Un nouveau dessinateur pour cette série policière qui réussit l’amalgame parfait entre les livres de Léo Malet et le dessin, toujours d’après l’univers graphique de Jacques Tardi !
Léo Malet… Anarchiste, poète surréaliste, écrivain aux nombreux pseudonymes, artiste toujours atypique, toujours empreint d’une évidente révolte également, cet auteur est parvenu à faire du polar français sans être franchouillard, influencé par le roman de détectives à l’américaine mais avec une écriture poétique, rythmée, et avec des thèmes qui dépassent toujours l’anecdote.
Surréaliste, mais loin de toute école dirigée par quelque gourou littéraire que ce soit, Léo Malet a voulu, à sa manière, rendre hommage à ce qu’était, au dix-neuvième siècle, le style du « roman-feuilleton » qui fleurissait dans tous les journaux. Et ce en remettant en mémoire le très oublié Eugène Sue. Eugène Sue qui avait écrit « Les mystères de Paris », en osant raconter les aventures et les déboires du « petit peuple » de Paris, alors que la mode était, tout au contraire, à ne mettre en scène que la bonne société. Longtemps avant Zola, Sue a ainsi marqué l’Histoire de la littérature française. Tout comme Léo Malet a transformé le paysage de la littérature policière française avec ses « Nouveaux Mystères de Paris ».
Le personnage de Nestor Burma, au centre de ces nouveaux mystères de Paris, est devenu personnage de grand écran (avec malheureusement deux navets notoires), personnage de petit écran, aussi, avec 39 épisodes dans lesquels c’était Guy Marchand qui endossait la personnalité du détective de choc, un acteur que Léo Malet lui-même trouvait excellent dans ce rôle.
Et puis, depuis 1982, Nestor Burma est aussi un anti-héros du neuvième art, avec la rencontre de deux auteurs complets qui ne pouvaient que s’entendre : Léo Malet et Jacques Tardi. Quatre albums sont de la patte de Tardi, qui, ensuite, a laissé la place à Emmanuel Moynot, à d’autres dessinateurs encore, à François Ravard aujourd’hui. Une longue série bd, donc, avec une caractéristique essentielle d’album en album : la fidélité à l’univers très personnel de Malet et à celui, tout aussi singulier, de Tardi.
Dans ce treizième tome, qui se déroule en 1955, Nestor Burma se balade dans le quatorzième arrondissement de Paris. Il s’agit de chantage, de bijoux disparus, d’un gang de cambrioleurs de caves, « les rats de Montsouris ». Il y a Hélène, la secrétaire de Nestor, il y a aussi deux autres femmes, des resplendissantes rousses, il y a les souvenirs de la guerre, il y a un procureur qui avait la réputation de faire couper la tête à tous ceux qu’il poursuivait, il y a des cadavres, et les habituels coups sur la cafetière que Nestor prend dans chacune de ses enquêtes.
Le scénario d’Emmanuel Moynot est extrêmement bien construit, avec un véritable respect de l’esprit, voire même des mots, de Léo Malet. Le dessin de Ravard ne fait pas oublier celui de Tardi, surtout en ce qui concerne les décors, les rues de Paris, mais il est d’une très belle présence, et d’une vraie personnalité. Son graphisme, à l’instar de celui de ses prédécesseurs dans cette série, est fait d’un noir et blanc profond qui permet des contrastes qui participent pleinement à la narration. Et les couleurs de Philipe de la Fuente ne brisent rien de cette ambiance, bien au contraire, elles permettent même de plonger des séquences entières dans des rythmes très particuliers, très originaux.
Je l’ai dit plus haut : Léo Malet, dans sa longue existence, a été poète surréaliste. (Et je ne peux que vous conseiller d’essayer de retrouver la monographie qui lui a été consacrée chez « Les Cahiers du Silence ») Et dans cet album, cet aspect de l’art de Léo Malet se trouve à l’honneur, tout comme sa passion pour le surréalisme artistique. Pour l’art naïf aussi… Il y a un poème étrange, né d’une écriture automatique, qui occupe une place importante dans l’intrigue. On retrouve aussi la présence d’Anatole Jakovsky, qui fut critique d’art, et qui se révèle être un ami de Burma.
Ce qui est extraordinaire dans l’œuvre policière de Malet, c’est qu’il nous emmène dans des histoires extrêmement ancrées dans le réel, tout en y insérant ses propres convictions politiques et sociales, au sens le plus large de ces termes. Ce qui est assez unique aussi, c’est qu’il respecte le code habituel des romans policiers traditionnels, un code cher à Poe, déjà, à Christie et à bien d’autres, et qui concerne à tout expliquer dans les dernières pages, et qu’il le fait sans aucunement estomper la force de caractère de Nestor Burma.
Et c’est cette révolte larvée, ce côté désabusé mais avec une volonté de non jugement, qui est peut-être, dans cet album que je trouve très réussi à tous les niveaux, l’élément moteur de toute la narration, littéraire et graphique.
Ces cambrioleurs à la recherche de perles disparues, ce monde qui voit se côtoyer truands, pauvreté extrême et haute société, cet univers qui est profondément celui de Léo Malet, tout cela se retrouve sous la plume de Moynot et dans le dessin de Ravard.
Oui, sans aucun doute, ce « Les Rats De Montsouris » est une très belle réussite ! Lisez-le, et, ensuite, plongez-vous dans tous les romans de Léo Malet ! Vous (re)découvrirez un des plus grands auteurs populaires du vingtième siècle !
Jacques Schraûwen
Nestor Burma : 13. Les Rats De Montsouris (dessin : François Ravard – adaptation scénaristique : Emmanuel Moynot – D’après le roman de Léo Malet et l’univers graphique de Jacques Tardi – couleurs : Philippe de la Fuente – éditeur : Casterman – 64 pages – 2020)