La Vengeance De Zaroff – le retour d’un vrai méchant !…

Un méchant comme il y en a peu dans la bande dessinée, un méchant auquel on s’attache, un méchant (comme Monsieur Choc) qui reste bizarrement humain jusque dans l’horreur la plus totale.

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Le Comte Zaroff, personnage de la littérature, est apparu pour la première fois sous les plumes conjuguées de François Miville-Deschênes et Sylvain Runberg il y a quatre ans. C’était un album qui restait fidèle au roman originel, tout en donnant forme et visage à un personnage hors du commun. A l’époque, j’avais eu le plaisir de rencontrer et d’interviewer le dessinateur, François Miville-Deschênes.

Et les deux auteurs ont voulu redonner vie à ce comte sanglant, en imaginant un futur possible, un futur dans lequel toute la folie meurtrière et calculatrice de ce tueur passionné peut continuer à exister… Et, ma foi, ils ont bien fait !

Nous sommes désormais pendant la guerre 40-45. Zaroff s’est installé dans le Maine, et il y continue ses chasses. Ses chasses à l’homme, bien évidemment… Ailleurs aux Etats-Unis, les membres de sa famille découverts dans le premier album pensent à lui, le recherchent pour des raisons multiples. Mais ce sont les services de l’armée qui le capturent et lui proposent une mission capable de changer le cours de la guerre : aller chercher, en URSS, une scientifique qui pourrait aider à créer, avant les nazis, l’arme la plus redoutable imaginée, une bombe atomique. Zaroff l’accepte, y voyant de quoi, avec l’aval de la guerre, assouvir ses instincts les plus bas !

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A partir de ce canevas, de ce récit plein de violence, de fureur, d’une forme même de sadisme, c’est la notion même de monstruosité qui est ici mise en scène.

Sylvain Runberg et François Miville Deschênes, complices et scénariste efficaces, nous offrent un livre dans lequel leur plaisir est tangible… Plaisir de raconter une histoire extrêmement bien charpentée, plaisir aussi et surtout peut-être de créer ensemble un personnage qui, bien plus qu’ambigu, semble sans cesse être ailleurs. D’être au-dessus… On n’est pas loin, tout compte fait, du mythe du super-homme cher à Nietzche d’abord, à Hitler ensuite.

Par contre, on est totalement à l’opposé du super-héros ! D’où un scénario qui s’avère de culture européenne, tout en usant de codes souvent présents dans les comics américains, pour les ancrer totalement dans la bd dite belgo-française.

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Dans une histoire qui se mêle étroitement, et de façon possible, à la grande Histoire, Zaroff devient en quelque sorte un anti-héros accepté par la guerre et, de ce fait, libre de toute folie, puisque c’est « pour la bonne cause »…

Zaroff n’est pas immoral.

Il n’a nul besoin de règles extérieures, et quand elles lui sont imposées, il les détourne avec une amoralité totale.

Il est chasseur, et y trouvant, voire y créant une certaine noblesse, il en fait la part essentielle de sa personnalité, et ce faisant de SA vérité… De la vérité de la guerre dans laquelle, finalement, il a totalement sa place…

Le comte Zaroff chassant sur ses terres russes, devient presque, pourtant, un personnage de fable « morale » ! Mais à la Sade…

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C’est un livre qui nous fait entrer dans des majuscules, celles de notre société, hier comme aujourd’hui : LA vie, LA guerre, LA famille, LA mort, LA vengeance… Des mondes dans lesquels, finalement, se vivent toujours des chasses aux multiples gibiers !

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Le scénario de ce « retour » est extrêmement construit, à tous les niveaux, avec une touche culturelle importante (Marc-Aurèle). Un scénario proche des personnages, de tous les personnages, même… Avec comme un fil rouge nous disant que le passé pourrait être l’alibi pour le présent… Parce que, comme avec Monsieur Choc, encore une fois, tout vient du passé et y revient !

Dans le scénario, comme dans le dessin, il n’y a rien de trop, et les petits détails anodins trouvent tous une raison d’être à un moment du récit.

Le dessin est d’un réalisme classique, dans le graphisme comme dans le découpage. Un réalisme jusque dans les détails : une goutte au nez d’un des protagonistes perdus dans l’hiver soviétique, le matériel militaire mis en images, aussi… Miville-Deschênes aime les plans cinématographiques, mais sans en abuser. Ce qu’il aime surtout, ce sont les attitudes, des expressions dans les yeux. Son dessin est ainsi très sensitif, exprimant colère comme curiosité, étonnement comme peur, horreur comme plaisir…

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Donner vie à un monstre dont on découvre malgré tout quelques failles, ce n’est pas évident… Et sans essayer de rendre sympathique cette véritable monstruosité humaine, les deux auteurs de ce livre parviennent à ne pas non plus en faire une simple caricature à la limite du fantastique…

Une belle réussite, sans aucun doute… Et dont les dernières images font penser à une possible suite… A, pourquoi pas, une sorte d’héritage de l’horreur gratuite à venir !

Jacques et Josiane Schraûwen

La Vengeance De Zaroff (dessin et scénario : François Miville-Deschênes – scénario : Sylvain Runberg – éditeur : Le Lombard – avril 2023 – 96 pages)