Il y a de ces livres dont on attend beaucoup et qui, finalement, ne sont que décevants ! Voici donc, pour une fois, une chronique « négative »…
Au-delà du dessin, intéressant, un scénario qui, pour le moins, laisse à désirer !
Baudelaire m’accompagne depuis mon adolescence. Il fait partie de ces « phares » qui font de la culture un voyage à taille humaine..
Bien des auteurs se sont penchés, plongés, attardés tant dans l’œuvre de ce poète à l’époustouflante modernité que dans son existence.
Certains de ces livres, bien évidemment, ont été très convenus. D’autres, au contraire, ont cherché à éviter des « déjà-dits » et, ce faisant, à prendre position face au poète, à ce qu’il a écrit, à ce qu’il a vécu.
La morale, tout aussi évidemment, a ainsi orienté des livres se faisant très critiques quant à la moralité de ce poète maudit ! La non-morale à tout autant pris plaisir à tracer de Baudelaire un portrait très tranché, opposé à la bienséance, presque anarchique même.
Et puis, il y a eu Jean Teulé.
Je sais qu’il est de bon ton d’encenser son œuvre et, ma foi, j’ai assez apprécié certains de ses romans, et au moins deux adaptations bd intelligentes qui en ont été faites.
Mais ici, et je sens que bien des reproches vont m’être adressés, je ne peux que constater une chose : Teulé n’a strictement rien compris à Baudelaire. Pire, il en a fait un personnage sans relief, une espèce de caricature d’une époque et de sa bohème. Dans son roman, mais aussi dans cette bande dessinée à laquelle il a participé… Sans doute a-t-il ainsi désiré nous montrer une fin de siècle décadent plus qu’un écrivain hanté par ses mots, heurté par ses maux, génial parce qu’en souffrance, souffrant parce que génial.
Les poèmes ne deviennent ainsi, sans aucune raison narrative, comme des ajouts ici et là pour rappeler que Baudelaire était un écrivain !
Le roman de Teulé ressemble à un Lacan intello bobo un peu provoc se penchant avec narcissisme sur un humain indéfinissable, donc à devoir inventer de toutes pièces !
Certes, il y a dans le roman de Teulé comme dans son adaptation bd des vérités historiques évidentes. Mais il y a surtout la volonté de faire de Baudelaire, à partir de SES vérités, un personnage imaginaire, fictif, au service en quelque sorte du seul égo d’un écrivain contemporain…
Vous l’aurez compris, le roman m’avait vraiment déplu. Un texte fait par un faiseur, pas grand-chose de plus…
Mais j’espérais que la bande dessinée, elle, allait oser s’approcher de plus près du personnage central, axial du récit.
Qu’en est-il ?…
Eh bien, puisque Jean Teulé y a participé, scénaristiquement parlant, tous les défauts du roman s’y retrouvent. Puisque l’écrivain n’a rien compris des gouffres dans lesquels vivait Baudelaire, il est normal que les adaptateurs bd fassent de même. Malheureusement…
Cela dit, le dessin et le découpage ne sont pas mauvais et se révèlent graphiquement efficaces, même si on se perd un peu dans la « reconnaissance » des personnages secondaires. Il y a de très intéressantes références à l’art de l’époque de Baudelaire (qui fut d’ailleurs un critique artistique à relire aujourd’hui !). Il y a aussi un regard, en dessin, sur le vrai et le faux, qui aurait pu dépasser la seule peinture et s’étendre à la littérature, par exemple…
Il y a aussi, une approche graphique qui louche du côté d’Yslaire !… Et je le regrette, parce que les Gelli ont un vrai talent pictural…
Graphiquement, donc, ce n’est pas un échec, mais ce n’est pas non plus la réussite que j’espérais… Surtout dans ces apparitions soudaines de sublimes poèmes de Baudelaire illustrés d’une façon abstraite qui dénote dans l’ensemble de l’album.
En guise de conclusion, permettez-moi de recopier ici une phrase dite par Nadar, en page 126, et qui, à mon sens, résume très exactement l’approche de Baudelaire par Teulé : « … je plains ceux qi le jugent sur ses seules apparences » !
Je plains donc, profondément, Jean Teulé…
Et je ne peux que vous conseiller de vous jeter à cœur et à corps perdu dans les écrits de Baudelaire, et chez Yslaire qui, lui, a pénétré réellement dans un univers essentiel à la littérature universelle… Suivez ces deux liens qui conduisent à des chroniques très différentes de celle-ci : « Mademoiselle Baudelaire » et « Les Fleurs du Mal ».
Jacques et Josiane Schraûwen
Crénom, Baudelaire ! – tome 1. Jeanne (auteurs : Dominique et Tino Gelli, d’après le roman de Jean Teulé – éditeur : Futuropolis – 2023 – 160 pages)