Entre fiction et réalité, entre vérité et mensonge, une enquête passionnante !
En 1938, Orson Welles, nous dit-on, a provoqué un vent de panique dans tous les Etats-Unis avec une pièce radiophonique consacrée à une invasion de Martiens… Est-ce la réalité ou une « fake news » propagée par la rumeur ?… On en parle, dans ce livre à découvrir !
Tout commence, en effet, dans cet album, avec la voix de Orson Welles sur les ondes de CBS mettant en scène, comme un journaliste, « La guerre des mondes » de son presque homonyme H. G. Wells. Les gens écoutent, les gens ont peur, et, dans une petite ville loin de tout, Grovers Mills, un homme tue sa femme, blesse son fils et se suicide pour ne pas tomber entre les mains des envahisseurs.
Il n’en faudrait pas plus, dans cette époque qui voit les différentes radios s’affronter avec de plus en plus de hargne, pour que CBS en soit tenue pour responsable. Et risque, dès lors, de disparaître.
Le patron de cette chaîne de radio décide d’envoyer un de ses anciens journalistes, Douglas Burroughs, pour enquêter… Pour vérifier si cet horrible fait divers peut réellement être imputé à la « fiction » de Orson Welles.
Et c’est cette enquête, menée par un homme soucieux de vérité, d’une part, mais s’apprêtant à écrire un roman, d’autre part, qui va nous mener, lecteurs, à nous promener dans les méandres du quotidien, du réel et de ses imaginaires.
Parce que, déjà, il faut se rendre compte que le chaîne CBS n’avait en 1938 qu’une audience de 2%… Et que la panique que la rumeur a décrite et continue à décrire n’était pas une réalité ! Il y eut des mouvements épars de peur, d’angoisse, c’est évident… Mais seuls les auditeurs n’ayant pas entendu le tout début de cette émission consacrée à des pièces radiophoniques pouvaient croire en un reportage réel…
Parce que, ensuite, l’être humain est ainsi fait qu’il finit toujours par croire à ses propres mensonges. Et à réussir à y faire croire ceux qui l’entourent… Ne sommes-nous pas toutes et tous des petits Tartarin de Tarascon méconnus ?
Ce livre nous parle donc, vous l’aurez compris, de faux semblants. Mais, ce faisant, le scénariste Laurent Galandon nous offre un récit qui dépasse, et de loin, la seule anecdote historique. S’inspirant de l’unique roman de ce fameux Douglas Burroughs, dans une sorte de mise en abyme vertigineuse, c’est des apparences qu’il nous parle… Et des miroirs déformants qui, sans arrêt, font d’une enquête policière une espèce de labyrinthe dans lequel culpabilité et innocence se mêlent et parfois même se confondent.
Des apparences et, également, de réalités qui, de nos jours, éveillent encore de bien tristes échos.
Galandon crée ainsi des personnages qui vivent dans une époque bien précise et qui, de ce fait, subissent au quotidien des réalités qui ne devraient plus être de mise aujourd’hui.
Galandon nous enfouit dans ce qu’on a pu appeler un « racisme ordinaire », par exemple… Et un dessin superbe de la page 34 en raconte bien plus sur ce qu’était ce racisme dans les années trente que tous les beaux discours : un dessin qui montre l’étonnement dans le regard ‘un Noir qui voit un Blanc lui tendre la main !
Galandon nous parle aussi de l’horreur qu’une femme peut vivre parce qu’elle est considérée par d’aucuns comme inférieure, comme n’étant qu’un objet. Là aussi, notre vingt-et-unième siècle prouve que l’âme humaine n’a pas beaucoup évolué !
Ce que j’aime dans ce scénario, c’est que Galandon ne post-juge pas des attitudes avec un regard contemporain. Il nous donne à voir, simplement, ce qu’était le monde, ce qu’étaient les préjugés, ce qui était considéré, alors, et pas seulement aux Etats-Unis, comme étant « normal »… Cela dit, restituer un récit dans une perspective historique précise, ce n’est pas excuser cette discrimination, que du contraire. Et c’est pour éviter ces deux écueils, d’une part le jugement a posteriori et d’autre part la froideur d’un regard sans distance, que Laurent Galandon fait de Douglas Burroughs, le méconnu, un personnage humaniste, convaincu du bien-fondé de sa recherche de vérité. Un témoin subjectif, bien plus qu’un simple observateur !
Et, en choisissant de nous raconter une histoire se vivant dans le milieu du journalisme, avec, en trame de fond omniprésente la présence de l’immense génie qu’était Orson Welles, Galandon élargit encore plus son propos. Il nous parle de déontologie journalistique, il nous rappelle que les faits divers construisent aussi l’Histoire d’un pays, et il amorce déjà ce qui fut le début de la multiplication des « fake news », à savoir le pouvoir médiatique pris par la télévision.
Ce livre, ainsi, devient l’illustration d’une société qui passe de l’écrit à l’image, inéluctablement, sans pour autant supprimer l’art de la manipulation… De la propagande, chère à quelques dictatures de triste mémoire !
Tout cela a l’air bien sérieux, mais ce livre est quand même, d’abord et avant tout, un excellent roman noir à l’américaine, entre Chandler et Steinbeck aurais-je envie de dire…
Un livre choral, en quelque sorte, comme souvent avec Galandon qui aime ses personnages, qui a le besoin de leur donner corps, de leur accorder chairs…
Un récit dont le dessin de Jean-Denis Pendanx réussit parfaitement à rendre l’ambiance. Et ce malgré un découpage dans lequel les raccourcis pourraient se révéler perturbants. Son graphisme réussit, malgré les différentes histoires racontées, à nous les rendre toutes lisibles… linéaires, pratiquement…
Et, pour rendre palpable l’atmosphère de ce livre, il y a aussi les couleurs, quelques peu surannées, créant narrativement des séquences presque monochromatiques, qui ont une importance capitale…
Un excellent livre, donc, comme la plupart des œuvres scénarisées par Laurent Galandon. Une adaptation en bd d’un roman qui doit sans doute être réussie, même si ce roman est plus que méconnu…
Une belle mise en abyme, aussi… Dont voici un semblant de définition, qui pourrait vous permettre de lire ce livre autrement » : il s’agit d’un procédé littéraire qui place, dans le déroulé d’une œuvre, une autre œuvre du même genre, comme pour créer un écho…
Une mise en abyme, ici, ne serait-elle pas, finalement, un « fake » présent dès la couverture ?…
Jacques Schraûwen
A Fake Story d’après le roman de Douglas Burroughs (dessin : Jean-Denis Pendanx – scénario : Laurent Galandon – éditeur : Futuropolis – 90 pages – novembre 2020)