Magnum Génération(s) – la photographie témoin de l’Histoire

Magnum Génération(s) – la photographie témoin de l’Histoire

L’agence Magnum est connue à travers le monde entier. C’est son histoire Qui est racontée dans cet album, de manière superbement originale.

copyright caurette

La plus fameuse agence photographique du monde fête cette année ses 75 ans. En 1947, Robert Capa est universellement connu pour ses photos de la guerre d’Espagne et, surtout, du débarquement en Normandie.

Il a comme amis David Seymour, Henri Cartier-Bresson et Georges Rodger, tous photographes de talent, tous conscients que les guerres qui se multiplient vont demander à l’information d’évoluer très vite. Ces hommes vont dès lors créer une agence de presse vouée à la photographie, avec deux buts essentiels : être au plus près de l’événement, toujours, et permettre aux photographes sur le terrain de gagner leur vie convenablement.

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Et ce livre, sobrement appelé Magnum, nous raconte donc l’histoire d’une agence de photographie au travers de ses membres, de ses « héros », une agence se voulant depuis 75 ans témoin de la grande Histoire et humaniste dans sa manière de la révéler, avec un sens de l’information toujours artistique.

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On peut se poser la question du choix du nom de cette agence… Magnum… Un nom qui, d’évidence, fait référence au champagne, cher à Robert Capa, mais aussi à un calibre de cartouches de révolver, cher à l’inspecteur Harry… Une manière de définir ce qu’est le métier de photographe de guerre, à la fois proche de la mort et nécessitant des moments festifs pour éliminer la pression humaine.

Eloise De La Maison, co-scénariste de cet album avec Jean-David Morvan.

Cet album fourmille bien évidemment d’informations sur les guerres et les dictatures, mais sa construction, très particulière, rend sa lecture extrêmement agréable. Un dessin direct, proche finalement du manga, un mélange graphique de dessins et de photos, une construction qui a fait le choix de ne pas être linéaire, chronologique, le tout autour d’un récit qui est d’abord et avant tout humain, au travers d’un thème constant, celui de la mort, tout cela contribue à ne jamais alourdir le propos.

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Et ce dessin, dû à quatre dessinateurs travaillant dans le même studio, participe pleinement de cette volonté de lisibilité à la fois teintée d’originalité et d’une forme de récit qui, à aucun moment, ne lasse le lecteur.

Rafael Ortiz, dessinateur

Nous vivons une époque qui, à force de technologie, perd peu à peu sa mémoire… cette bande dessinée raconte notre passé et, ce faisant, notre présent, en nous rappelant l’horreur quotidienne de notre monde. C’est un livre passionnant, passionné, extrêmement bien documenté, nous offrant différents portraits de personnalités importantes du vingtième siècle.

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Faire dialoguer la photo et le dessin était un pari complexe. Un pari parfaitement gagné, grâce à une simplicité dans le trait proche, tout compte fait, de la simplicité des appareils utilisés par ces grands photographes qui nous sont ici racontés…

Jacques et Josiane Schraûwen

Magnum génération(s) (scénario : Jean-David Morvan et Eloise De La Maison – dessin : Ortiz, Scietronc, Locquet et Ooshima – Caurette – 248 pages – octobre 2022)

La Guerre des Lulus : une série de bande dessinée qui quitte le giron du neuvième art…

La Guerre des Lulus : une série de bande dessinée qui quitte le giron du neuvième art…

« La Guerre des Lulus » est une série bd dont le succès est incontestable… Un succès qui a donné des idées pour le prolonger…

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Cette série, déclinée en 10 tomes, scénarisée par l’excellent Régis Hautière et dessinée par le non moins bon Hardoc, a séduit, par son contenu comme par son talent, un  jeune public qui a vieilli en même temps qu’elle.

La guerre abordée dans cette série, c’est celle de 14-18.

Les Lulus, ce sont quatre gamins dont le prénom commence par ces deux lettres, LU. Il y a Lucien, Luigi, Ludwig et Lucas. Pensionnaires dans un orphelinat perdu dans la province française, ils sont en vadrouille le jour où leur « maison » doit être évacuée, la guerre se présentant à ses portes…

Oui, c’est la guerre qui est au centre de cette série. Au centre, parce qu’elle est omniprésente. Mais elle n’est, finalement, que le moteur d’une aventure humaine vécue par ces enfants que l’horreur et la violence ont perdus sur les routes à la fois de l’aventure et de l’exil, de la peur et du courage, de la quête intimiste et de l’espérance réfléchie.

La grande force de cette série, c’est que tout est vu à hauteur d’enfance d’abord, d’adolescence ensuite

La guerre est là, tout autour d’eux, et ils vont devoir se débrouiller… sans adultes… Avec la compagnie d’une nouvelle venue, Luce. D’album en album, on les voit survivre, vieillir, tout au long d’aventures qui parviennent à mettre un sujet extrêmement difficile à portée d’un jeune public.

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Et aujourd’hui, donc, ce récit en plusieurs volumes s’ouvre à d’autres formes artistiques.

Régis Hautière est un scénariste que j’ai toujours aimé pour l’intelligence de ses histoires, pour l’importance qu’il accorde, toujours, à ses personnages : aucun d’eux n’est une silhouette, tous existent, ont leur manière de parler, de bouger, de vivre. Et son scénario est devenu la base de romans écrits par Eva Grynszpan, et destinés eux aussi, bien évidemment, à un public de jeunes à partir de 9 ans. Les deux premiers volumes sont disponibles, correspondant d’ailleurs aux deux premiers albums de la série bd : « La maison des enfants trouvés », et « Hans ».

