Le portrait sans égards d’un policier perdu dans une guerre qui n’est pas la sienne. Une nouvelle série passionnante et… intelligente !

J’aime chroniquer en liberté et en indépendance, ici et à la rtbf, des livres que j’ai réellement lus et aimés. Même pour des éditeurs (Glénat, Lombard) qui, sans un mot, ont un jour décidé que je ne leur convenais plus, après une vingtaine d’années ! La preuve, avec ce livre-ci !

Nous sommes dans du « polar », mais dans un contexte historique bien précis, celui de la guerre 40-45, en France, à Paris. La drôle de guerre n’a fait rire personne et a laissé la place à une société française dépendant d’un pouvoir qui, de jour en jour, s’est fait plus présent, plus inquiétant, plus cruel, plus répugnant.
Une époque pendant laquelle les individus n’avaient peut-être pas d’autre choix que de survivre.

Et ce livre nous fait suivre les pas de Marsac, un flic comme tous les flics de ces instants perdus dans les méandres et les miasmes de la guerre. Un flic, obligé de travailler à ses enquêtes sous l’omniprésence des Allemands, et qui semble le faire avec un sens de la justice que cet état de fait n’a pas changé. Dès le départ de ce premier tome, on assiste à un cambriolage, un « home-jacking » avant la lettre, qui se termine par un assassinat froid et sans raison du couple ainsi emprisonné chez lui. Marsac voit dans ce crime crapuleux et gratuit la marque d’un truand qu’il a fait emprisonner avant la guerre et qui se trouve encore en prison. Ou, plutôt, qui devrait s’y trouver pour purger une peine de trente ans… Lucien Grenier, ce truand assassin, a été libéré sur l’ordre des Allemands ! Il est devenu leur main armée, leur complice, leur collaborateur…

A partir de là, l’enquête policière devient aussi, et avant tout même, l’observation de ce qu’était la vie dans cette France occupée, la France des collaborations nombreuses, du marché noir, du vol des biens juifs et franc-maçonniques… Et le récit de cet album permet aux auteurs de préciser ce qu’était l’environnement économique de ces heures sombres. Les luttes entre différents « bureaux d’achats » allemands, la manière dont l’Allemagne calculait ce que la France, vaincue, devait payer à son nouveau seigneur (saigneur ?) et maître, tout cela, de manière extrêmement claire et historiquement parfaite, est raconté de ci de là, au fil des pages.

Parce que ce livre est la narration sans apprêts d’un quotidien dans lequel nul, finalement, n’était tout à fait « bon ». Comme le disait Renaud, à l’époque où il savait encore chanter, il n’y avait pas beaucoup de Jean Moulin ! Et Marsac, ainsi, va révéler, au fil des pages, au fil de son enquête, une personnalité extrêmement ambigüe, et de moins en moins sympathique… Le scénario de Philippe Richelle est construit chronologiquement, il prend le temps de mettre en scène les personnages présents et leurs failles, il prend le temps aussi de la romance, même si celle-ci a la couleur noire du polar. Le dessin réaliste et classique de Jean-Michel Beuriot ne cherche jamais à éblouir. Il est au service du récit, tout en plongeant le lecteur dans cette époque précise qu’est la deuxième guerre mondiale. L’ambiance qu’il imprime à cette nouvelle série m’a fait penser aux romans de Léo Malet, et un peu donc aux bandes dessinées de Jacques Tardi. Egalement aux aventures du commissaire Raffini… Mais le graphisme de Beuriot, s’il appartient à la tradition classique du neuvième art, lui est personnel, véritablement, croyez-moi, avec une sorte de stylisation des mouvements par exemple…

Ces deux auteurs connaissent leur sujet, et ils ont œuvré ensemble déjà à une saga se déroulant à la même époque, « Les amours fragiles »… Et puis, il faut souligner aussi le travail d’Albertine Ralenti, la coloriste, qui aide immensément cet album à être une réussite complète !
Jacques et Josiane Schraûwen
Un flic sous l’occupation : 1. Profit garanti (dessin : Jean-Michel Beuriot – scénario : Philippe Richelle – couleurs : Albertine Ralenti – éditeur : Glénat – 2025 – 56 pages)