Michel Schetter : un dessinateur farouchement indépendant

Michel Schetter : un dessinateur farouchement indépendant

Il avait 76 ans. Il est mort il y a une semaine. Avec lui, c’est un auteur libre qui disparaît, un dessinateur réaliste dont les sujets semblaient ne plaire ni aux éditeurs ni aux collectionneurs…

copyright schetter

La grande histoire de la bande dessinée n’a rien de linéaire, et elle a souvent été un combat entre auteurs et éditeurs… Entre patrons et employés… On ne peut que se rappeler, par exemple, des luttes d’ego au sein du studio Hergé !

J’avoue ne pas connaître les raisons qui ont poussé, un jour, Michel Schetter, à claquer la porte du monde des maîtres-éditeurs, mais cela ne l’a pas empêché, le plus possible, malgré les embûches inhérentes à la vie indépendante, de continuer à dessiner, à écrire, à créer…

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C’est au début des années 70 qu’il apparaît dans le paysage des petits mickeys, avec l’Oncle Paul, avec de la colorisation pour Tibet. Passant de Spirou à Tintin, il va se lancer résolument dans la bande dessinée réaliste, avec un graphisme restant dans l’évidente lignée de la tradition de cette approche du neuvième art.

copyright Glénat

Mais c’est grâce à sa collaboration avec l’éditeur Jacques Glénat que Michel Schetter va devenir « lui-même », auteur complet de la série « Cargo ». On y trouve tous les ingrédients de l’aventure avec un A majuscule : des femmes fatales, des lieux exotiques, des rebondissements sans fin, des combats, de la haine, de l’amour, de la trahison… On est presque, à certains moments, dans une ambiance à la Bob Morane, mais sans mythologie du héros parfait, avec une vraie construction narrative aussi.

copyright schetter bedescope

Tantôt dessinateur, tantôt scénariste, Michel Schetter a décidé un jour de l’année 1990 de ne plus dépendre que de lui-même. En une époque où l’auto-édition était considérée comme un pis-aller pour les pseudo-esthètes de la bd, Michel Schetter, pour ne pas avoir sans doute à se trahir, à dépendre de diktats qui ne lui correspondaient pas, s’est plongé dans une aventure artistique et humaine avec passion… Et il s’est ainsi retrouvé dans une sorte d’univers parallèle du neuvième art, jamais exclu, mais jamais non plus véritablement accepté. A ce titre-là, sans aucun doute, Schetter occupe une place précise dans les méandres historiques de l’édition bd.

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Auteur hennuyer, auteur d’une bd belgo-française puissante, avec un découpage parfois anarchique mais presque toujours efficace, Michel Schetter n’est jamais parvenu à rejoindre le peloton des « grands » auteurs… Sans doute en avait-il le talent… Mais il n’en avait certainement pas l’ambition, ni le goût, probablement, de certains compromis plus ou moins artistiques, plus ou moins mercantiles…

Jacques et Josiane Schraûwen

Moon – 1. Une Balle Pour Un Croisé

Moon – 1. Une Balle Pour Un Croisé

Un livre qui, malgré les thématiques déjà bien souvent vues, réussit à séduire… A découvrir !

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Ce n’est pas de lune qu’on parle dans cet album… Mais, avec Moon, on entre de plain-pied dans l’univers de la science-fiction. Le récit est, ma foi, assez facile à résumer : après une guerre nucléaire, le monde a repris vie. L’ancienne Europe est désormais le territoire d’entités humaines réunies dans d’immenses cités. Nous sommes, oui, dans un univers postapocalyptique, tout simplement.

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Et dans cet univers, grâce à la technologie, les voyages dans le temps sont désormais possibles. Avec, en corollaire, le danger de voir la criminalité envahir non seulement les lieux, mais aussi les époques. Rick De Ridder et Lynn Moon sont ainsi les employés d’une agence gouvernementale dont la mission est de traquer les criminels qui voyagent dans le passé.

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Dans ce premier volume, ils se retrouvent pendant une croisade, juste entre Croisés et Saladin… Avec comme mission d’empêcher que soient livrée aux Croisés, par un de ces criminels justement, une mitrailleuse… Et de le faire en évitant les soubresauts du temps, en empêchant que leur intervention dans un passé lointain provoque des changements dans leur présent… Thème récurrent de la littérature sf, le paradoxe temporel se trouve ici au centre du récit, inspiré de manière évidente par le livre « la patrouille du temps » de Poul Anderson, que je ne veux que vous conseiller de lire… Mais ce n’est pas le seul thème, et c’est ce qui rend cette bd intéressante. Parce que ces deux agents, héros de ce livre, ont trois enfants, des triplés, un peu arsouilles, surdoués chacun dans son domaine, trois mômes qui décident un jour de suivre leurs parents dans une de leurs missions… Et donc, finalement, c’est l’enfance et ses possibles, et ses révoltes, ses richesses et ses regards qui se trouve au centre du récit. C’est l’opposition entre le monde de l’enfance et celui des adultes… Entre le lien familial et les obligations sociétales…

