J’aime, vous le savez, remettre en lumière parfois des livres qui ne font pas partie des nouveautés. C’est le cas avec cet album de circonstance datant d’il y a deux ans et qui mérite, assurément d’être redécouvert !
Rarement œuvre littéraire ne fut autant adaptée au fil du temps que ce conte de Charles Dickens, édité en 1843 ! Le théâtre, le cinéma, la radio, la télévision, la chanson, la musique classique, le ballet, la littérature aussi, jusqu’à la science-fiction, et la bande dessinée bien entendu se sont inspirés avec plus ou moins de réussite de ce livre immortel. Un récit qui, depuis presque deux siècles, habite l’inconscient collectif, partout dans le monde, tant les sujets qu’il traite avec des mots simples, des mots de tous les jours, sont des sujets qui, malheureusement, restent d’actualité d’époque en époque…
Pour rappel, donc, l’histoire est d’une belle simplicité, en effet, et plonge dans un fantastique à l’anglaise, plein de brumes, de lieux hantés, de personnages inattendus. Scrooge est un avare, un de ces êtres pour qui l’argent est plus important que les gens. Un être veule, vil, une sorte de caricature de ce qu’était, au dix-neuvième siècle, la bourgeoisie… De ce qu’elle reste, depuis, comme l’a chanté Brel… Et ce personnage va, le temps d’une nuit de Noël, rencontrer trois fantômes. Celui des noëls d’hier, celui du noël présent, celui des noëls futurs. Face à ces trois images de lui-même, Scrooge va, puisque c’est aussi un conte pour enfants, changer, comprendre ses erreurs, et les corriger.
Et donc, après entre autres De La Fuente et Mittei, José-Luis Munuera s’est attaqué à son tour à ce vrai monument de la littérature mondiale.
Mais il s’agit, totalement, d’une adaptation… Une relecture, en quelque sorte, d’une œuvre qui, de ce fait, ne perd rien de sa puissance d’évocation, de son ancrage dans tous les quotidiens qui sont ceux de la planète aujourd’hui, mais une relecture qui change, en quelque sorte, les angles de vue, les perspectives de vie…
L’époque originelle reste la même. Par contre, le personnage central, lui, est une femme, belle, séduisante, une femme de « pouvoir » dans un monde d’hommes, une femme, Elisabeth, qui n’a jamais voulu, comme les autres femmes, se soumettre à un homme, à des habitudes, à des contraintes et qui, de ce fait, ne peut qu’être détestée… Et, étant détestée, ne peut qu’accentuer ses spécificités dans une forme de provocation presque sociétale… Et, étant ce qu’elle est, et malgré les remous intimes que les trois spectres éveillent en elle, elle refuse également d’être dépendante de ces sentiments qu’elle ne se connaissait pas… Elle dialogue avec les fantômes, elle ne s’en laisse pas conter, se sait être la méchante de l’histoire d’elle que lui racontent les trois fantômes, mais affirme haut et fort que, dès lors, face aux injustices d’une société pourrissante, Dieu, lui, est un dément…
C’est donc bien plus à une joute qu’à un dialogue qu’on assiste dans ce livre… Entre une femme haïe, et détestée avec de bonnes raisons, et Dieu et ses esprits ! Une joute verbale dont personne ne sort vainqueur, ou, plutôt, que tout le monde remporte à sa manière ! Mais tranquillisez-vous… La morale chère à Dickens n’est pas gommée dans cet album, que du contraire. Mais elle n’est plus née du hasard d’une sorte de conte de fées, mais de la revendication d’une femme de pouvoir, dans tous les sens du terme, influer sur les heures qui passent et tuent à coups d’injustices sociales.
Dickens a intitulé ce livre « Chant de Noël », le construisant un peu comme une partition faite de mots. Munuera lui est fidèle, faisant de son dessin, et de son découpage en chapitres distincts, une sorte de poème musical, évitant cependant une bonne partie des ambiances glauques que le livre orignal de Dickens peut revêtir parfois. Il faut, à ce titre, souligner le travail de Sedyas, responsable éclairé de la couleur et de la lumière ! Cet album de Noël est lumineux, oui… Moderne aussi… Par la grâce d’un l’auteur qui parvient, avec une belle maîtrise, à sortir des influences graphiques et narratives de sa jeunesse tout comme de quelques fourvoiements inutiles (Les Tunique Bleues, par exemple, au scénario de je ne sais plus qui insignifiant). C’est comme auteur à part entière que Munuera se place, croyez-moi, dans la petite cohorte des artistes complets, capables d’épique comme de poésie, dans le texte comme dans le dessin !
Avec de vraies questions presque philosophiques, ce livre-conte-de-Noël est bien plus que séduisant… Il redessine, à sa manière, cette magie étrange qui, une fois par an, fait rêver à un monde meilleur… Et même si Munuera se demande pourquoi se sent-on obligé de participer à un bonheur imposé par la tradition, même s’il se pose la question des pouvoirs de cette tradition et de leur raison d’être, c’est un vrai livre de Noël qu’il nous offre ! Un livre qui n’a que deux ans d’âge, et que je vous conseille, ardemment, de vous procurer chez votre libraire favori…
Jacques et Josiane Schraûwen
Un Chant De Noël – Une Histoire De Fantômes (auteur : José-Luis Munuera d’après Charles Dickens – couleurs : Sedyas – Editeur : Dargaud – novembre 2022 – 80 pages)