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On peut trouver cette idée étrange, adapter une série de bandes dessinées en romans… Personnellement, je trouve au contraire qu’il y a là un pari plus qu’intéressant : celui de remettre la littérature à l’honneur, pour un public jeune qui prendra plaisir à re-découvrir une histoire qu’il connaît peut-être déjà, mais qui, par la magie de l’écriture, se complète énormément…

Le travail d’Eva Grynszpan n’est donc pas de retranscrire en mots, en descriptions, en dialogues, les albums dessinés, mais de raconter la même histoire en abordant par touches réalistes parfois, humoristiques également, historiques bien entendu, poétiques souvent.

Je dirais que la rencontre avec le récit de Régis Hautière ne se fait plus frontalement, mais par le biais de réflexions, d’ambiances… Sans pour autant édulcorer l’histoire, celle de nos cinq personnages, celle d’une guerre, aussi. Eva Grynszpan a du talent, et ces deux premiers romans illustrés sont, littérairement, une vraie réussite.

copyright les films du lezard

Et, en guise d’adaptation, ce n’est pas tout… Parce que, dans quelques jours, c’est un film qui va sortir en salle !

Intitulé La guerre des Lulus, comme les bd, comme les romans, ce film sortira le 18 janvier. Il s’agira d’une véritable adaptation, donc avec des raccourcis dans la narration… Yann Samuell en est le metteur en scène et le scénariste, et le casting est attirant, sans aucun doute : Isabelle Carré, Didier Bourdon, François Damiens… Je n’ai pas encore vu le film. Je n’en ai visionné, comme tout un chacun peut le faire, que la bande-annonce, sur le site Allociné.

Et je dois avouer que je n’ai pas beaucoup de respect pour les adaptations cinématographiques de bandes dessinées, avec Ducobu, avec L’inacceptable Gaston, le mièvre Boule et Bill, etc.

Mais ici, le sujet traité dépasse le simple divertissement destiné à passer le temps… Et j’ai un apriori favorable… Permettre à un jeune public de pouvoir suivre sur grand écran les aventures de mômes qui ont leur âge et qui se retrouvent errant dans un monde où l’horreur est omniprésente, je trouve cela intéressant, important même… Et je croise les doigts pour que ce film soit une réussite…

Jacques et Josiane Schraûwen

« La Guerre des Lulus », un film qui doit sortir le 18 janvier prochain. Et, au départ de ce film, une série BD et deux romans de Eva Grynszpan, le tout paru chez Casterman.

Les Fleurs Du Mal – Baudelaire illustré par Bernard Yslaire

Les Fleurs Du Mal – Baudelaire illustré par Bernard Yslaire

Un des livres les plus essentiels dans l’histoire de la littérature, la vraie, pas celle de ces best-sellers faits de vacuités qui fleurissent de nos jours dans les cimetières de l’intelligence !

copyright Dupuis

Après Rops, Rodin, Redon, Liberatore, Hulet, Yslaire, auteur de la somptueuse saga des Sambre, s’est en effet à son tour lancé dans l’illustration des Fleurs du Mal de l’immense Baudelaire. Il s’agit d’une réédition de l’édition originelle de ce chef d’œuvre de la littérature, 100 poèmes dans lesquels Baudelaire a joué avec les codes de la prosodie comme avec ceux de la bienséance, s’enfouissant avec des délices cruels et passionnels dans des spleens et des dérives superbement humaines.

Yslaire s’est donc confronté à cet univers qu’il avait abordé, déjà, avec son « Mademoiselle Baudelaire ».

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Mais il ne s’est agi à aucun moment de confrontation, que du contraire. Je ne dirais pas qu’Yslaire s’est effacé derrière Baudelaire, certes, mais il n’a à aucun moment cherché à le supplanter non plus.

Chacun de ses dessins est une approche personnelle d’un poème bien plus qu’une interprétation des rimes de l’auteur qui a traduit Poe…

Une approche graphique, d’abord, passant d’un plan général à un détail précis (comme son illustration terrible de « La Charogne », poème que je considère comme le plus sombre et le plus lumineux de toute l’œuvre du poète maudit).

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Une approche de sensations bien plus que d’intelligence, aussi, surtout. Dans ce livre, Yslaire a composé une musique, de couleurs et de dessins, en contrepoint de celle des mots de Baudelaire. Ses illustrations accompagnent les textes, c’est vrai, mais ils n’en sont jamais la seule illustration… Il a réussi ce que bien des gens essaient depuis très longtemps : composer un livre dans lequel les « images » ne sont pas la simple illustration des mots, dans lequel les mots se font, eux aussi, illustrations des dessins…

Et s’il fallait trouver une phrase, une seule, pour vous dire ce qu’est ce livre, ce qu’est Baudelaire, ce que sont les illustrations de Bernard Yslaire, je choisirais ces mots de Baudelaire lui-même… Chantre des gouffres profonds, créateurs de néant à taille humaine, n’a-t-il pas défini, en effet, ce qu’était sa poésie, ce qu’était la poésie : « Préférer la douleur à la mort et l’enfer au néant » !

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Ces Fleurs du Mal sont celles de Charles Baudelaire, elles sont aussi désormais celles de Bernard Yslaire !

Bernard Yslaire que j’ai eu le plaisir de rencontrer, d’écouter… Et je vous invite à l’écouter à votre tour dans une interview à écouter dans sa durée…

Jacques et Josiane Schraûwen

Les Fleurs Du Mal (Charles Baudelaire illustré par Bernard Yslaire – éditeur : Dupuis – 256 pages – novembre 2022)