Bandes dessinées anciennes : L’Iliade

Bandes dessinées anciennes : L’Iliade

Tout le monde, je pense, connaît ce nom : « Iliade »… Presque tout le monde connaît l’auteur de ce que d’aucuns  considèrent comme le tout premier roman : Homère… Mais sommes-nous vraiment nombreux à savoir ce que raconte ce livre ?…

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Je l’avoue d’ailleurs humblement, je n’avais qu’une connaissance extrêmement succincte de la mythologie grecque et des péripéties entre dieux et humains qui sont racontées dans cette Iliade. L’Odyssée, oui, on la connaît mieux… On en connaît en tout cas certains épisodes, les sirènes, les cyclopes, la tapisserie qui n’en finit pas, l’animal qui reconnaît son maître…

Et donc, un jour, deux auteurs se sont lancés le défi de raconter, en bd, la guerre de Troie, contenu essentiel du récit de l’Iliade d’Homère…

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Jacques Stoquart était un scénariste prolifique, classique, traditionnel… On voit son nom entre autres au générique des Castors, d’Ivan Zourine, de Stany Derval, de Valhardi et de l’excellent et méconnu Wen… C’était un écrivain précis, parfois un peu sec dans les récits qui méritaient de l’émotion. Mais il était inventif et capable d’organiser des narrations récits pour qu’elles soient à la fois passionnantes à lire et quelque peu didactiques également. Un scénariste à l’ancienne, donc, et ce terme, croyez-moi, n’a rien de péjoratif, que du contraire ! Un scénariste qui, à sa manière, avec sérieux, se mettait au service des personnages qu’il faisait vivre et, surtout, des dessinateurs avec lesquels il travaillait…

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René Follet, quant à lui, était un artiste à part entière, un amoureux de son art, un de ces êtres qui, d’ailleurs, s’effaçaient derrière son graphisme… Pour l’avoir rencontré, je ne peux que souligner son humilité, qui n’avait rien de feint, loin s’en faut ! C’était un honnête homme, comme on disait au dix-neuvième siècle… Un « chic type » comme on disait dans le scoutisme, et le guidisme, dont il a été un illustrateur. On a souvent parlé d’une filiation avec Pierre Joubert… Je trouve personnellement que sa manière de jouer avec les proportions, les perspectives, le rapproche plus d’un autre dessinateur-illustrateur, Pierre Forget. Son dessin, capable tantôt d’être épique, tantôt d’être intimiste, sa manière parfaite de construire ses planches avec un sens de la lecture qu’elles permettront à ses lecteurs, sa façon, en quelque traits, de créer un paysage, telles sont quelques-unes de ses qualités que bien de ses pairs, l’immense Emmanuel Lepage par exemple, ont souvent soulignées.

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Et donc, au début des années 80, ils ont publié cet album qu’on pourrait qualifier de « vulgarisation littéraire et artistique »… En s’inspirant profondément du texte de Homère, mais en l’éclairant parfois de ce que la véritable Histoire a retenu de cette guerre qui a bien eu lieu, ils sont parvenus, avec une limpidité étonnante, à rendre lisible cette épopée dans laquelle dieux et humains n’arrêtent pas de mélanger leurs réalités… A donner envie aussi, d’ailleurs, de lire Homère, de se lancer dans la découverte de cette mythologie grecque et de sa religion surprenante dans laquelle les dieux éprouvent tous les sentiments humains et s’amusent, dès lors, à jouer avec leurs adorateurs.

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L’iliade de Follet et Stoquart a un souffle qui doit, j’en suis certain, régner dans l’œuvre d’Homère ! Et j’ai adoré cette manière qu’a eue le scénariste, et donc le dessinateur, de montrer, en préliminaire et en conclusion, un vieux conteur croisant la route d’un touriste dans des ruines grecques…

Du noir et blanc, du grand format… Un livre pas évident à trouver, sans doute, mais cela vaut la peine, croyez-moi, de chercher !

