J’aime les séries pour lesquelles chaque album nouveau peut se lire indépendamment des autres. C’est le cas avec ces deux héros purs et durs de la bd policière et d’aventure !
Les Nouvelles Enquêtes de Ric Hochet : 5. Commissaire Griot
(dessin : Simon Van Liemt – scénario : Zidrou – couleurs : François Cerminaro – éditeur : Lombard – 56 pages – avril 2021)
Le canevas des enquêtes de Ric Hochet, nouvelles ou anciennes, est d’un incontestable classicisme. Le reporter vedette du journal « La Rafale » couvre une affaire sordide de meurtres particulièrement horribles. Et, bien sûr, on le sait dès le départ, il va contribuer à résoudre ce répugnant fait-divers !
Seulement, voilà, avec Zidrou au scénario, on peut toujours s’attendre à des surprises. A des incursions dans d’autres univers que celui de Tibet et Duchâteau… Celui du fantastique, par exemple !
Les codes du polar à la française sont bien présents, c’est un fait. Les codes qui étaient ceux des deux créateurs de cette série sont aussi présents, évidemment.
Mais…
Nadine et Ric vivent ensemble… Nadine prend son indépendance et devient journaliste, concurrente de son compagnon… Avec, en outre, l’aide de la concierge ! Les crimes en série auxquels Nadine et Ric vont être confrontés sont, pratiquement, montrés frontalement, de manière très « sanglante »… Le commissaire Bourdon n’est pas à Paris, il enquête quelque part en Afrique, dans le cadre d’un échange policier, et est donc remplacé par un policier à la peau d’ébène que va seconder, à sa manière, notre ami Ric.
N’oublions pas que cette série, même si elle est aujourd’hui actualisée, ne se déroule nullement de nos jours… Et Zidrou, dès lors, ne se prive pas d’utiliser des mots aujourd’hui politiquement incorrects, concernant le commissaire Griot venu à Paris (ouistiti, mal blanchi…). Des mots qui montrent simplement ce qu’était le racisme dit ordinaire il n’y a pas si longtemps, dans nos belles démocraties bien blanchies… Il n’y a, dans la façon dont Zidrou aborde, en contrechamp, cette réalité, aucun jugement, mais, simplement un regard objectif, un regard qui montre aussi que, au-delà de ce racisme, certains et certaines réagissaient au quotidien avec révolte.
Cela dit, ce Ric Hochet reste cependant un livre de divertissement, bien dessiné, bien construit, aux couleurs classiques et efficaces.
Bien construit, oui, avec des allers-retours entre Afrique et Europe, au long de deux enquêtes différentes mais parallèles, qui mettent en scène, chacune à sa manière, de l’exorcisme, du maraboutage.
Et ce que j’ai apprécié dans ce cinquième opus, c’est d’y retrouver une autre facette du créateur Tibet : celle de l’humour. Zidrou réussit, en effet, à retrouver le sens des jeux de mots à double sens (justement), des à-peu-près, que Tibet utilisait en veux-tu en voilà dans les aventures de Chick Bill.
Un album réussi, qui prouve que, pour cette série-ci en tout cas, les reprises peuvent être à la fois respectueuses et innovantes, dans la qualité !
Tango : 6. Le Fleuve Aux Trois Frontières
(dessin : Philippe Xavier – scénario : Philippe Xavier et Matz – couleurs : Jérôme Maffre – éditeur : Le Lombard – octobre 2021 – 56 pages)
Fin de cycle pour Tango et Mario, un ancien agent de la DEA et un ancien flic… Tous deux ont un passé, séparé ou commun, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne fut pas angélique, loin s’en faut ! Tous deux, pendant cinq albums, ont vécu des aventures, en Amérique latine, qui leur ont permis de forger leur amitié, de faire des rencontres tout en plaisir, de se créer des ennemis nouveaux.
Tous deux croient enfin en avoir terminé avec la violence !
Mais voilà, pour des aventuriers, le repos du guerrier ne dure jamais longtemps. Il suffit d’un appel à l’aide pour que l’engrenage de la haine, de la corruption, de la violence, du sang, de l’injustice et du pouvoir reprennent vie au quotidien de nos deux baroudeurs.
Ce livre peut se lire comme un one-shot. Mais on le savourera mieux en ayant lu les épisodes précédents, qui mettent en scène, déjà, quelques-uns des protagonistes de ce « fleuve au trois frontières » : un lieu emblématique de cette Amérique du Sud, entre Brésil, Paraguay et Argentine, où se côtoient pègre(s) et finances occultes, habitants en besoin de tranquillité et truands sans pitié, drogue et assassinats impunis.
Xavier et Matz, les auteurs de cette série, y réussissent à retrouver le plaisir de ces bandes dessinées anciennes que l’on disait « d’aventures ». Je pense à Bruno Brazil, à Tony Stark, à Bernard Prince… Et ils l’ont fait sans la « lourdeur » répétitive que peuvent avoir, à mon avis, Largo Winch ou XIII.
Avec Xavier et Matz, la narration est directe, elle est faite de mouvement, de codes parfaitement maîtrisés (un duo, à l’image de Bernard Prince et Barney par exemple…). La différence avec les bd du passé que je viens de citer (et auxquelles on pourrait en rajouter bien d’autres), c’est l’ancrage profond, intelligent, dans le monde qui est le nôtre, dans les quotidiens qui, ici et ailleurs, nous influencent et nous motivent, nous révoltent ou nous soumettent.
Avec Tango, c’est de l’aventure, avant tout, avec de l’amitié, de l’amour, des grands sentiments, des héros « physiques ». Avec des paysages, des décors, du mouvement, des errances et des focus.
Le réalisme du dessin et le découpage cinématographique, parfois proche du documentaire géographique, tout cela ajoute au rythme de cette série dans laquelle prime le plaisir : celui des lieux, celui des personnages, celui d’un dessin vif et efficace, celui de dialogues qui font penser à Hitchcock plus qu’à Audiard, celui d’une couleur accompagnant le graphisme et parvenant à en varier les ambiances à la perfection.
Dans toutes les histoires d’aventure, force est de reconnaître que les personnages centraux sont souvent très manichéens, très « d’une pièce ». C’est le cas avec Tango également. Mais les auteurs aiment, par petites touches, humaniser leurs héros, non pas en rappelant leur part d’ombre, mais en soulignant, tout au contraire, leurs lumières et leurs faiblesses. Et cela sans caricature !
Une bonne série, donc… Fidèle à elle-même, avec un dessinateur qui fait évoluer son style d’album en album… Pour ne pas se lasser lui-même, probablement, pour ne pas nous lasser, nous les lecteurs, très certainement !
Jacques Schraûwen
J’ai à peu près tous les Ric Hochet. C’est toujours un peu difficile d’accepter un changement de dessinateur, par exemple. L’ambiance générale d’une aventure est différente rien que parce que le personnage principal mais aussi les secondaires sont quelque peu différents. Ici, le dessin des décors n’a pas la même patte.
J’apprécie énormément la reprise de Ric Hochet par Zidrou et Van Limt : bravo pour votre article !
Merci
Vous avez raison mais c’est aussi ce qui fait la qualité de cette reprise.