Le cinéma est en effet un point commun entre ces deux expositions, par ailleurs très différentes l’une de l’autre. Mais toutes deux nous font entrer de plain-pied dans ce qui fait l’éclectisme de la BD, donc son intérêt et sa qualité !
Jean-Claude Götting – galerie Huberty & Breyne, jusqu’au 8 janvier – Place du Chatelain – 1050 Bruxelles
https://hubertybreyne.com/fr/expositions/presentation/475/regards
Jean-Claude Götting est un auteur à placer dans un univers qui oscille sans cesse entre la bande dessinée et l’illustration, entre le graphisme pur et la narration réaliste, entre le noir et blanc très « polar » et la couleur utilisée aux frontières d’une certaine abstraction…
Ce qui le caractérise d’abord et avant tout, plus que le mouvement ou les décors, c’est le besoin qu’il a de s’intéresser aux regards de ses personnages, souvent plus qu’à ses personnages eux-mêmes. Il en résulte des jeux d’apparence, un peu comme si, pour lui, tout humain pouvait se résumer, gestes et sensations, volontés et silences, aux seuls éclats de ses deux yeux… Il en résulte également un jeu avec le spectateur, le lecteur. Un jeu qui apparaît pleinement, dans cette exposition, au long de ses dessins encore inédits qui doivent faire le contenu d’un livre à paraître dans quelques mois. Des dessins en noir et blanc, sous-titrés…
Regarder ces dessins, c’est devoir imaginer qui parle, ce qu’il s’est passé avant ce sous-titre venu de nulle part, ce qui se déroulera après…
Et un ces plaisirs de cette exposition, c’est de voir ses confronter deux des profils de Götting : la couleur et le noir et blanc, l’acrylique puissant et le trait estompé des gris qui racontent des ambiances cinématographiques plus que des histoires linéaires. C’est une exposition presque cinématographique, en effet, avec focus et plans moyens, avec instantanés et poses travaillées…
Une belle et intelligente exposition, qui nous prouve, une fois de plus, que la culture, au sens large du terme, se révèle pleinement lorsqu’elle accepte de ne pas se limiter à des « niches » toujours trop restrictives, toujours trop formatées !
Leconte fait son cinéma – exposition au Centre Belge de la Bande Dessinée jusqu’au 28 mars – 20, rue des Sables, 1000 Bruxelles
https://www.cbbd.be/fr/expositions/la-gallery
« Leconte fait son cinéma », c’est un livre, scénarisé par Joub et dessiné par Nicoby, paru chez Dupuis, dans la collection « Aire Libre ».
Un livre qui se dévoile, de planche originale en planche originale, au Centre Belge de la Bande Dessinée, en une exposition simple, sympathique, qui permet au visiteur de se plonger, à son rythme, dans cet album étonnant, consacré à un cinéaste prolifique et qui fut, en son temps, un auteur de bd.
Patrice Leconte n’est bien entendu pas à présenter. Citer tous ses films, une trentaine, citer toutes ses publicités, les titres de ses récits bd parus dans Pilote, tout cela n’aurait d’ailleurs pas beaucoup d’intérêt.
Le personnage lui-même, d’ailleurs, a-t-il de l’intérêt ? Peut-il devenir un héros de papier, à son tour ?
C’est le pari de Joub et NIcoby : nous dessiner une interview en plusieurs phases, en plusieurs moments, en plusieurs endroits, et le faire en nous proposant en même temps le portrait d’un réalisateur et celui de son métier, en nous proposant une approche humaine d’un artiste complet et, en même temps, en nous plongeant dans un monde technique et très peu poétique qui est celui de la production d’un film.
C’était un pari, oui, et la réussite est au rendez-vous. Les amateurs de BD aimeront le style moderne, rapide, vif, de Nicoby un style qui ne s’encombre pas de fioritures mais qui réussit toujours à rendre tangibles les lieux qu’il nous esquisse. Les amateurs de cinéma apprécieront la description, au travers des dialogues, de ce que sont les coulisses du cinéma.
Certes, on parle d’art, dans ce livre…
On parle de l’époque pendant laquelle Patrice Lecompte fut dessinateur de bd… On parle de Coluche, de Delon, du Café de la gare et de l’équipe du Splendid, de Césars et d’Oscars…
On parle de pandémie aussi…
Mais on parle aussi, surtout même, d’argent, de production, de projets qui n’aboutissent pas, d’autres qui finissent par voir le jour. Et de tout ce qui, en dehors des seuls éléments que le public pourra voir (récit, acteurs, œuvre terminée), construit réellement un film : les repérages, les décors, le casting, les vêtements, la lumière, les répétitions, etc.
Joub et Nicoby nous racontent, en fait, tout ce qui, à partir d’une idée initiale, peut amener (ou pas) à une réalisation sur grand écran. Et ce livre nous permet ainsi de suivre, presque pas à pas, la mise en place jusqu’aux premiers jours de tournage d’un film de Lecompte qui devrait sortir sur nos écrans dans quelques mois : Maigret, avec, dans le rôle-titre, Gérard Depardieu.
La qualité de l’exposition qui a lieu au CBBD tient au fait que sa commissaire, Mélanie Andrieu, l’a « scénarisée » en respectant totalement la construction de l’album : on suit, dans cette expo, le cheminement qui permet à un film de devenir une réalité…
Une expo simple, sympa, oui, et qui, elle aussi, nous prouve que la bande dessinée, art à part entière, peut avoir tout à gagner à se partager avec d’autres pratiques artistiques !
Jacques Schraûwen