Une histoire de vie et de mort.
Guérit-on de son enfance ?… Peut-on ne garder de nos passés que des souvenances souriantes ?… Ce sont là des questions mises en scène dans cet album prenant !
Sylvie Roge et Olivier Grenson vivent en couple, et c’est avec une belle complicité qu’ils ont construit un album sombre et puissant.
Olivier Grenson a à son actif quelques séries connues : Niklos Koda et Carland Cross. Sylvie Roge elle, en est à son premier scénario. Et leur collaboration artistique est une belle réussite.
La fée assassine, c’est un livre fait de contrastes, de contraires, d’ombres et de lumières. Tout commence un soir de Noël. Pendant que son mari Thibaut est de garde à l’hôpital, Fanny reçoit sa sœur jumelle et sa mère pour le réveillon. Jusque là, rien que de très normal. Mais Thibaut, en pleine nuit, est convoqué par la police. Fanny, son épouse, est une meurtrière… Et le livre, alors, peut commencer !
Cela a l’air d’un polar, mais cela ne l’est pas…
C’est un drame psychologique, avec une construction très particulière. L’histoire est racontée par Fanny elle-même, à son avocat. C’est un peu comme si le lecteur entrait dans une existence qu’il ne découvre que par bribes, au fil d’une mémoire fragmentée, au gré des souvenances et des mélancolies d’une femme dont la seule chose qu’il sait, au départ, c’est que c’est une « tueuse ». Sylvie Roge fait de son scénario un puzzle que ses personnages autant que les lecteurs se doivent de compléter.
Elle prend le temps de donner chairs et émotions à ses protagonistes, elle nous parle de gémellité, de bipolarité, de l’amour, qui n’est qu’un jeu perdant pour des joueurs perdus. C’est un livre très littéraire, c’est un portrait à rebours d’une existence dont on sait, dès le départ, qu’elle se termine dans l’horreur…
Le dessin parvient à accompagner parfaitement le scénario, tout en étant d’une évidente pudeur.
Bien sûr, il y a des scènes qui expriment, graphiquement, la difficulté des rapports humains entre les trois protagonistes, qui montrent, expressivement, les colères bipolaires de la mère de Fanny. Mais tout l’environnement de ces scènes est nimbé d’une presque douceur !
Et même le sang et ses évidences de chagrin et d’incompréhension sont discrets.
Pour arriver à cette sorte de distanciation seule capable de désamorcer quelque peu l’horreur des sentiments et des actes, Olivier Grenson use de la couleur pour retrouver l’enfance et ses joies éphémères. Les couleurs, quelque peu surannées, permettent à cette tranche de vie, horrible, de parler à tout un chacun… Des couleurs qui, ici ou là, deviennent lumineuses, comme deux ballons rouges qui s’envolent et s’enfuient dans les éternités d’un ciel de grisaille…
La violence est muette, comme elle l’est dans la vie, celle de tous les jours, celle que chacune et chacun subit.
La première des certitudes dont Fanny se souvient, au-delà des ballons rouges partagés avec sa sœur, c’est celle d’être mortelle.
Et les sensations premières de ses présents résident peut-être dans la douceur des frissons, donc des fièvres. (petite référence au livre « Mon petit Trott » de Lichtenberger)
Et c’est ce qui fait aussi de cet album un conte moderne, un conte pour adultes qui, trop souvent, oublient les enfants qu’ils ont étés. Un peu comme les protagonistes de cette fée assassine…
C’est un livre qui parle de la mort en racontant la vie. Cette mort qu’on regarde, de loin, toujours et qui, à sa manière, est montrée ici telle que les « autres » se la représentent. Les autres, oui, ceux qui ne sont pas vraiment concernés… Jamais…
C’est un livre qui détruit les poncifs pour raconter la vie des jumeaux. Un livre de femmes au travers de l’écoute qu’en ont les hommes. Le récit d’une seule âme dans deux corps, mais avec une brisure inaltérable.
C’est un livre de contrastes, dessinés, racontés, littéraires et graphiques, psychologiques et quotidiens. C’est un album au long duquel on comprend que scénariste et dessinateur ont trouvé au fond d’eux-mêmes les échos de leurs propres existences pour nous livrer cette tranche de vie étrange et dérangeante… Cela se sent, oui, au travers des souvenances racontées, au travers aussi des touches d’espoir et des mémoires d’une enfance malgré tout avide de bonheur…
C’est un livre puissant, extrêmement bien écrit et dessiné, un livre qu’il faut prendre le temps de lire, de regarder, de savourer…
Jacques Schraûwen
La fée assassine (dessin et couleur : Olivier Grenson – scénario : Sylvie Roge – éditeur : Le Lombard – février 2021 – 190 pages)