Attila (Les maîtres de guerre)

Attila (Les maîtres de guerre)

Les bandes dessinées « historiques » soufflent souvent, dans le monde du neuvième art, le chaud et le froid… Certains scénaristes, même à la mode, font parfois du n’importe quoi ! Avec cet album-ci, il n’en est rien…

copyright delcourt

Non, je ne citerai pas ces scénaristes qui, avec l’alibi de la liberté de l’imagination, oublient la vérité historique élémentaire ! Mais il y en a, croyez-moi!… Et ce n’est pas le cas avec « Attila ». Mais n’allez cependant pas croire qu’on se trouve en présence d’un livre lourd, intello, fouillé, barbant en un mot ! (oui, il y a aussi des albums de ce genre en bd, tristement…) Jean-Pierre Pécau, le scénariste, fut prof d’histoire… Il fut aussi actif dans les jeux de rôle, dans les bd d’héroïc fantasy. Et avec ce livre-ci, il nous offre un récit à la fois fidèle à la grande histoire et puissamment « aventurier » dans son élaboration.

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Vous l’aurez compris, ce livre n’est pas une longue fresque biographique. Certes, on y raconte une partie de la vie d’Attila entre sa prise de pouvoir sur les Huns et leurs alliés, et sa mort sans doute assassiné et trahi… Et ce récit, concis, avec des raccourcis qui permettent de resserrer l’histoire sur son aspect visuel, guerrier, violent, spectaculaire, ce récit ne trahit rien de l’Histoire avec un H majuscule. Il nous montre ainsi une époque historique précise, celle de la décadence des deux empires romains, le byzantin et l’italien, celle, également, d’une forme de combat pratiquement idéologique, même inconsciemment, entre les peuples nomades et la civilisation sédentaire s’étendant au détriment des cultures plus dénaturées qu’assimilées…

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Dans la lignée des grandes bd historiques de ces dernières années (Murena, par exemple), ce « Attila », un one-shot lui, allie scénaristiquement parlant le sérieux de l’approche globale du récit et une passion presque cinématographique de la visualisation de ce récit. Dragan Paunovic a, graphiquement, un sens de la démesure absolument époustouflant… L’Histoire est d’une violence et d’une barbarie extrêmes, et le dessin de Paunovic ne cherche pas à estomper ces réalités quotidiennes d’une époque qu’il est grand temps, sans doute, d’arrêter de « magnifier » ! Je me dois de souligner l’apport tout aussi brutal et violent de la couleur, apport dû à Bertrand Denoulet, qui ne cherche nullement à cacher les horreurs de la guerre, des tueries, des luttes pour d’imbéciles pouvoirs… Là où les dessins passent des grandes scènes épiques à des cadrages plus intimes, la couleur de Denoulet reste, de par ses rouges puissants, rouge-sang, rouges ardents, le lien presque narratif de l’album…

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Je dois souligner aussi le petit dossier historique qui clôture l’album et permet encore mieux de comprendre cette époque lointaine qui ne fut, pour la plupart d’entre nous, que petite matière scolaire.

Ce livre est une fresque rapide, vive, puissante… L’image de ce que la guerre a toujours eu de répugnant. Attila fut maître de guerre, sans aucun doute… D’autres que lui ont, dans ce domaine, une sorte de sanctification qui fait oublier qu’ils ont été les auteurs de tueries absolument répugnantes (oui, je pense à Napoléon, entre autres).

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Et j’aime cet album-ci, parce qu’il montre, simplement, sans fioritures, mais avec un vrai talent à la fois de conteur et de dessinateur, la réalité, au-delà de toutes les politiques toujours innommables, de ce qu’est la guerre : une tuerie, rien de plus ! Et, de nos jours, je pense qu’il devient de plus en plus important de le dire et de le répéter !

Jacques et Josiane Schraûwen

Attila (Les maîtres de guerre) (dessin : Paunovic – scénario : Pecau – couleur : Denoulet – éditeur : Delcourt – août 2025 – 62 pages)

Déviation – le portrait de Mary, sous l’emprise d’un homme, qui va parvenir à « dévier » et à se retrouver !

