Le Chat Déambule

Un album-catalogue qui remet en perspective un auteur et son personnage.

Non, je ne vous parlerai pas du futur Musée du Chat, à Bruxelles ! Du Chat, d’ailleurs, et du dessin d’humour… Je vous parlerai, simplement, d’un livre-catalogue de Philippe Geluck sculpteur et s’exposant librement à Paris !

© Philippe Geluck

Que n’a-t-on entendu, ces dernières semaines, comme diatribes haineuses, comme jugements à l’emporte-pièce, comme tentatives imbéciles de ne plus considérer la bande dessinée comme un art… Faisons fi des polémiques qu’Audiard aurait pu vilipender, et attachons-nous, simplement, à une œuvre belge populaire et, de ce fait, importante.

La bande dessinée, depuis les années 1970, a gagné son appellation de neuvième art grâce à la multiplicité de ses réalités.

Hergé, bien évidemment, en est l’exemple iconique, lui dont, finalement, on oublie les récits pour s’intéresser à sa rentabilité.

Des galeries d’art, un peu partout, de Bruxelles à Paris, de New-York à Genève, accrochent à leurs cimaises des planches originales d’auteurs extrêmement variés.

© Philippe Geluck

Avec Philippe Geluck, d’aucuns se demandent si on peut le placer dans la « niche » de la bande dessinée…

Oui, Le Chat est un personnage de bande dessinée… En « strips » de trois dessins, comme du temps de l’âge d’or de la bande dessinée à la seule ambition populaire, cet animal humain a conquis depuis des dizaines d’années un public large, éclectique, dépassant, et de loin, les frontières de notre minuscule Belgique.

© Philippe Geluck

Mais Le Chat est aussi un personnage qui, en ses débuts, occupait dans la presse une place de choix. Geluck finalement, n’est-il qu’un dessinateur de presse converti à l’humour ? Je pense plutôt, et je ne suis pas le seul, qu’il est un artiste à part, en fait, usant de son talent pour rire et faire rire, faire sourire…

Philippe Geluck : le dessin de presse et le dessin d’humour

Ses sujets, aujourd’hui comme hier, ne sont pas uniquement ancrés dans la réalité, dans le factuel… Intemporels, sans doute, ils ont cependant un point commun, celui de s’inscrire dans une tradition graphique qui a vu des auteurs s’affirmer comme essentiels, des auteurs comme Bosc, comme Topor aussi, comme Steinberg. Et, dans cet album, on ne peut que s’en rendre compte en découvrant quelques-uns des premiers dessins du Jeune Geluck… C’était de l’influence, sans doute. C’est, surtout, me semble-t-il, une filiation.

Philippe Geluck : ses filiations

N’oublions pas, par exemple, qu’avant Le Chat, Philippe Geluck a publié au « Daily Bull », chez l’extraordinaire et éclectique André Balthazar, aux côtés de quelques artistes exceptionnels, comme Dotremont, Topor, Bury, Alechinsky, Folon…Dans « Le Chat Déambule, Philippe Geluck nous parle, d’ailleurs, de l’importance que l’art, le noble, celui que certains, aujourd’hui, opposent à la bande dessinée, a eue tout au long de son enfance, de son existence.

© Philippe Geluck

Ce livre n’est pas une suite de dessins… Il n’est pas non plus simplement le catalogue d’une exposition de bronzes qui, sur les Champs Elysées à Paris, attire des centaines de milliers de personnes. C’est en fait un livre qui mélange les genres, comme Philippe Geluck l’a toujours fait…

Et donc, il y a le côté « sûr de lui » dans les textes qui émaillent cet album, il y a aussi la présence de vraies références artistiques détournées, pour qu’en une sculpture de bronze jaillisse l’humour d’une histoire esquissée. Il y a de la dérision, aussi, énormément même, comme toujours avec Le Chat…

© Philippe Geluck

On voit, par exemple, deux chats de Geluck s’arrêter devant une œuvre de Keith Haring (artiste qui, à Bruxelles, a vu son exposition applaudie par tous les « intellectuels » qui, aujourd’hui, attaquent Geluck), et donner un avis définitif sur cet artiste. « C’est quand même toujours un peu la même chose, non ? », dit le premier. Et le second lui répond : « je ne sais pas si nous sommes les mieux placés pour en parler ».

Dire de Geluck qu’il est égocentrique, c’est oublier que tout artiste, quel que soit son domaine, a un égo puissant… C’est aussi ne jamais l’avoir lu et regardé, parce que, ce faisant, l’auto-dérision de cet auteur apparaît bien souvent !

© Philippe Geluck

Une auto-dérision dont on peut dire qu’elle permet à Geluck, au travers de son personnage, de se faire moraliste sans jamais être un donneur de leçons…

Philippe Geluck : moraliste…

Parce que l’art (oui, l’Art…) de Geluck n’est pas uniquement graphique. Certes, avec ses sculptures, il est passé de l’immobilité au mouvement, d’une histoire racontée en trois dessins à un récit à construire par les spectateurs de ses bronzes…

Mais Philippe Geluck est aussi un homme de mots… Un auteur qui peaufine ses textes, les simplifiant pour les rendre plus percutants, faisant des « bulles » du Chat des fragments d’un style personnel.

Philipe Geluck : les mots

Philippe Geluck, c’est aussi un artiste qui, le plus souvent, aime l’humour potache… Ce n’est pas pour rien qu’il a cité, parmi les dessinateurs d’humour qui lui ont donné l’envie de faire ce métier, Tetsu, représentatif, pour une certaine intelligentsia, d’un humour franchouillard. Et populaire… Ce n’est pas pour rien, non plus, que Geluck se revendique aussi de Siné, et de son côté totalement « incorrect ».

© Philippe Geluck

On peut même dire que Philippe Geluck n’est jamais très loin du professeur Choron et de Gébé dans Hara Kiri, qui adoraient, comme il le fait lui-même, détourner des œuvres anciennes, voire « reconnues », pour user et abuser d’un humour qui aime à se balader dans la non-bienséance…

Philippe Geluck : l’art vulgaire
© Philippe Geluck

« Le Chat Déambule » mêle dessins, sculptures, interview, pour permettre à tout un chacun de cerner mieux la personnalité d’un artiste populaire, « rentable » sans pour autant renier ses combats de prédilection : contre la connerie, contre l’intolérance, et pour, surtout, le sourire au jour le jour !

Jacques Schraûwen

Le Chat Déambule (auteur : Philipe Geluck avec la collaboration de Jean-Claude Loiseau – couleurs : Serge Dehaes – photos de Thomas Van Den Driessche – éditeur : Casterman – 160 pages – avril 2021)