Quand deux frères au graphisme somptueux décident de se lancer dans un hommage à une des œuvres essentielles de la littérature mondiale !
A partir d’un degré normal de culture, chacun connaît, au moins de titre, « La Divine Comédie », de Dante Alighieri. Une œuvre monumentale dans lequel l’auteur, avec le poète latin Virgile comme guide et mentor, s’enfouit dans les méandres de l’enfer d’abord, dans ceux du purgatoire ensuite, avant de pouvoir retrouver sa bien-aimée, la belle Béatrice, en un paradis, reflet inversé de l’enfer du départ.
L’enfer comme le paradis, en effet, comprend neuf cercles. Alors que le purgatoire, lui, se compose de sept cercles très précis, dans lesquels sont punis les coupables d’orgueil, de luxure, que sais-je encore, tous ces « péchés » empêchant l’homme d’être bon comme il fut cependant créé…
Ce texte, premier officiellement répertorié en langue Italienne, long poème qu’on peut qualifier d’épique et de tragique, il faut reconnaître que bien peu de gens l’ont lu ! Je ne l’ai, quant à moi, que découvert, il y a des années, partiellement, et sans grande passion littéraire. Mais ce que j’y ai aimé, ce sont les images qui se créaient en moi de tout ce que décrivait Dante… C’est d’ailleurs à la suite de cette (résumée) lecture en adolescence que j’ai aimé, à l’époque, me plonger dans un autre enfer, celui de Jérôme Bosch.
Et voici donc que deux artistes un peu fous, aux talents conjugués exceptionnels, ont décidé de se lancer, graphiquement, dans une adaptation de ce qui est reconnu comme un des grands chefs d’œuvre universels.
Les frères Brizzi, Gaétan et Paul, sont jumeaux… Totalement complémentaires dans la vie comme dans le travail, sans doute… Même si l’un habite en France et l’autre aux Etats-Unis !
Après avoir, ensemble, travaillé pour l’animation, chez Disney mais aussi en réalisant « Astérix et la surprise de César » en 1985, ils se sont lancés dans des œuvres de bande dessinée, comme l’excellent « La cavale du docteur Destouches » chez Futuropolis, ou des adaptations d’œuvres de Boris Vian. Des albums dans lesquels leur expérience de l’animation permet des envolées graphiques mouvementées, osons le dire…
Mais avec Dante, l’aventure était osée, osons aussi le dire !
Je pense que, très vite, ils ont compris que créer une narration à partir de l’œuvre originelle était une gageure impossible à gagner. Ils ont alors emprunté une voie que d’aucuns vont peut-être leur reprocher : celle de choisir ce qu’ils avaient envie de raconter en images, celle de laisser des lacunes dans la linéarité du récit, celle de faire des raccourcis rapides… La voie, surtout, de laisser quelques mots de Dante, ici et là, illustrer leurs dessins, alors qu’on aurait pu s’attendre au contraire…
Certes, les extraits écrits de l’œuvre d’Alighieri ont leur importance, ils sont en quelque sorte le fil d’Ariane qui permet au lecteur d’accompagner les frères Brizzi dans les étranges labyrinthes de chairs en souffrance et de décors de pierre, de boue, de fange qu’ils parcourent en compagnie de Dante et de Virgile… Ils rythment, ainsi, à leur manière, ce qui est, en étant montré, raconté, et deviennent également les endroits où l’histoire originelle oublie quelques péripéties, quelques pages, quelques dizaines de pages même, pour laisser la place, en fait, à deux imaginations parallèles et en même temps confondues, celle des idées de Dante, celle du dessin des frères Brizzi.
Mais l’essentiel dans ce livre, ce sont les dessins, ce sont ces noirs et blancs extraordinairement fouillés qui réussissent à créer des univers, au pluriel, dans lesquels l’imaginaire de Dante prend vie avec une évidence étonnante !
Est-ce de la bande dessinée ?…
Oui, parce qu’il y a un récit, ce besoin qu’a Dante de traverser les Enfers pour retrouver Béarice, et redonner vie à son amour, à l’Amour, en fait, cette œuvre étant une longue fable, chrétienne bien sûr, de la mort prenant son sens par la fusion qu’elle crée entre l’Amour majuscule et le majuscule d’un Dieu qui sans amour n’existe pas…
Non, parce les frères Brizzi ont voulu casser le rythme du simple récit.
Et donc, cet « Enfer » est aussi LEUR interprétation… Un livre d’illustration autour d’un thème précis…
Et quand je parle d’illustration, les dessins qui peuplent et hantent les pages de cet album méritent assurément de se retrouver à la proximité immédiate des plus grands de tous les illustrateurs !
L’enfer des Brizzi peut tenir la comparaison, au niveau de l’imagination dans le trait, avec l’enfer de Jérôme Bosch, c’est une certitude: autant de vulgarité dans la souffrance, d’innommable dans ce qui est révélé…
Mais l’art des Brizzi appartient aussi à cette famille dans laquelle se côtoient, au-delà des dérives de la Mort, des gens comme Rops, Doré, Cardon, Gourmelin… Voire même, avec ici un trait infiniment plus fouillé, Topor…
Ce livre, « L’Enfer De Dante » est ainsi, à mon très humble avis, une non-adaptation, mais le résultat d’une véritable inspiration…
Je ne pense pas que je vais essayer de lire l’œuvre originelle…
Les frères Brizzi, en fait, ont réussi avec ce superbe livre, à créer un univers qui devient le leur ! Un livre à ne pas rater!
Jacques et Josiane Schraûwen
L’Enfer De Dante (auteurs : Gaétan et Paul Brizzi – éditeur : Daniel Maghen – janvier 2023 – 160 pages)