Déviation – le portrait de Mary, sous l’emprise d’un homme, qui va parvenir à « dévier » et à se retrouver !

Dans ce genre de sujet, éviter le mélo sans pour autant perdre le sens de l’émotion, c’est une gageure… Parfaitement réussie dans cet album !

copyright futuropolis

Résumer l’histoire que nous raconte ce livre est chose aisée. Partie, en compagnie de son chien, faire des courses pour l’homme avec qui elle vit et qui la domine, Mary est obligée de suivre une déviation. Et cette route, aux embûches évidentes, va devenir peu à peu le chemin de sa fuite, de sa peur, de son courage retrouvé, ou plutôt enfin trouvé.

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On pourrait, dès lors, se retrouver dans un récit du style « road movie », voire du genre « feel good ». Et c’est un peu le cas, tant il est vrai que le côté sombre, celui de la domination, de la violence, s’estompe peu à peu et se plonge dans un positivisme qui, avouons-le, n’est pas désagréable du tout… Et qui, en outre, s’avère totalement plausible. L’optimisme, parfois, oui, fait du bien à l’âme, dans la bd comme dans la vie, même s’il est rarement présent au quotidien des mille aléas de l’existence.

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Mais ce n’est qu’un peu le cas, parce que cet album est surtout la description d’une aliénation dont s’échappe une femme, avec très peu de courage, d’abord, avec une prise de conscience qui, petit à petit, de rencontre en rencontre, va la pousser à se regarder en face, à accepter son corps et son intelligence sans cesse dénigrés par celui qu’elle fuit avec la peur au ventre. Ce livre est l’œuvre d’un couple. Michel et Béa Constant au scénario, Michel au dessin, Béa à la couleur. Ce livre est l’œuvre de deux auteurs profondément humanistes, il est aussi inspiré, nous dit l’éditeur, par une histoire vécue dans l’entourage de ces auteurs. Dans une ambiance britannique, cette aventure à taille humaine se construit progressivement… Par le scénario, d‘abord, évidemment. Par le dessin aussi, qui prend le temps de nous montrer Mary évoluant, physiquement en même temps que moralement. Un dessin qui fait de la beauté une réalité quotidienne qui n’a rien à voir avec les jugements dans les regards des « autres ».

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C’est un livre d’amour, aussi, au sens le plus large du terme… C’est un livre dans lequel plusieurs personnages ont vécu des déchirures profondes, Alzheimer, par exemple, ou la perte d’un enfant. C’est surtout un livre dans lequel, je le disais en prologue, l’émotion est omniprésente… C’est cette émotion, finalement, qui fait la continuité de cette « déviation » qui, de réelle, se fait pratiquement sensuelle. Un autre axe est celui de la construction littéraire… On peut dire, à propos de Mary, qu’elle se définit par une « double » voix… Jusqu’à ce que cette voix se taise, ouvrant ainsi, enfin, la voie à la confiance, à une neuve liberté.

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Je trouve, et je l’ai déjà dit, que l’éditeur Futuropolis se démarque, très souvent, par les thématiques d’abord et avant tout humaines des livres qu’il édite. C’est encore le cas, ici, avec un album qui, je me répète, m’a ému… M’a fait croire, aussi, en la possibilité qu’a l’être humain de tendre la main, d’écouter, de comprendre, et de ne pas juger ! Et croyez-moi, croire en l’humain alors qu’on traverse des moments dont le moins qu’on puise dire est qu’ils soient déstabilisants, ce n’était pas gagné ! Et Béa et Michel Constant ont réussi à m’offrir dans ce livre un moment de choix !

Jacques et Josiane Schraûwen

Déviation (dessin : Michel Constant – scénario : Béa et Michel Constant – couleurs : Béa Constant – éditeur : Futuropolis – mars 2025 – 72 pages)

Fuck Ze Tourists – Un titre qui dit tout !

