Jean Ray occupe une place particulière dans l’histoire de la littérature belge. Une place essentielle… Et les rééditions de son œuvre parues chez Alma Editeur le remettent -enfin- en lumière. Avec des couvertures somptueuses de Philippe Foerster ! Des couvertures qui retrouvent le sens de l’humour présent, toujours, chez Jean Ray… Des livres qu’on ne trouve malheureusement plus qu’en bouquinerie, mais assez facilement, j’en ai l’expérience… en Belgique, du moins!
Né en 1887 et mort en 1964, Jean Ray est un de ces auteurs prolifiques qui s’est amusé à prendre des tas de pseudonymes… On en répertorie quelque 150, au fil de ce siècle qu’il a traversé. Jean Ray, d’ailleurs, est le plus connu de ses pseudonymes, avec John Flanders, utilisé souvent, en langue flamande, pour des œuvres destinées à la jeunesse.
Il est important de souligner, en effet, que cet écrivain, bilingue, a réussi l’amalgame parfait entre l’âme flamande et l’esprit francophone. Entre la légende et la raison, en quelque sorte…
Sous son nom le plus connu, Jean Ray donc, il se révèle être, sans aucun doute possible, un des écrivains « fantastiques » les plus extraordinaires, les plus exemplaires. Et ce dès les années 20, avec des recueils de contes, mais aussi avec un roman qui reste un des textes les plus importants de cette littérature fantastique, Malpertuis… Qui eut droit à son adaptation cinématographique à moitié réussie, avec Orson Welles, en 1971, et une édition dans la prestigieuse collection « présence du futur » de chez Denoël.
Comme bien de ses confrères, Jean Ray a continué à écrire pendant l’occupation allemande. Et même s’il ne fut à aucun moment politiquement engagé, force est de reconnaître qu’il eut, toujours comme bien de ses confrères, quelques soucis à la libération, dans la mesure où il a pu paraître dans ses écrits antisémite… Le temps, bien entendu, a passé et permet aujourd’hui de remettre en perspective cet aspect de sa personnalité…
Toujours est-il qu’il a fallu les années 1960 et l’intelligence des éditions Marabout pour voir ses œuvres enfin rééditées !
Et aujourd’hui, c’est l’éditeur Alma qui se relance dans un travail de retrouvailles avec cet écrivain hors des normes qui aimait faire peur, mais toujours avec une sorte de sourire à peine déguisé.
Jean Ray, écrivain fantastique…
Imaginons, voulez-vous, un homme simple, à l’allure normale, la quarantaine, un peu bedonnant. Imaginons-le un soir d’automne, tranquillement installé chez lui après une journée de travail et d’habitudes. On sonne à sa porte. Il se lève, va ouvrir. Et se retrouve face à…
Voilà… C’est à ce moment précis que le fantastique prend place, prend vie. Parce que tout, dans ce hasard qu’on ne peut deviner, est possible, surtout l’impensable.
Bien sûr, à partir de ce postulat de faille dans la routine des jours, le fantastique peut prendre bien des formes. Se faire « merveilleux », chez Marcel Aymé ou chez Carroll, par exemple… Se faire cruel, gore, comme chez King… Se faire presque idéologique et psychiatrique comme chez Lovercraft… Ou alors, comme chez Jean Ray, laisser s’ouvrir des fenêtres de toutes sortes, en une sorte de jeu de piste dans lequel chaque miroir de mots reflète d’autres mots venus d’ailleurs.
Chez tous ces écrivains, c’est à chaque fois un monde nouveau qui se créé, le temps d’un livre, d’un conte, d’une nouvelle.
Et chez Jean Ray, on peut dire que son fantastique nous montre un univers qui, tout en étant le nôtre, s’ouvre à des réalités impossibles, ou en tout cas inacceptables, d’horreur, d’ailleurs, de mort sans cesse redéfinie. Et, en relisant ses pages lues il y a bien longtemps aux heures de mon adolescence, je suis en admiration devant le nombre de références ésotériques qui, parsemant les récits, rendent tout plausible… Et, surtout, je retrouve les frissons que j’avais à 16 ans, cette espèce d’angoisse intangible qui naissait du possible de réalités parallèles auxquelles l’humain, dans sa grande majorité, reste aveugle…
Chez Jean Ray, plusieurs lectures sont toujours possibles, et il a le talent étonnant de mélanger le vrai et le faux, sans arrêt, de faire référence à des ouvrages ésotériques, religieux, folkloriques existants, et de créer de toutes pièces d’autres références nées de sa seule narration.
Son fantastique est sans doute aussi celui du rêve, dans toutes les acceptations du terme, de la pureté de l’amour au cauchemar de la mort.
C’est d’ailleurs ce que nous dit une des phrases trouvées dans son livre « Saint-Judas-De-La-Nuit » : « Insensé qui somme le rêve à s’expliquer » !
