Bandes dessinées anciennes : La Diva Et Le Kriegspiel

Bien sûr, la bande dessinée est un art vivant, merveilleusement et « plantureusement » vivant ! Mais quel plaisir de se plonger, aussi, dans des albums qu’on ne trouve plus en magasin… Et dont la qualité mérite assurément de les (re)découvrir !

copyright dargaud

Nous sommes à la toute fin de la guerre 40-45 en France. Dans les profondeurs de la campagne, après une arrestation faite par les résistants, une femme est interrogée. Et au cours de son interrogatoire, elle va écouter son accusateur décortiquer ce que fut sa vie, ce qui l’amena à vivre du mauvais côté, désormais, de la barrière du pouvoir. D’abord silencieuse, elle va, peu à peu, se dévoiler, se révéler, et révéler en même temps non pas ses doutes, mais ses indifférences et, surtout, son manque total d’intérêt pour tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une quelconque idéologie politique.

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Cet album nous montre cette existence… L’existence d’une gamine simple, venue d’un milieu modeste, et dont le don pour le chant classique va lui permettre de devenir une vedette… Camille, cette Diva en devenir, cette amoureuse de la musique, va ainsi passer de l’adolescence inquiète à la gloire incontestable, tout en traversant les années trente en se rendant compte, certes, de la chance qu’elle a, au cours de quelques rencontres essentielles, de pouvoir pratiquer cet art pour lequel elle est faite, mais ne se rendant nullement compte, en même temps, de la transformation insidieuse de la société dans laquelle elle devient une privilégiée…

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Le scénariste Christin nous concocte ici un scénario extrêmement bien construit, nous contant deux récits en même temps : celui d’une existence d’abord, celui ensuite d’un interrogatoire dont on devine le verdict final… J’avoue ne jamais avoir été un fan de Pierre Christin, le trouvant par trop idéologue très souvent. Mais cet auteur a participé pleinement à l’Histoire de la bd dans les années 60, dans le mythique journal de Pilote… Il a été de ceux qui ont réussi à parler des vérités politiques de la société qui est la nôtre, même à travers Valérian, son héros SF…

Dans cet album-ci, il se fait observateur plus que pamphlétaire engagé. Il nous montre à voir des existences que le hasard seul, souvent, a forgées. C’est le cas du père de Camille, l’héroïne, de son impresario aussi… Et s’il est vrai que quelques personnages sont traités avec un certain manichéisme, ce qui appartient, avouons-le, à son style, la plupart d’entre eux, même en n’étant que des silhouettes, ont du corps… Ce dont il nous parle, en fait, c’est sans doute d’abord de la justice, expéditive… On la dit aveugle, Christin nous la montre aussi se prostituant et changeant d’amant avec une facilité répugnante… A ce titre-là, comment ne pas dire, haut et fort, que ce livre n’est pas une fable, et que les réalités de la justice, sur notre petite planète, n’ont pas vraiment changé…

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Le dessin d’Annie Goetzinger, une des véritables grandes dames du neuvième art, une dessinatrice au talent évident que j’ai eu le plaisir et la chance de croiser, d’interviewer aussi, est somptueux… Un découpage original, un ensemble d’ambiances variées, des couleurs en adéquation avec les remous du récit, tout cela contribue avec puissance à faire de cet album une œuvre majeure.

Pierre Christin et Annie Goetzinger ont réussi, oui, à rendre palpable un quotidien totalement ambigu, celui d’une fin de guerre, de son épuration, et cela sans grands discours, mais en parlant simplement d’une vie, de l’art, de l’indifférence, de l’existence, en fait, de tous les jours, pour les nantis comme pour les autres…

Jacques et Josiane Schraûwen

La Diva Et Le Kriegspiel (dessin : Annie Goetzinger – scénario : Pierre Christin – éditeur : Dargaud – 1981)

Une réflexion sur “ Bandes dessinées anciennes : La Diva Et Le Kriegspiel ”

  • 1 octobre 2023 à 10 h 33 min
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    Merci pour cette relecture d’une “vieille” bd. Et bon dimanche et à bientôt

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