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Le scénariste Johan Vandevelde construit un scénario qui tient la route, linéaire, sympathique, bon enfant ai-je envie de dire. De son côté, le dessinateur Stephan Louwes, avec un dessin à la fois inspiré de l’univers manga, démesures graphiques répétitives en moins, et une bd européenne traditionnelle des années 70, choisit de ne pas faire de fioritures graphiques pour accompagner ce récit. Son dessin est vif, clair de bout en bout, en nuances de blanc, de noir et de gris. C’est un bon livre, oui, tous publics, que le deuxième tome devrait faire encore mieux décoller…  

Jacques et Josiane Schraûwen

Moon – 1. Une Balle Pour Un Croisé (dessin : Stephan Louwes – scénario : Johan Vandevelde – éditeur : Anspach – 2024 – 72 pages)

Habemus Bastard – Deux albums pour un polar endiablé et iconoclaste

Habemus Bastard – Deux albums pour un polar endiablé et iconoclaste

Un tel titre ne cache pas, en effet, que le récit dans lequel on va se plonger se fiche totalement de la bienséance, détournant sans détours la fameuse annonce de l’élection d’un nouveau pape.

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Oui, avec ce diptyque, vous allez pouvoir vous plonger dans un récit pour le moins iconoclaste ! Ce n’est pas d’un pape qu’il s’agit dans cette histoire, dont le deuxième et dernier volume s’intitule « un cœur sous une soutane ». Ce n’est d’ailleurs nullement d’un homme de Dieu qu’il s’agit ! Mais d’un homme de main qui débarque dans une petite cité, sous le nom de Père Philippe… Et au début de l’histoire, tout ce qu’on sait, c’est qu’il fuit quelque chose… Quelqu’un… Et que ce tueur à gages pense trouver, en jouant le rôle d’un prêtre, un abri sûr…

copyright dargaud

Disons-le tout de suite : ce mélange entre deux mondes, celui de la religion et celui des truands, ce n’est pas une nouveauté. Le cinéma, par exemple, a utilisé bien des fois cette thématique faite d’opposition de réalités, d’idéologies, d’univers même. Les exemples ne manquent pas : La Main gauche du seigneur, par exemple, avec Humphrey Bogaert… Ou Pale Rider de et avec Clint Eastwood… Ou encore la nuit du chasseur avec Robert Mitchum… Mêler ainsi la religion et la violence n’est, c’est vrai, pas chose nouvelle, ni dans le cinéma, ni dans la littérature… La série Soda ne nous montre-t-elle pas, avec talent, depuis des années, les aventures d’un policier qui se fait passer pour un prêtre?

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Et donc, qui dit thème connu, impose, pour qu’un album nouveau mérite le détour, d’indubitables qualités. Et c’est le cas ici, avec le dessin de Sylvain Vallée, le scénario de Jacky Schwartzmann et les superbes couleurs d’Elvire De Cock. Ce livre, résolument, se veut totalement amoral, immoral même… Ce n’est pas de sabre et de goupillon qu’on parle, mais de flingue et de crucifix. Le scénario est touffu, semble filer dans tas de sens différents, dans des tas d’histoires qui paraissent n’avoir aucun rapport entre elles et s’entremêlent jusqu’à une fin en apocalypse encore plus iconoclaste que tout le reste de cette mini-série en deux albums ! Il y a des morts, de la drogue, des jeunes pas du tout paumés, des entrepreneurs véreux, des truands avides de vengeance, des paroissiens étonnés… Il y a un dialogue à la Audiard, l’humour des mots en moins mais le réalisme sanglant en plus… Cela aurait pu être une histoire très noire, et ce l’est en partie, mais en lorgnant vers Tarentino et son ami Rodriguez…

copyright dargaud

Avec des planches éclatées comme l’est l’action, avec des jeux de perspective nombreux, avec un graphisme au plus près des expressions des personnages, ce livre est enthousiasmant ! Une belle réussite, sans aucun doute possible ! Endiablée, l’histoire qu’il nous raconte nous emporte de bout en bout sans temps mort. Tous les personnages créés au fil des pages, truands notoires, gitans, croyants, athées, profiteurs, même les plus humbles, les plus éphémères dans la trame du récit, ont une vie propre, un langage personnel, une manière de bouger qui fait qu’ils ne sont jamais uniquement des silhouettes ! Et le travail du scénario comme celui du dessin, parvient à créer plusieurs univers côte à côte sans que le lecteur, jamais, ne s’y perde.

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Une excellente histoire en deux tomes, donc, qui vous fera passer, j’en ai la certitude, d’excellents moments !

Jacques et Josiane Schraûwen

Habemus Bastard (dessin : Sylvain Vallée – scénario : Jacky Schwartzmann – couleurs : Elvire De Cock – éditeur : Dargaud – deux tomes – octobre 2024)