Un jour, les humains les plus riches se sont envolés vers la planète rouge. Pour les survivants restés sur une terre inhospitalière, l’espérance de pouvoir s’en aller aussi est devenue plus qu’un mythe : une forme de croyance, une dérive de religion …
Les récits postapocalyptiques ne manquent pas, ni dans la littérature ni dans la bande dessinée. Les artistes ont toujours voulu exorciser les angoisses et les erreurs humaines en leur cherchant, non une rédemption, mais une voie nouvelle.
Les récits postapocalyptiques se construisent souvent autour de deux axes opposés : l’optimisme, d’une part, celui de voir le monde toujours renaître de ses cendres, le pessimisme, d’autre part, celui de dire et de montrer que tout est vain.
Cette bande dessinée de la dessinatrice Mobidic réussit l’amalgame de ces deux essentielles pulsions de l’humanité. A la fois extrêmement lumineux et terriblement sombre en s’enfouissant dans les horreurs de la pensée et de l’action, le récit qu’elle nous livre oscille sans cesse entre l’émerveillement et la haine, entre le possible et l’inacceptable. Mais toujours en nous montrant un monde dans lequel survivent peu ou prou les réalités d’aujourd’hui.
Le culte de Mars, c’est cette foi inébranlable que les habitants de la terre, vivant en communautés indépendantes les unes des autres, ont d’un futur voyage possible vers le paradis que ne peut qu’être la planète Mars.
Et cette foi est aussi celle que portent les humains en Hermès, voyageur souriant, messager, dit-on, des dieux.
Mais Hermès n’est ni messager, certainement pas messie. Il est voyageur, oui, et il recueille au long de ses errances tout ce qui a rapport à ce que fut l’Homme. Il a un grand livre dans lequel il note tout, qu’il le comprenne ou pas… Avec la certitude tranquille qui est la sienne qu’un jour, tous ces vestiges découverts trouveront une signification. Comme les téléphones portables, les ordinateurs…
Un jour, sur son chemin, chemin de hasard toujours, il croise une jeune femme qu’on dit folle, et qui ne répond à aucun de ses mots. Une jeune femme grâce à laquelle il va comprendre une de ses découvertes : la langue des signes. Et c’est à partir de cette jeune femme sourde, c’est autour d’elle que la narration va s’agencer, une narration qui, d’éblouissement en partage de sourires, va plonger dans la violence et la mort, comme, malheureusement, dans toute dérive sectaire d’un groupe de femmes et d’hommes prêts à croire n’importe quoi, n’importe qui, pour ne plus avoir peur d’eux-mêmes !
Ce livre aborde, vous l’aurez compris, bien des thèmes. On y parle de religion, religions plurielles même, on y parle d’espérance folle et de la folie de n’attendre que le futur, on y parle du langage et de ses innombrables possibles, on y parle d’handicap, de différence, on y parle de la nature loin de tout sectarisme idéologique. Mobidic, l’auteure de cet album, nous parle de nous, tout simplement, de nos rêves et de nos départs qui ne sont pas toujours des fuites.
Son dessin, qui m’avait déjà ébloui dans « Roi Ours », prend ici une dimension plus importante encore. On le sent en osmose, dès son ébauche, avec un jeu de couleurs d’une unité et d’une efficacité exemplaires. Je ne peux m’empêcher, en refermant ce livre, de positionner Mobidic dans la lignée de deux dessinateurs exceptionnels, Jean-Philippe Stassen et Ruben Pellejero.
Ce livre est une fable, un conte à l’ancienne, qui n’a pas peur de faire peur, de parler de mort pour émerveiller la vie. Et j’ai particulièrement aimé sa fin, une fin ouverte, certes, mais qui s’ouvre à autre chose que la stérilité d’une nostalgie inutile. La dernière planche voit une enfant jeter vers les étoiles
un téléphone portable, définitivement, enfin, inutile ! On peut y voir la chance d’une neuve intelligence… Ou, simplement, l’acceptation lucide de la vie telle qu’elle est, sans cesse à construire, sans cesse à réinventer…
« Le Culte De Mars » est un des livres les plus intéressants de ces derniers mois, et il va falloir retenir le nom de son auteure, à tout prix : Mobidic !
Jacques Schraûwen
Le Culte De Mars (auteure : Mobidic – éditeur : Delcourt – 111 pages – février 2020