Une « bd jeunesse » réjouissante qui nous bal(l)ade dans un monde qui ressemble au nôtre, mais avec humour, tendresse, folie…
Dans l’univers de la bande dessinée (comme dans tous les autres univers culturels d’ailleurs), les modes sont nombreuses. Et chacune d’entre elles crée, après d’excellents livres précurseurs, des tas d’œuvres préformatées, imitatrices, sans grand intérêt. Il faut oser le dire…
La mode de l’heroic fantasy n’y a pas échappé, loin s’en faut. Et se multiplient encore des aventures dont les scénarios ressemblent à une étrange mixture mêlant fantastique, imaginaire, horreur, monstre, magie, que sais-je encore !
Et puis, dans un monde où l’imagination me semble trop souvent faire défaut, il y a parfois d’excellentes surprises. « Le Grand Migrateur » en fait partie.
D’abord parce qu’il ne sacrifie pas à la facilité de codes bien établis et qu’il nous fait ainsi découvrir un récit coloré sans elfes, sans magie omniprésente, le récit d’un périple humain en quelque sorte.
Dès lors, il m’a paru intéressant de demander aux deux auteurs, Augustin Lebon et Louise Joor, quelle était leur vision de l’heroic fantasy.
Résumer cet album est assez simple. Nous nous trouvons sur une planète qui ressemble à la nôtre et qui est menacée par la « glaire noire ». Odette, une vieille dame irrespectueuse, pense que ce danger de destruction vient du fait que les humains ont décimé les géants qui, tous les 200 ans, migraient vers le nord, région de la planète couverte par cette glaire noire prête à tout engloutir.
Et voilà qu’un géant sort de sa léthargie, et qu’Odette, accompagnée du falot Childebert, décide de protéger ce monstre dont elle devine qu’il peut sauver leur monde.
A partir de ce point de départ, l’Aventure déroule ses péripéties dans des paysages variés, chauds et froids, réjouissants ou horrifiants. A partir de ce point de départ, surtout, ce livre mêle plusieurs destins, plusieurs personnages, parfois complices, parfois antinomiques.
Cela dit, ce n’est pas un récit choral. C’est une histoire, simplement, qui permet aux auteurs de se lancer dans des tas de portraits. Et, ce faisant, d’aborder des thématiques nombreuses, toutes proches des réalités de notre propre domaine terrestre.
Dans ce grand migrateur, on parle de différences physiques, de différences d’idées. Avec ce dialogue savoureux :
« – Il est peut-être jeune, ou simplement différent. »
« – C’est pareil. »
On parle aussi de la vie se voulant éternelle et toujours confrontée à la mort. On y parle de la rumeur, de ce que peut révéler une légende, on y parle de la lâcheté, de la folie. Et comme dans une fable presque surréaliste, on y montre que la vie sans « parasites » répugnants n’est pas vraiment pensable et vivable.
C’est un livre, je le disais plus haut, de bd jeunesse. Sans mièvrerie, avec un vrai méchant, avec, par petites notes, ce sentiment de peur qui apparaît et permet aux rêves de se construire.
L’enfance est tout un pays à elle seule, et c’est un peu elle que les auteurs de ce grand migrateur ont laissé entrer dans leur livre… Par le texte, mais aussi par un dessin parfois tout en transparence, avec une utilisation de la couleur qui progresse au rythme des saisons et des lieux, et permet au dessin de Louise Joor de créer ses propres lumières.
« Le Grand Migrateur » est un album résolument actuel, par ses thématiques comme par son graphisme. Mais c’est aussi et surtout un livre parfaitement assumé, avec un univers très personnel qui devrait sans difficulté plaire à un jeune public. Mais pas seulement !….
Jacques et Josiane Schraûwen
Le Grand Migrateur (dessin : Louise Joor – scénario : Augustin Lebon – éditeur : Rue De Sèvres – 2023 – 75 pages)