Un personnage exceptionnel que le dessin ne trahit pas !
En une époque qui fait de la culture et de la mémoire les parents inutiles de la société, cela fait du bien de voir, à travers ce livre, l’hommage du neuvième art à un des trop rares véritables créateurs du septième !
Jacques Tati, tout comme Pïerre Etaix, est bien trop oublié aujourd’hui. Et pourtant, ses films, rares, ont été à chaque fois des grands moments cinématographiques d’humour, de tendresse, de poésie et, en même temps, d’observation presque cynique d’une société -la nôtre- en perpétuelle mutation.
David Merveille, lui, est un artiste passionné par un univers graphique inspiré par une forme de poésie immédiate et sans artifice. Auteur-jeunesse, il est tombé sous le charme du personnage incarné par Tati depuis pas mal de temps, et il s’en inspire aujourd’hui dans un livre dont on ne peut que souligner la beauté et la qualité à tous les niveaux.
Il est de ces livres qui n’ont nul besoin de mots pour s’imposer, il y a de ces albums qu’il suffit de feuilleter pour en saisir, ne fut-ce que fugacement, tous les envoûtements. Il y a de ces œuvres qui se passeraient volontiers de critiques et d’analyse fouillées, pour laisser la place, simplement, au plaisir, plaisir de l’œil, plaisir du temps passé à sourire, plaisir de la mémoire, aussi.
Cependant, parler d’un livre de qualité, c’est vouloir qu’il soit vu, lu, partagé. Aimé… Et cet ouvrage se doit, à mon avis, de trouver, par le biais des critiques, des chroniqueurs, le public qu’il mérite !
C’est aussi ce que nous dit Pierre Richard dans la préface de ce « Tati par Merveille » : « Plonger dans le livre de David Merveille, c’est s’immerger dans le monde poétique de Jacques Tati. Son crayon est une caméra qui nous retrace avec élégance celle de son modèle. Rien ne lui échappe de ce grand corps habité qui déambule sa vie en laissant derrière lui des cascades de rires et des nuages de rêve ».
Jacques Tati alliait comme personne l’art des mots silencieux, l’extravagance d’une démarche sereine, la folie d’un regard sans jugement, et David Merveille se fait dans ce livre son commentateur silencieux et fantastiquement respectueux.
On pourrait se demander pourquoi ce livre… Est-ce nécessaire, pour un auteur, de faire œuvre de dessinateur en choisissant de, simplement, rendre compte par des pleines pages en grisaille ou en arcs-en-ciel du talent d’un autre ? Je n’ai qu’une réponse à faire : c’est dans l’inutile que se révèle, le plus souvent, le vrai talent… Et le talent graphique de David Merveille est indéniable, tout comme est indéniable son travail de la couleur, tout comme est indubitable le boulot d’édition qui a été fait autour de ses dessins.
Le talent de David Merveille, c’est aussi de réussir à être original tout en s’effaçant derrière son modèle. Un modèle qu’il place, de page en page, dans des situations et des lieux que Tati-Hulot n’a pas vécus. L’exposition de 1958 à Bruxelles, des confrontations, toujours en silence, avec des tableaux de musée, par exemple.
Et puis, je parlais de silence, il est aussi dans la construction de ce livre. Les seules indications écrites, outre la préface de Pierre Richard, fils illégitime à sa manière de Jacques Tati, sont techniques face aux dessins présentés. Seules ?… Non… Il y a aussi, de ci de là, et de manière très discrète, des phrases de Jacques Tati lui-même… Des phrases qui, à elles seules, résument parfaitement ce livre… Jugez-en : « La vedette est avant tout le décor » – « La vie c‘est trop drôle si on prend le temps de regarder » – « Bien sûr Hulot c’est un peu moi, mais c’est aussi un peu vous »…
Au-delà des barrières du temps, Jacques Tati reprend vie, pour son plaisir, pour le nôtre, grâce à David Merveille. Un livre « d’art » à ne pas rater !…
Jacques Schraûwen
Tati Par Merveille (auteur : David Merveille – éditeur : Champaka Brussels/Dupuis – 2020 – 120 pages)
Magnifique !…