Fuck Ze Tourists – Un titre qui dit tout !

Ah, le temps béni des vacances ! Ces heures pendant lesquelles on peut se reposer, se resourcer, découvrir !… Ou pas !

copyright fluide glacial

Dans le magma des occupations humaines, les vacances occupent une place de choix. Un répit sociétal gagné de haute lutte en des temps où seul le travail se devait d’occuper toutes les journées… Les vacances… Quelques journées par an où l’humain peut oublier ses quotidiens grisâtres en allant voir ailleurs comment se passent la terre, la vie, les gens… Le monde, au long de quelques semaines, est à portée de tout le monde, ou presque, grâce à cette merveille que sont les progrès de l’aviation et ceux, conjoints, des agences de tourisme.

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C’est à cette réalité essentielle pour que l’âme humaine résiste aux diktats journaliers de la civilisation que deux complices, s’attaquent dans ce livre, sans vergogne, avec une méchante jubilation, extrêmement communicative !…

Parce que la chance des vacances est devenue au fil du temps le plaisir plus que fugace d’un tourisme de groupe… D’un besoin non pas d’aller à la rencontre d’une région, d’un lieu, mais simplement de pouvoir dire « cette année, j’ai fait la France… ou l’Italie… ou le Japon… » ! Oui, « j’ai fait », au sein d’un troupeau où chacun (et chacune…) est soucieux de photographier pour pouvoir, de retour sous le harnais du boulot, éblouir les voisins, les collègues… Photographier, de selfie en selfie, pour se sentir vivre, pour pouvoir avoir des souvenirs qu’on ne regarde plus jamais ensuite.

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Zidrou, le scénariste de cet album, est entré totalement dans l’humour noir, décalé, critique, révolté, de Fluide Glacial. Il se fait observateur du tourisme, de la vie donc, sous toutes ses formes, au microscope de ses révoltes. Maltaite, le dessinateur, l’accompagne dans ses délires tellement réels, et sort en liberté des sentiers battus qu’il suit trop depuis pas mal de temps. Ce sont deux auteurs de bd belges, qui vivent sous d’autres cieux que ceux de notre petit pays aux frontières internes, dans une Espagne qui n’est pas plus paradisiaque que Venise, ou le Machu Pichu, ou le ski, ou une île paradisiaque… Leurs regards mêlés égratignent, sans tendresse il faut le dire, avec un sens aigu de la caricature, les touristes pour qui, finalement, le fric reste le roi, les touristes qui finissent toujours par retourner chez eux en « EGOland », les touristes appartenant à une civilisation perdue visitant une autre civilisation perdue, les touristes qui ont comme bible le guide du routard…

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Et ces attaques frontales font rire, font peur aussi, parce que, qu’on le veuille ou non, on l’est tous, un jour ou l’autre, « touristes » ! A admirer le soleil couchant sur des plages protégées des autochtones par des vigiles souriants mais malabars. Des touristes qui pensent, à défaut de le dire, que « pour les catastrophes naturelles, les pauvres, ils savent y faire » (citation du livre…) !!!

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Maltaite s’écartant, bien mieux que d’habitude, des sentiers battus d’un art qu’il maîtrise très bien, Zidrou, toujours lucide et maître de ses regards, et adorant jouer avec les mots et les situations : un duo de choc, de chocs intelligents, un duo d’artistes qui ruent dans les brancards… Bon Dieu, cela fait du bien, cela donne envie de changer de regard, de prendre des vacances avec de nouveaux yeux !

Et je rêve, j’imagine des milliers de corps étendus sur les plages du sud et lisant tous ce livre qui leur renvoie leur propre image !

Je rêve, oui… Mais j’espère surtout que, loin de ces plages encombrées, vous, lecteurs, vous savourerez comme je l’ai fait cet album jouissif !

Jacques et Josiane Schraûwen

Fuck Ze Tourists (dessin : Maltaite – scénario : Zidrou – éditeur : Fluide Glacial – juin 2025 – 55 pages)