Tête De Chien : Livre 3 – la suite d’une série consacrée à des chevaliers se baladant de tournoi en tournoi

Tête De Chien : Livre 3 – la suite d’une série consacrée à des chevaliers se baladant de tournoi en tournoi

L’hiver arrive, et s’arrêtent pour quelques mois les tournois, ces rassemblements dans lesquels les chevaliers Josselin, Jehan, Lancelin, et leurs deux écuyers, gagnent leur vie… Mais ce répit ne sera pas ce qu’ils en attendaient !

copyright dargaud

Tête de chien, c’est d’abord ce dessin qui orne le bouclier du chevalier Jehan. Et c’est ensuite une sorte de saga se déroulant en un Moyen-Âge qui n’est jamais vraiment daté (le douzième siècle sans doute). Ce sont trois albums que l’on pourrait situer, scénaristiquement parlant, entre le « Chevalier Ardent » de Craenhals et « Les Tours de Bois-Maury » d’Hermann… Deux séries exceptionnelles, s’il en est ! « Tête De Chien », dans cet univers historique, ne manque pas de charme, même si je trouve assez ridicule de vouloir le mettre à l’égal de l’œuvre d’Hermann, comme je l’ai lu ici et là…

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Pour bien entrer dans ce troisième tome, il me semble utile d’avoir lu les deux albums précédents… De manière à connaître de mieux en mieux les personnages, et cette époque dans laquelle ils vivent, une époque où le sens de l’honneur n’est pas toujours ce que les livres en disent, une époque de violences nombreuses, d’abord et avant tout…

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Dans le premier livre, les lecteurs ont pu, entre autres, découvrir que sous le haubert de Jehan se cache une jeune femme… Dans le deuxième livre, on voit les compagnons de route de Jehan(ne) tout faire pour préserver son identité, et on assiste à la rencontre plus que brutale mais véritablement chevaleresque cette fois, avec le « Chevalier Noirci ». Et, dans ce livre trois, c’est d’un traquenard qu’il s’agit, d’un compagnon blessé, d’une fuite jusqu’au au Nid d’Aigle, un château appartenant à l’oncle de Jehan. Et c’est là que l’histoire familiale de la chevalière va se révéler totalement…

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J’aime beaucoup cette série, par son contenu, mais aussi par une vraie complicité que l’on y ressent entre ses trois auteurs. Cette époque, dans laquelle la chevalerie était tout sauf courtoise, cette héroïne dans le prénom sent bon à la fois sa référence historique et l’envie de coller aux réalités sociologiques d’aujourd’hui, cette époque dans laquelle les scènes de démesures violentes sentent bon le sang, la boue, les larmes, le scénariste, le dessinateur et le coloriste se l’approprient pleinement, et c’est un plaisir de lecture qu’ainsi ils nous offrent.

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Vincent Brugeas, le scénariste, imagine, je le disais, une saga historique… Mais ce troisième livre ajoute à ce côté historique une forme de mélo à la dix-neuvième siècle, avec des cadavres perdus dans des placards, avec parfois une forme attendue dans l’évolution de l’intrigue… Mais ce côté attendu, finalement, prévu même par le lecteur, réussit à sa manière à faire de ce lecteur un complice également de cette aventure dessinée. Les personnages imaginés par Brugeas sont tous attachants, et, dans ce livre trois, ils prennent la parole, comme le feraient dans une tragédie grecque les chœurs… Ronan Toulhoat, au dessin, joue avec les perspectives, s’amusant à des angles de vue et des points de fuite qui peuvent faire penser parfois tant aux mangas qu’aux comics américains… Il en va de même avec la joie qu’il a à esquisser des caricatures très parlantes. Ce dessinateur prend toute sa puissance, également, dans son art de dessiner les décors et sa manière de travailler le lettrage. Et puis, il y a Yoann Guillo, le maître coloriste ! Il est, sans aucun doute possible, un auteur à part entière de cette série, accompagnant de son travail toutes les péripéties du récit, pratiquant une colorisation que j’ai presque envie d’appeler théâtrale, tant il joue avec les différents plans du dessin pour mettre en évidence tel ou tel protagoniste, tel ou tel texte…