Jacques et Josiane Schraûwen

L’Iliade (dessin : René Follet – scénario : Jacques Stoquart – éditeur : Glénat – 1982 – 94 pages)

Bandes dessinées anciennes : La Diva Et Le Kriegspiel

Bandes dessinées anciennes : La Diva Et Le Kriegspiel

Bien sûr, la bande dessinée est un art vivant, merveilleusement et « plantureusement » vivant ! Mais quel plaisir de se plonger, aussi, dans des albums qu’on ne trouve plus en magasin… Et dont la qualité mérite assurément de les (re)découvrir !

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Nous sommes à la toute fin de la guerre 40-45 en France. Dans les profondeurs de la campagne, après une arrestation faite par les résistants, une femme est interrogée. Et au cours de son interrogatoire, elle va écouter son accusateur décortiquer ce que fut sa vie, ce qui l’amena à vivre du mauvais côté, désormais, de la barrière du pouvoir. D’abord silencieuse, elle va, peu à peu, se dévoiler, se révéler, et révéler en même temps non pas ses doutes, mais ses indifférences et, surtout, son manque total d’intérêt pour tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une quelconque idéologie politique.

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Cet album nous montre cette existence… L’existence d’une gamine simple, venue d’un milieu modeste, et dont le don pour le chant classique va lui permettre de devenir une vedette… Camille, cette Diva en devenir, cette amoureuse de la musique, va ainsi passer de l’adolescence inquiète à la gloire incontestable, tout en traversant les années trente en se rendant compte, certes, de la chance qu’elle a, au cours de quelques rencontres essentielles, de pouvoir pratiquer cet art pour lequel elle est faite, mais ne se rendant nullement compte, en même temps, de la transformation insidieuse de la société dans laquelle elle devient une privilégiée…

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Le scénariste Christin nous concocte ici un scénario extrêmement bien construit, nous contant deux récits en même temps : celui d’une existence d’abord, celui ensuite d’un interrogatoire dont on devine le verdict final… J’avoue ne jamais avoir été un fan de Pierre Christin, le trouvant par trop idéologue très souvent. Mais cet auteur a participé pleinement à l’Histoire de la bd dans les années 60, dans le mythique journal de Pilote… Il a été de ceux qui ont réussi à parler des vérités politiques de la société qui est la nôtre, même à travers Valérian, son héros SF…

Dans cet album-ci, il se fait observateur plus que pamphlétaire engagé. Il nous montre à voir des existences que le hasard seul, souvent, a forgées. C’est le cas du père de Camille, l’héroïne, de son impresario aussi… Et s’il est vrai que quelques personnages sont traités avec un certain manichéisme, ce qui appartient, avouons-le, à son style, la plupart d’entre eux, même en n’étant que des silhouettes, ont du corps… Ce dont il nous parle, en fait, c’est sans doute d’abord de la justice, expéditive… On la dit aveugle, Christin nous la montre aussi se prostituant et changeant d’amant avec une facilité répugnante… A ce titre-là, comment ne pas dire, haut et fort, que ce livre n’est pas une fable, et que les réalités de la justice, sur notre petite planète, n’ont pas vraiment changé…

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Le dessin d’Annie Goetzinger, une des véritables grandes dames du neuvième art, une dessinatrice au talent évident que j’ai eu le plaisir et la chance de croiser, d’interviewer aussi, est somptueux… Un découpage original, un ensemble d’ambiances variées, des couleurs en adéquation avec les remous du récit, tout cela contribue avec puissance à faire de cet album une œuvre majeure.

Pierre Christin et Annie Goetzinger ont réussi, oui, à rendre palpable un quotidien totalement ambigu, celui d’une fin de guerre, de son épuration, et cela sans grands discours, mais en parlant simplement d’une vie, de l’art, de l’indifférence, de l’existence, en fait, de tous les jours, pour les nantis comme pour les autres…

Jacques et Josiane Schraûwen

La Diva Et Le Kriegspiel (dessin : Annie Goetzinger – scénario : Pierre Christin – éditeur : Dargaud – 1981)