Fernando Pessoa… Un des écrivains les plus importants du début du vingtième siècle. Un auteur portugais dont la présence hante encore les rues de Lisbonne.
Et le dessinateur Nicolas Barral a décidé de nous parler de lui. Et la manière qu’il a choisie pour le faire lui permet de contourner tous les pièges qu’une biographie, dessinée ou littéraire, peut présenter de manichéisme, de simplification, de multiplication de dates et de titres d’œuvres.
Et si Nicolas Barral a choisi cette façon de créer son album, c’est sans aucun doute pour mieux cerner la personnalité de Pessoa… Mais, également, de réfléchir, dans ses dessins comme dans son découpage, dans ses textes aussi, à sa propre réalité d’artiste…
Nous sommes donc à Lisbonne, en novembre 1935, et Fernando Pessoa, à 47 ans, vit ses dernières semaines, ses derniers jours. Comme cela se passe encore aujourd’hui dans tous les médias, il faut préparer une nécrologie. Ce travail est confié, par le journal «Diario de Lisboa », à un jeune stagiaire, Simao Cerdeira.
Un jeune homme qui, ne connaissant rien, ni de l’homme ni de son œuvre, va suivre ses pas dans cette ville qui l’a vu écrire… Il va suivre ses pas, oui, sans le rencontrer, mais en rencontrant ses amis, ses proches, ceux qui l’ont croisé…
Et petit à petit, ainsi, il va tenter de comprendre et l’œuvre et son auteur… Une œuvre extrêmement variée, puisque Pessoa s’est amusé, pendant toute sa vie, à user de différents pseudonymes… Le stagiaire comprend que ce n’étaient pas de simples pseudos, mais, à chaque fois, un auteur différent, dans ses thématiques, dans son écriture… Une écriture, celle de Pessoa, comme celle de Barral se faisant son biographe…
Pessoa, découvre-t-il en même temps que son personnage de journaliste stagiaire, était tantôt un poète parfois mystique, tantôt un idéologue de la modernité et d’une forme de futurisme littéraire, tantôt encore un penseur disciple d’Oscar Wilde.
Pessoa était écrivain multiforme, un être totalement « intranquille », comme l’indique le titre d’un de ses livres… L’approche de cet écrivain, dans ce livre-ci, est telle qu’il en résulte, par la grâce du talent, tranquille lui, de Barral, une sorte de portrait sans ostentation, le journal éclaté d’une vie sans événements, une addition de souvenirs vrais ou faux…
C’est un livre étonnant que nous offre Nicolas Barral. Un livre qui parle d’écriture, d’abord et avant tout, au travers d’une approche humaniste d’un auteur sublime, un écrivain disant « les bouquins me jugent ». Un écrivain qui nous est raconté au travers, finalement, d’un anti-portrait réalisé par petites touches quotidiennes.
Entre rêve et réalité, dès l’enfance, Fernando Pessoa s’est créé des univers très différents les uns des autres, tant au niveau de ses thématiques que de ses styles. Proche de Wilde, mais défenseur, à une époque, de la dictature, cultivant ainsi mille papillons de la mémoire, attiré comme Baudelaire par le gouffre, proche du « je est autre » rimbaldien, exilé à lui-même, mystique parfois, réaliste aussi, résolument moderne dans le paysage littéraire du début du vingtième siècle, Pessoa avait le génie de l’intelligence.
Certes, on peut être quelque peu dérouté par cet album qui, sous l’alibi d’une approche biographique d’un être exceptionnel, se révèle aussi être une démarche poétique extrêmement personnelle de la part de Nicolas Barral.
Le résultat de tout cela étonne, déroute, oui… Mais il est d’une totale réussite ! En rendant un hommage extrêmement vivant à un écrivain universel et essentiel !
Jacques et Josiane Schraûwen
L’Intranquille Monsieur Pessoa (auteur : Nicolas Barral – éditeur : Dargaud – septembre 2024 – 136 pages)