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Jacques et Josiane Schraûwen

Tête De Chien : Livre 3 (dessin : Ronan Toulhoat – scénario : Vincent Brugeas – couleurs : Yoann Guillo – éditeur : Dargaud – juin 2025 – 134 pages)

Le Père-Lachaise – visite guidée de quelques célébrités défuntes

Le Père-Lachaise – visite guidée de quelques célébrités défuntes

Une ville peuplée de morts, sur les hauteurs d’une ville lumière bruissant de vie… Un paradoxe passionnant !

copyright delcourt

Sébastien Floc’h vous invite à le suivre de tombe en tombe dans ce lieu touristique de France, visité chaque année par des millions de curieux. Entrez dans cet univers de tombes et de monuments funéraires, peuplé de 70.000 « disparus », inconnus pour la grande majorité d’entre eux… Mais dans ce territoire de la grande faucheuse se découvrent aussi des célébrités. Suivez Sébastien Floc’h dans les méandres d’un lieu unique, à la découverte de seize humains qui, de leur vivant, ont pu croire à l’éternité !

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Bien sûr, ce choix est totalement subjectif ! Il y a tant et tant de noms appartenant aux Histoires humaines qui sont présents sous la terre de ce cimetière étonnant que le scénariste, Sébastien Floc’h, avait l’embarras du choix. Il aurait pu nous parler de Jean-Pierre Bacri, d’Edith Piaf, de Pascal, de Maurice Tourneur, etc., etc. Qui sait, d’ailleurs, peut-être d’autres volumes viendront-ils continuer à nous offrir le paysage mortuaire d’un vrai pays enfoui près d’une vraie ville !

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Ce livre se construit par chapitres, chacun d’entre eux consacré à une célébrité, chacun d’entre eux étant dessiné par un artiste différent. En ce qui concerne ces dessinateurs, et par goût personnel (donc subjectif également !), j’épinglerai David François, Nancy Pena, Alexis Vitrebert et son travail sur la couleur, Eliot Baum, l’excellent Terkel Risbjerg, le toujours intéressant Corominas. Quant au choix des personnages « traités », il est assez large que pour ne lasser aucun lecteur… Floc’h nous parle d’Abélard et Héloïse, De Parmentier et ses patates, de Balzac, de Chopin, de Musset, mais aussi de Jane Avril et de Jim Morrison.

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Ce qui est intéressant dans cet album, c’est aussi qu’il est, pour chaque chapitre, identique dans sa construction narrative. Il y a d’abord une sorte d’exposé presque à la Stéphane Bern dans ses secrets d’Histoire… Un déroulé traditionnel de la vie du « héros » à découvrir, chronologiquement, sans fioritures, comme une sorte d’instantanés d’une existence qu’on dit et pense remarquable. Un morceau d’Histoire à peine romancé…

copyright delcourt

Et ensuite, chaque chapitre se termine par une seconde intervention, une sorte d’explication de texte dite pas un des habitants vivants de ce cimetière, je dirais même un des habitants essentiels de ce Père Lachaise, un chat. Et c’est cette dichotomie, peut-être, ce double discours, l’officiel et celui qui remet les choses dans une perspective réelle, loin de la simple légende, qui fait la richesse et la qualité de cet album, donc du travail de Sébastien Floc’h. Et celle aussi du graphisme des seize dessinateurs de ce livre qui peuvent à leur aise mettre en scène ces félins que tous les baladeurs du Père Lachaise connaissent bien…

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J’ai toujours, sans savoir pourquoi d’ailleurs, été fasciné par les cimetières. Le Père Lachaise, pour m’y être promené de longues heures à 17 ans, et de tout aussi longues heures avec mon épouse, plus tard, le Père Lachaise est un endroit véritablement exceptionnel… Un endroit où finalement la vie et la mort, dans une sorte de quiétude souriante, se mêlent intimement. Merci, donc, à ces 17 auteurs qui, avec cet album, rendent bien plus hommage à ce lieu qu’à ceux qui y vivent leurs ultimes absences…

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Père-Lachaise (scénario : Sébastien Floc’h – dessin : seize auteurs différents – éditeur : Delcourt – novembre 2024 – 136 pages)

Déviation – le portrait de Mary, sous l’emprise d’un homme, qui va parvenir à « dévier » et à se retrouver !

