Ric Hochet : 6. Le Tiercé De La Mort

Un héros mythique dont la nouvelle existence est une totale réussite !

copyright le lombard

Zidrou, scénariste, ne manque pas de culot, et il lui en a fallu pour réussir à moderniser ce personnage qui, en son temps, était presque une sorte de double réaliste d’un Tintin bien sage et bien gentil… Pour le moderniser, oui, tout en l’ancrant totalement dans les années 70, des années qui, après une révolution plus ou moins ratée, étaient celle d’une sorte de renouveau du sens de la liberté. Pour le moderniser sans pour autant, surtout, le dénaturer.

Ric Hochet reste un journaliste aventurier, aimant rouler en voiture sportive, aimant se coltiner avec le mystère, amoureux sans vouloir vraiment officialiser cet amour, sûr de lui… Tout cet adn se trouve bien présent dans ce sixième opus d’une série désormais dessinée par l’excellent Van Liemt.

Mais Ric, au fil de ces six albums, prend de plus en plus « chair », révèle ses failles, ses faiblesses, ses certitudes battues en brèche. Il devient de plus en plus humain, tout simplement ! Mais toujours en étant comme un chevalier sans peur et sans reproche toujours prêt à enquêter pour élucider une affaire crapuleuse !

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Et, dans ce tiercé de la mort, on peut en effet dire que le côté crapuleux est bien présent !

Il y a de la violence, il y a du sang, il y a des victimes choisies au hasard, il y a du chantage, il y a des aveugles, vrais ou faux, il y a une association de malfaiteurs qui s’appelle « la ligue braille »… On n’est plus vraiment dans la construction des scénarios de Duchâteau, quelque peu  convenus, le plus souvent, prévisibles aussi… Avec Zidrou, on s’éloigne de l’univers de Stanislas-André Steeman, mentor de Duchâteau, pour se plonger bien plus dans l’ambiance des polars des années 70, durs, critiques vis-à-vis de la société, ces romans de Manchette, de Demouzon, d‘Andrevon, Vautrin, Siniac, entre autres…

Avec Zidrou, on se trouve aussi dans un monde d’humour, de cet humour quelque peu potache que Tibet adorait et dont il faisait amplement usage dans ses Chick Bill !…

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Du côté du dessin, cette modernisation existe aussi. Le trait de Simon Van Liemt réussit à faire preuve d’originalité, dans les perspectives, par exemple, dans le découpage également, mais il s’inscrit totalement dans la continuité du graphisme de Tibet. Jusque dans le plaisir que Van Liemt a à caricaturer des personnages connus pour jouer le rôle des acteurs de second plan !

En fait, il y a une vraie complicité entre le dessinateur et le scénariste, qui permet à cette « reprise » s’être bien plus qu’une opération de marketing nostalgique ! Une complicité qui est aussi celle vécue avec le maître des couleurs, François Cerminaro, qui parvient à trouver des ambiances plus proches de la « Trilogie Noire » (de Daoudi d’après Léo Malet) que des épisodes originels de Ric Hochet…

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On s’amuse… On suit, en même temps, une enquête parfaitement orchestrée… On prend plaisir à chercher les références que Zidrou cache entre deux bulles, comme de nous parler de Gourio et de ses brèves de comptoir. Ou de nous remettre en mémoire Stewball…

En pratiquant, au début de l’album du moins, une narration éclatée, Zidrou se permet de retrouver des références à la série de Tibet elle-même, et, ce faisant, de donner l’envie de la relire; mais il y a aussi d’autres références… Cet album voit le retour, malheureusement bien bref, de « Grevisse », personnage au langage très particulier, et dont les interventions, entre Audiard et San-Antonio, émaillent d’éclats de rire cet album !

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Et puis, comme très souvent avec Zidrou, il y a quand même, au-delà de la seule aventure policière, des côtés sérieux… Moralistes, presque, dans le sens noble du terme. « La vie est un pari, écrit-il, la mort votre seul gain garanti. » Parce que ce livre-ci, c’est un peu cela, tout compte fait : une fable sur notre société qui, qu’on le veuille ou non, nous pousse à parier sur la mort… Comme chez Stephen King… A parier, aussi, autour de la mort… La mort de ces anonymes, par exemple, qui ont construit des stades de football dont l’absurde le dispute à la connerie.

Oui, Zidrou, toujours, fait des ponts entre l’imaginaire de ses récits et le réel de notre société, de ce qu’elle est en train de devenir. Le choix qu’il a fait, dans cet album, de le construire autour d’un thème sportif n’est certainement pas gratuit ! Aime-t-il le sport ? Peut-être ?… Mais ce qu’il n’aime pas, sans aucun doute possible, c’est l’immoralité qui devient le label du sport autour des dieux Argent et Politique… Le PMU dans ce livre, c’est le rêve imposé, par le pouvoir, d’une vie meilleure accessible au seul hasard… Le gros Léon brille sur petit écran, dans les années 70 et dans cet album, comme y brillent de nos jours des hommes et des femmes acceptant, le sourire aux lèvres, de formater leurs téléspectateurs…

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Zidrou, en fait, dans bien de ses scénarios, parie sur l’intelligence de ses lecteurs.

Donnez-lui raison en savourant, pleinement, ce Ric Hochet de haute tenue, souriant, sérieux, passionnant !

Jacques et Josiane Schaûwen

Ric Hochet : 6. Le Tiercé De La Mort (dessin : Simon Van Liemt – scénario : Zidrou – couleur : François Cerminaro – éditeur : Le Lombard – septembre 2022 – 48 pages)

3 réflexions sur “ Ric Hochet : 6. Le Tiercé De La Mort ”

  • 29 septembre 2022 à 11 h 36 min
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    Je ne sais plus dans quel album, Ric Hochet se demandait combien il en avait cassé des Porsche surnommées Bébelle. Mais je ne me souviens pas de la décapotable en toit de vinyle comme celle présentée dans cet opus. Mais ma mémoire n’est pas infaillible, bien sûr.
    François

  • 5 octobre 2022 à 13 h 22 min
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    Merci Jacques pour tes chroniques toujours très intéressantes

  • 9 octobre 2022 à 9 h 39 min
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    La fidélité à Tibet m’empêche pas de faire évoluer personnages et décors…

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