Rarement titre d’une exposition n’a été aussi juste : tout l’art de Judith Vanistendael se caractérise, en effet, par son évolution d’album en album…
Cela dit, l’affiche annonce une « rétrospective »… Un bien grand mot pour une carrière certes déjà imposante, mais pour une dessinatrice qui est loin, très loin, d’avoir terminé sa carrière !… Je parlerais plutôt d’un hommage… Un hommage, oui, rendu à une auteure dont les albums, peaufinés, marqués du sceau d’une véritable personnalité graphique, font d’ores et déjà partie des grands moments de l’édition dessinée de ces quinze dernières années !
Le travail de Judith Vanistendael se caractérise, d’abord, par la nécessité qu’elle a de ne pas se répéter, de sans cesse évoluer. Et cette exposition permet, véritablement, de voir tout le cheminement de sa carrière, toute son évolution.
La scénographie de cette rétrospective fait voyager le visiteur dans tous ses albums, chronologiquement, du noir et blanc simple sans être simpliste de « La jeune fille et le nègre » en 2007 au foisonnement de lumières, de couleurs, d’imagination de « La baleine bibliothèque », scénarisé par Zidrou.
Dans cette exposition, on peut découvrir aussi tout le cheminement qui est celui de Judith Vanistendael pour arriver à une planche, voire à un dessin : les ébauches, les crayonnés, corrigés et recorrigés… C’est une dessinatrice prolifique, aux thèmes toujours très ancrés dans notre société et ses réalismes difficiles à vivre. Mais c’est aussi une dessinatrice qui prend vraiment tout son temps pour arriver à mettre sur papier ce qu’elle veut exprimer…
Dessinatrice au style d’une véritable personnalité, ce qui est de plus en plus rare en notre époque où le style « blog » se généralise pour le pire plus que pour le meilleur, Judith Vanistendael aime varier les plaisirs… et les apprentissages!
En travaillant, par exemple, avec des scénaristes. Parmi eux, Zidrou. Mais à chaque collaboration, ce qu’elle recherche, c’est ne pas rester immobile dans sa façon d’aborder le dessin, donc la bande dessinée.
En rencontrant cette auteure, on ne peut qu’être séduit également par sa manière de considérer son métier, sa passion : avec une humilité tranquille, une certaine objectivité. Et même si on peut affirmer, sans se tromper, que dans les livres dont elle est l’auteure complète, certains dessins se suffisent à eux-mêmes pour « raconter », elle considère le texte comme essentiel, lui aussi…
Le texte, oui, dont la construction ne lui est jamais spontanée, tant elle veut qu’il soit révélateur, lui aussi, de la narration.
Nous avons toutes et tous une approche très personnelle du plaisir pris à lire un livre. Quant à moi, et je l’ai déjà dit bien souvent, un livre, bande dessinée, roman, poésie, ne peut me plaire qu’à partir du moment où j’y retrouve, à quelque degré que ce soit, de l’émotion… De la poésie…
Une poésie… Même dans des univers écrits qui en manquent cruellement, tant ils sont ancrés dans nos réalités quotidiennes de moins en moins poétiques.
En fait, ce qui, à mon avis, fait vraiment la valeur d’une œuvre artistique, tableau, photo, film, livre, c’est la chance qu’elle nous permet d’entrer, ne fut-ce qu’un peu, dans un univers qui n’est pas le nôtre, mais qui se révèle pourtant miroir d’une part de ce que nous sommes…
Une exposition superbe, donc, consacrée à une artiste belge, une artiste flamande, et mise en scène avec une simplicité qui fait plaisir, elle aussi. Kurt Morissens, le commissaire de cette exposition, a fait, ma foi, un travail humble, également, pour laisser la place, le plus simplement du monde, à la découverte du talent de Judith Van Istendael. Un travail que Stéphane Regnier, au Centre Belge de la Bande Dessinée, a scénographié avec tout autant d’humilité.
Une exposition à voir, donc, qui nous montre frontalement une dessinatrice moderne dont les albums ne peuvent laisser personne indifférent…
Et je garde en mémoire un dessin extraordinaire de pudeur et d’émotion, à découvrir dans cette exposition, un dessin issu de son livre « David les femmes et la mort » : un lit d’hôpital, un homme y est étendu, et, sur une chaise, une femme le regarde… Judith Vanistendael, c’est une artiste capable, ainsi, de saisir une émotion pure et de la partager…
Jacques et Josiane Schraûwen
Judith Vanistendael : Art Mouvant (exposition au Centre Belge de la Bande Dessinée, rue des Sables, à Bruxelles, jusqu’au 12 novembre 2023)
j’avais beaucoup aimé la façon de traiter l’annonce de la fin de vie et l’attente du dernier moment dans David, les femmes et la mort.
Merci Jacques !
Heddi
Un livre puissant, en effet.