Moody Rouge – Un manga, une autrice française

Je ne suis ni fan ni spécialiste de l’univers des mangas, je l’avoue humblement. Par contre, j’ai toujours eu la curiosité de la découverte, le plaisir de franchir des pas au bout desquels la surprise peut être au rendez-vous…

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Et ce fut le cas avec cet album-ci… Un manga, certes… Mais teinté d’une légère forme occidentale, par les lieux décrits, par la construction narrative aussi… Une bande dessinée, simplement, aux codes japonais, mais aux mains d’une jeune autrice européenne au talent évident.

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Moody Rouge, c’est ce qu’on appelle un « manga horrifique ». Un manga dont l’autrice, Ariane Astier, s’approprie les codes propres à ce genre, elle se plonge et nous plonge en même temps dans un univers qui ressemble à un puzzle… Et son récit qui s’inspire à la fois du fantastique occidental, et je pense à Jean Ray et à Stephen King, et à une forme japonaise de conjuguer l’horreur au quotidien, et qui se révèle envoûtant comme tout fantastique se doit d’être.

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C’est un livre, disons-le, déconcertant… Je parlais de puzzle, et le mot me semble bien choisi. La narration se balade, en même temps que son personnage central, entre réel et songe, entre souvenance et réalité, nous donnant, comme à son héros, des pistes de (re)connaissance éparses et nombreuses. Mais c’est aussi un livre dans lequel, comme Ariane Astier me l’a dit, on peut se laisser emporter sans vraies difficultés…

Ariane Astier

Et comme le choix a été fait de traiter le réel à travers le prisme de l’horrifique, on pourrait aussi être déstabilisés, en tant que lecteurs. Derrière les apparences, l’horreur est là, derrière la vie, il y a la mort… et inversement !  Mais cet incessant mélange n’empêche pas la lecture de se faire intéressante, souriante parfois (rarement)…

Ariane Astier

Dans cet album, nous partons, lecteurs en même temps qu’autrice peut-être, à la découverte de Ben, enfant adopté, jeune homme perdu et rêvant de ses vrais parents. Un jeune homme qui, à l’occasion d’un séjour dans les montagnes allemandes, va se sentir attiré par un peintre sombre et étrange, dans son personnage comme dans ses sujets… Et c’est avec cet artiste que le fantastique, et donc l’horreur, va pouvoir jaillir!

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Et cette attirance va l’entrainer dans les méandres de ses souvenances, dans un univers, surtout, où l’horreur la plus terrible devient la règle… On parle de possession, de violence, de vampirisme, de religion, de mort, de trahison, de sang… C’est, en fait, une bd très freudienne, une bd dans laquelle on sent une certaine introspection… Une bd dont le but, aussi, est de parler de la famille, de ses failles, de ses dérives, et donc, au-delà de l’imaginaire, de ses horreurs quotidiennes…

Ariane Astier

La bande dessinée, comme tous les arts, (ainsi que l’art de la peinture, mis en évidence dans les pages de de livre) n’est jamais totalement gratuite dans son propos… Et on ne peur que ressentir, ici et là, la patte d’une vraie créatrice dans ce « Moody Rouge », avec une empreinte parfois très personnelle…

Ariane Astier

Je le disais, cet album est, résolument, un manga. Son graphisme, dès lors, nous offre un dessin clair (même s’il est horrifique…), plein de mouvement, plein de vivacité aussi, d’ombre et de lumière, mais s’approchant au plus près des visages, donc des expressions, pour éviter les exagérations souvent trop présentes dans les mangas originels… Il y a, certes, quelques petites cases dans lesquelles Ariane Astier se laisse aller à du dessin humoristique, mais elles sont là, en quelque sorte, pour aérer un peu le récit, tant pour sa créatrice sans doute que pour ses lecteurs.

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Ce qui est frappant aussi, dans le dessin d’Ariane Astier, c’est le plaisir qu’elle a pris, en quelques endroits, de faire des pleines pages qui abandonnent le noir et blanc pour des mises en couleurs qui, d’un classicisme tranquille, deviennent comme des phares au milieu des ombres de la mort…  

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Et puis il faut insister sur le fait que tous les personnages de ce livre ont une apparence terriblement androgyne. Est-ce pour perdre le lecteur ? Est-ce pour mêler à « l’aventure » une approche « questionnante » de la féminité et de la masculinité ? Est-ce pour créer une ambiance sensuelle et sexuelle, diffuse ? Ou, plus simplement, pour rester totalement dans l’univers du manga ?

Ariane Astier

Ce Moody Rouge n’a rien d’une bluette, vous l’aurez compris… Il est, cela dit, une vraie bande dessinée, à mettre sur le même pied que les bd européennes, que les comics américains lorsque l’important, en racontant une histoire dessinée, réside dans une forme de qualité… Et les qualités artistiques ne souffrant pas de frontières, il est intéressant, et agréable, et important sans doute, en tant que lecteur (et de chroniqueur…) de ne pas avoir d’a priori, et de se souvenir que c’est dans la variété que réside l’art, d’abord et avant tout, et quel que soit cet art…

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Un livre qui, peut-être, semble parfois un peu brouillon dans l’évolution de son « histoire », mais un livre d’auteur, réellement, dont les dessins ne peuvent que plaire, et qui se lit, se découvre, avec plaisir…

Jacques et Josiane Schraûwen

Moody Rouge (autrice : Ariane Astier – éditeur : Casterman – janvier 2025)

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