La suite d’une série pleine de méchanceté, de fureur, d’amour, dans un Canada dirigé par des Français essayant d’y recréer les fastes de Versailles…
Dans le premier volume de cette bande dessinée, nous avons abandonné le chevalier de Saint-Sauveur, chassé de la cour, et envoyé au Canada, en compagnie de ses deux serviteurs, un Indien, un sauvage « éduqué, et un Français éclairé par ces Lumières venues de chez Rousseau, Voltaire, D’Alembert…
Libertin, manipulateur, ambitieux, mais totalement rejeté par cette société faite de bijoux, de dentelles, cet homme lubrique et libertin, ne respectant les femmes qu’au creux de lits accueillants, n’ayant qu’un regard « nanti » sur une société qui est en train de changer, haïssant, en fait, tout ce qui n’est pas lui, ce Chevalier de Saint-Sauveur arrive donc en Nouvelle France, fuyant ses dettes et les menaces de mort qui pèsent sur lui… Mais il n’a rien perdu de sa morgue et de sa certitude d’appartenir à l’élite de l’humanité !
Et pour pouvoir retourner en France, ce chevalier sans aucune morale va devoir réaliser une mission… Déshonorer le marquis d’Archambaud en réussissant à marier sa fille, la belle Aimée, à un « sauvage »… Ce deuxième tome nous fait donc assister au plan machiavélique de ce triste sire, moins galant que prétentieux, pour arriver à ses fins. Il nous le montre, également, sans vergogne user et abuser des femmes qu’il rencontre en ce Canada inconnu et qui, sans qu’il s’en rende compte sans doute, usent de lui comme il use d’elles…
Cette série bd nous remet en face d’un style littéraire devenu désuet : celui du roman épistolaire. Désuet, oui, de manière injustifiée, tant il est vrai que c’est un moyen narratif qui permet de cerner, par les mots, les caractères et les vérités de tous les protagonistes se mettant ainsi à écrire, par conséquent à communiquer, donc à se révéler…
Et en bande dessinée, cela permet un découpage tout à fait original mêlant dialogues et descriptions aux mots de ces lettres que rédigent le chevalier comme la belle Aimée, Gonzague, le serviteur, comme Adario le sauvage… Une des belles réussites de cette série est le talent de son scénariste Ayrolles à, justement, utiliser des langages différents, des tournures de phrases variées pour que chacun des intervenants ait sa propre façon de parler, de penser, donc d’être et de se raconter…
Une autre réussite, c’est le dessin somptueux de Guérineau, tant dans l’approche qu’il a, lumineuse, des scènes de « salon », de courbettes et de dentelles que dans la restitution des paysages presque ennemis de ce Canada perdu loin de tout. Il y a là, narrativement, graphiquement, toute une série d’oppositions visibles des individus qui sert le propose initial de cette saga : nous parler, en contre-champ, de ce que sont ces « Lumières », de ce que sont leurs reflets, de ce que sont les forces vives qui, sans cesse, les combattent. C’est aussi grâce au dessin, en effet, que cette série bd se fait, véritablement historique.
Vous l’aurez compris, ce deuxième tome abandonne, pour un temps sans doute, la vieille Europe, en faisant découvrir que ces fameux sauvages que l’on dit sans âme ont des regards et des qualités dignes de toutes les noblesses, dont le sens de l’humour !… Celui de « l’esprit », plutôt, qui, régnant à la cour, cache aux nantis la misère du peuple… Le Chevalier fait-il encore partie de cette noblesse, lui qui passe sa vie à passer d’échec en échec ?…. Nous le saurons dans le troisième volume, certainement !
Deux albums, pour l’instant, dans cette petite histoire de la grande Histoire… Deux albums passionnants, tout simplement… Une série qui fait plus que se laisser lire, qui nous dessine un univers de courtisans et de citoyens qui, pourquoi se le cacher, ressemble quand même énormément à notre monde !
Jacques et Josiane Schraûwen
L’Ombre des Lumières – 2. Dentelles et Wampum (dessin : Richard Guérineau – scénario : Alain Ayroles – éditeur : Delcourt – septembre 2024 – 70 pages)
Pour en savoir plus sur le tome 1 : https://bd-chroniques.be/index.php/2023/11/29/lombre-des-lumieres-1-lennemi-du-genre-humain-une-bande-dessinee-epistolaire/