Déviation – le portrait de Mary, sous l’emprise d’un homme, qui va parvenir à « dévier » et à se retrouver !

Dans ce genre de sujet, éviter le mélo sans pour autant perdre le sens de l’émotion, c’est une gageure… Parfaitement réussie dans cet album !

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Résumer l’histoire que nous raconte ce livre est chose aisée. Partie, en compagnie de son chien, faire des courses pour l’homme avec qui elle vit et qui la domine, Mary est obligée de suivre une déviation. Et cette route, aux embûches évidentes, va devenir peu à peu le chemin de sa fuite, de sa peur, de son courage retrouvé, ou plutôt enfin trouvé.

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On pourrait, dès lors, se retrouver dans un récit du style « road movie », voire du genre « feel good ». Et c’est un peu le cas, tant il est vrai que le côté sombre, celui de la domination, de la violence, s’estompe peu à peu et se plonge dans un positivisme qui, avouons-le, n’est pas désagréable du tout… Et qui, en outre, s’avère totalement plausible. L’optimisme, parfois, oui, fait du bien à l’âme, dans la bd comme dans la vie, même s’il est rarement présent au quotidien des mille aléas de l’existence.

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Mais ce n’est qu’un peu le cas, parce que cet album est surtout la description d’une aliénation dont s’échappe une femme, avec très peu de courage, d’abord, avec une prise de conscience qui, petit à petit, de rencontre en rencontre, va la pousser à se regarder en face, à accepter son corps et son intelligence sans cesse dénigrés par celui qu’elle fuit avec la peur au ventre. Ce livre est l’œuvre d’un couple. Michel et Béa Constant au scénario, Michel au dessin, Béa à la couleur. Ce livre est l’œuvre de deux auteurs profondément humanistes, il est aussi inspiré, nous dit l’éditeur, par une histoire vécue dans l’entourage de ces auteurs. Dans une ambiance britannique, cette aventure à taille humaine se construit progressivement… Par le scénario, d‘abord, évidemment. Par le dessin aussi, qui prend le temps de nous montrer Mary évoluant, physiquement en même temps que moralement. Un dessin qui fait de la beauté une réalité quotidienne qui n’a rien à voir avec les jugements dans les regards des « autres ».

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C’est un livre d’amour, aussi, au sens le plus large du terme… C’est un livre dans lequel plusieurs personnages ont vécu des déchirures profondes, Alzheimer, par exemple, ou la perte d’un enfant. C’est surtout un livre dans lequel, je le disais en prologue, l’émotion est omniprésente… C’est cette émotion, finalement, qui fait la continuité de cette « déviation » qui, de réelle, se fait pratiquement sensuelle. Un autre axe est celui de la construction littéraire… On peut dire, à propos de Mary, qu’elle se définit par une « double » voix… Jusqu’à ce que cette voix se taise, ouvrant ainsi, enfin, la voie à la confiance, à une neuve liberté.

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Je trouve, et je l’ai déjà dit, que l’éditeur Futuropolis se démarque, très souvent, par les thématiques d’abord et avant tout humaines des livres qu’il édite. C’est encore le cas, ici, avec un album qui, je me répète, m’a ému… M’a fait croire, aussi, en la possibilité qu’a l’être humain de tendre la main, d’écouter, de comprendre, et de ne pas juger ! Et croyez-moi, croire en l’humain alors qu’on traverse des moments dont le moins qu’on puise dire est qu’ils soient déstabilisants, ce n’était pas gagné ! Et Béa et Michel Constant ont réussi à m’offrir dans ce livre un moment de choix !

Jacques et Josiane Schraûwen

Déviation (dessin : Michel Constant – scénario : Béa et Michel Constant – couleurs : Béa Constant – éditeur : Futuropolis – mars 2025 – 72 pages)