Un scénariste, une dessinatrice, pour un récit qui dépasse la simple anecdote…

Nous sommes dans les années 2010. A la radio se font entendre les opposants et les défenseurs du mariage pour tous. Ce sont polémiques, injures, haines, retours à l’intransigeance de morales de toutes sortes… Et même ailleurs, dans la vraie vie, celle de ceux qui ne manifestent pas, une nouvelle forme de liberté occupe peu à peu le territoire de l’existence de tous les jours, une existence qui désormais peut et veut faire de l’Amour une valeur universelle. Malgré, et au-delà de toutes les failles déjà vécues !

Ailleurs, c’est un petit village de montagne.
Ailleurs, c’est Marcia, qui revient dans son village natal après s’en être échappée pendant trente ou quarante ans.
Elle est là, de retour, pour assister à un enterrement… Pour sa vieille mère, aussi, murée dans un silence aux lourdes torpeurs.
Elle est là également, même sans se l’avouer peut-être, pour retrouver Florence, son amie d’enfance.
Elles étaient plus qu’amies… Elles étaient, sans se le dire, amoureuses. Et puis, un jour, Marcia s’en est allée pour une grande ville, abandonnant derrière elle Florence… Marcia, désormais, assume le mieux possible son homosexualité. Florence, elle, s’est mariée avec Eddy. Eddy pour l’enterrement duquel Marcia est là…

A partir de ce canevas, ce livre parle de famille, de familles au pluriel, de secrets… Bien sûr, l’homosexualité féminine est au centre du récit, mais avec pudeur, sans aucune indécence… Finalement, ce n’est pas elle le sujet de ce livre… Le vrai sujet, oui, c’est l’amour, ses possibles, ses impossibilités aussi, et les influences du passé, même le plus lointain, et la haine face à toutes les différences, quelles qu’elles soient ! C’est un livre qui parle de notre société d’il y a trente ou quarante ans, c’est un livre qui parle de la guerre 40-45. C’est un livre qui parle de brutalité. C’est un livre qui parle des placards dans lesquels la mémoire enfouit des réalités insoutenables. La montagne, dans laquelle deux adolescentes vivaient, Florence et Marcia, est devenue au fil des années une barrière qu’elles vont essayer de franchir… Mais peut-on revenir en arrière, quand il s’agit d’Amour ?

Oui, c’est un livre d’Amour. Et même si ce sont deux femmes dont il nous parle, même si ce sont deux femmes amoureuses qu’il nous raconte, cet album parvient à s’adresser à tout le monde, avec une infinie tendresse, avec un regard de douceur, avec une description des sentiments humains sans mensonge. Cet album fourmille aussi de petits trésors d’écriture et d’émotion, servis par un dessin lumineux, une sorte de belle esquisse aux gestes retenus, aux visages dans lesquels les yeux seuls révèlent l’âme… « Même quand tu ne m’aimais pas, moi je ne pouvais pas m’empêcher de t’aimer. J’ai appris l’amour dans l’absence du tien. » Il y a une sorte de désillusion, oui, sans aucun doute, dans cet ouvrage. Mais une désillusion de lutte… « Les choses changent et restent les mêmes. Ce qu’on leur arrache, ils peuvent nous le reprendre. On ne doit jamais baisser la garde. Je sais qu’on peut vivre heureuses, mais je ne crois pas qu’on puisse vivre tranquilles. »

Un livre tout en délicatesse, tout en intelligence, tant dans le scénario que dans le dessin. Une sorte de long et doux poème d’amour, à savourer l’esprit ouvert et le cœur à l’unisson… Un livre qui m’a touché, énormément, et que je ne peux que vous pousser à le découvrir à votre tour…

Jacques et Josiane Schraûwen
La Montagne Entre Nous (dessin : Marcel Shorjian – dessin : Jeanne Sterkers – éditeur : Sarbacane – 2025 – 156 pages)