aventure, oui, presque à l’ancienne, mais avec un regard actuel et une plume, celle du scénariste Lauffray comme celle du dessinateur Lauffray, qui est totalement actuelle dans la description de l’horreur quotidienne qu’engendrait, en ces temps qui n’étaient ni héroïques ni épiques, la recherche d’un improbable trésor.
Mathieu Lauffray a toujours aimé la mer, l’océan. Même en s’aventurant dans d’autres univers, il lui faut dessiner cet élément liquide qui construit majoritairement notre Terre, donc notre humanité…
Il fait ainsi partie de quelques auteurs rares capables d’enflammer l’imaginaire de leurs lecteurs grâce à la puissance graphique et narrative des décors marins. Je pense à Lepage, bien évidemment, à Follet, à Vance, à Delitte…
Je ne veux pas dire par là que Lauffray manque d’originalité, loin s’en faut ! La mer, l’océan, les fleuves perdus dans les jungles sauvages, ce sont bien plus que de simples éléments de décor. L’eau, cela bouge, cela se transforme, cela change de lumière et d’apparence en quelques secondes. Et chez Lauffray, c’est sans doute cette vérité liquide qui devient, le plus souvent, le vrai personnage central de ses récits. Comme dans Long John Silver, une série absolument superbe… Comme ici… Raven et son ennemie dont on devine qu’elle va devenir intime, Lady Darksee, ne prennent vie qu’en s’ancrant profondément dans l’existence de l’océan et des navires qui osent affronter toutes les vagues de l’aventure…
Raven, c’est de la bande dessinée efficace, avec un sens du mouvement exceptionnel, avec une puissance d’évocation dans les visages et les attitudes comme dans les décors, avec une couleur omniprésente qui n’a pas peur de se perdre dans des verts profonds. Librement inspiré par un roman de Robert E. Howard, le personnage de Raven n’est pas loin de rappeler Conan : un humain brut de
coffrage qui, au-delà de la seule apparence de cruauté et de violence, connaît quelques failles qui le rendent presque humain…
Et je n’ai pas pu m’empêcher, le livre refermé, à penser à Baudelaire…
« Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer »
Mathieu Lauffray, dans ce livre, a toutes les commandes en main, et il nous prouve que son talent est loin, très loin même, de se perdre dans les flots de la mode et de ses indifférences ! Et j’aime assez le titre de ce premier opus, qui fait référence à la mythologie grecque, à la vengeance, à une âme identique, finalement, à celle dont nous parlait Baudelaire, l’âme du gouffre…
Jacques Schraûwen
Raven : 1. Némésis (auteur : Mathieu Lauffray – éditeur : Dargaud – 54 pages – avril 2020)