A ce titre, bien des textes de Jean Ray restent volontairement « ouverts »… A ce titre aussi, on peut, je pense, sans se tromper, parler chez lui d’un fantastique poétique, dans la filiation de Lautréamont, de certains poèmes de Baudelaire, voire du bateau ivre de Rimbaud.
Ce qui ne l’empêche jamais de faire le portrait d’une époque, certes, mais aussi des influences néfastes de la religion, en faisant sans cesse appel, dans ses textes, au Mal absolu face à un Bien infiniment moins puissant…
Je pense que Jean Ray, immense écrivain belge, a touché du bout des mots une vérité inaltérable : la solitude de l’humain face aux rendez-vous de la camarde…
On ne choisit pas, je pense, d’être solitaire… On l’accepte, parce qu’il faut bien… Et puis, petit à petit, on remarque qu’on ne reste pas seul, jamais…
Les personnages de Jean Ray ne fuient pas la solitude. Ils en subissent des étranges présences qui les déshumanisent. Avec, cependant, quelques lueurs inattendues, ici et là, toujours liés à un sentiment amoureux, même fugace et généralement éphémère.
Je l’ai dit, Jean Ray a été extrêmement prolifique. Il a même, dans les années trente, touché, en tant que scénariste à une forme désuète de bande dessinée, à ma connaissance (mais je me trompe peut-être) en langue néerlandaise…
Cela dit, la bande dessinée s’est intéressée à lui, bien évidemment. Avec une série, dessinée par René Follet, « Edmund Bell », de l’aventure dans laquelle le fantastique occupe une place, ma foi, assez sage.
Avec également les aventures de « Harry Dickson », une série de romans policiers dans lesquels la science et le fantastique jouent jeu égal avec les enquêtes proprement dites. Plusieurs dessinateurs se sont suivis, et le dernier album, paru cette année chez Dupuis, est dessiné par Onofrio Cagacchio et réussit à retrouver le style et l’ambiance des romans de Jean Ray.
Lisez, ou relisez Jean Ray… Il y a chez cet auteur quelque chose d’unique, dans la facilité qu’il a à raconter des histoires qui font peur, mais avec plaisir, et à nous plonger ainsi dans des réflexions qui dépassent toujours le simple récit…
Et cette réédition mérite encore plus le détour par le plaisir qu’il y a à voir illustrés, en couvertures sombres et souriantes, les textes de Jean Ray par Philippe Foerster !…
Jacques et Josiane Schraûwen
Rééditions des œuvres de Jean Ray chez Alma Editeur
bonjour, toujours un plaisir de voir que jean Ray/Flanders n’est pas oublié.
Inquiété un peu à la Libération sans doute plus pour avoir eu du succès sous l’occupation ( Henri Vernes le rencontre pour la 1e fois lors d’une soirée » littéraire » avec allemand dans la place ) que pour ces rares traces tendancieusement antisémites.
Personnellement je retrouve difficilement l’ambiance rayene dans la dernière adaptation bd chez Dupuis, pour fort sympathique qu’elle fusse.
Et petite précision: Alma n’édite plus Jean Ray depuis fin 2022, se contentant d’épuiser son stock, ce qui est hélas déjà le cas, ses ouvrages deviennent introuvables, même en occasion sur le net. Aujourd’hui les ayant-droits restent très compliqués dans leur gestion des publications, surtout en France. Pour le moment ces dernières sont maintenant dispersées: Malpertuis vient de paraitre chez 10/18 en début d’année, suivie des derniers contes de canterbury à la rentrée chez l’Arbre vengeur. Cela semble plus simple en Belgique avec Espace Nord depuis quelques années maintenant avec leurs superbes couvertures
Merci pour votre réaction… J’ai d’ailleurs modifié quelque peu l’introduction de ma chronique dans le sens de votre remarque… Et pour accentuer encore le plaisir que j’ai à regarder, toujours, les dessins de Foerster…
Jacques
merci de votre commenatire
pour le côté « antisémite », l’intérêt des éditions Alma et du travail du spécialiste Huftier est d’avoir remis les textes originaux, expurgés à l’époque par Marabout ( notamment sur les Dickson)
Ray a aussi fait quelques bd en français ( dans petits belges notamment) , très moyennes, en plus de celle en néerlandais- avec texte sous le dessin – dans » Bravo » ( éditées en fac-similé et traduite en français chez » l’amicale jean ray » , voir leur site , qui édite aussi des livres documentaires sur Ray, des réédition d’ouvrages rares , ses textes hors romans etc )
Pour Foerster, ses originaux de couvertures rendent encore mieux , il a fait quelques expos franco-belges avec , une idée sur la page facebook sur Ray/flanders
https://www.facebook.com/groups/2646399928931834/search/?q=foerster%20