Ava Gardner fut une des plus belles femmes du cinéma américain, une des meilleures actrices, également. Et cet album nous la montre, entre intimité et obligations promotionnelles, avec une justesse de ton et une beauté de dessin particulièrement réussies.

La mode est, depuis quelques années, à des biographies de vedettes, tant au cinéma qu’en littérature, donc en bande dessinée également. Il y a le meilleur, il y a le pire aussi… Parmi le meilleur, soulignons l’album bd de Jean Dufaux et Sara Briotti, « « La Callas et Pasolini », paru chez Dupuis. Parmi le pire, essayons de ne pas nous souvenir du dérisoire film « Gainsbourg » de Sfar…
Mais ici, point de tentative de suivre la mode, loin de là, puisque les auteurs ont décidé, simplement, comme le sous-titre de leur livre l’indique, de nous montrer l’actrice Ava Gardner pendant deux jours de son existence sous les paillettes. Et dans ce qu’était son quotidien…

Nous sommes en 1954. L’actualité cinématographique hollywoodienne bat son plein avec un des chefs d’oeuvre du septième art : « La Comtesse Aux Pieds Nus », de Joseph Mankiewicz, avec Ava Gardner et Humphrey Bogart. Un film qui, par le talent de son réalisateur, ose s’aventurer dans la vie d’Ava Gardner, à la fois actrice et réelle. Le public ne s’y trompe pas, et ce film marque, sans aucun doute, à la fois la starification totale de la comédienne et l’Histoire du cinéma.

Et Ava Gardner, quittant Cuba et son ami Hemingway, oubliant le temps d’une promotion endiablée son divorce d’avec The Voice, Sinatra, va vivre une tournée de vedette en Amérique du Sud, la terminant à Rio de Janeiro. Elle va y passer deux jours, pas plus… Et ce sont ces deux jours que nous raconte ce livre, tout simplement…

La situation du Brésil, en 1954, politiquement et socialement, n’est pas au mieux de sa forme ! Et nombreux sont les gens, officiels ou simples citoyens, ne supportant plus la mainmise des Etats-Unis sur ce pays immense aux beautés infinies. Mais, malgré cela, les fans d’Ava Gardner sont des milliers et des milliers, dès son arrivé en avion, et ils ont le sang chaud et les mains baladeuses, face à un service de sécurité totalement incompétent. Cette visite va devenir, ainsi, pour Ava, un vrai cauchemar ! Avec sa dame de Compagnie, Rene Jordan, avec Dave, son agent, Ava Gardner va être humiliée… Mais révoltée, aussi, et surtout libre, immensément libre, échappant aux contraintes pour chercher l’amitié, la tendresse, la folie…

Et c’est la grande qualité de cet album que de nous montrer une femme qui, en dérive à certains moments, n’en demeure pas moins une femme forte, loin des images souvent évaporées des stars de l’époque… C’est un portrait qu’Emilio Ruiz, le scénariste, trace de page en page… Un portrait à la fois très intime, sans impudeur cependant, et très public également. Son scénario, inspiré en partie par les souvenirs rédigés par Rene, l’amie, confidente, et dame de compagnie de Ava Gardner, mélange à la réalité différents éléments (imaginaires ou réels) qui empêchent le livre d’être linéaire, trop convenu…

Il y a ainsi des références à Hemingway… A Howard Hugues aussi, qui poursuivait de ses assiduités la belle actrice dont il était follement amoureux… Il y a l’opposition communiste brésilienne… Il y a une approche du racisme et de la pauvreté pendant ces années 50 qui, in racisme décrit tel qu’il était ressenti… Il y a l’alcool et ses libérations trop éphémères… Il y a cette espèce de fascination des journalistes pour cette femme, la plus belle du monde du cinéma, une fascination qui dépasse au feu des interviews les limites de l’art pour s’enfouir dans les marais puants de ce qu’on appelle aujourd’hui le « people »…

Ce scénario est servi à la perfection par le dessin d’Ana Miralles… D’un réalisme somptueux, d’une fidélité totale aux lieux dessinés, aux personnages montrés, à la divine Gardner omniprésente de page en page, ce graphisme possède à la fois la beauté presque froide d’un cinéma et d’une époque qui n’existent plus, et à la fois une expressivité qui universalise, en quelque sorte, ce mythe qu’une femme, sur un écran et dans la vie, a été capable de créer… Ana Miralles construit son livre avec une minutie cinématographique, sans jamais lasser ses lecteurs. Son réalisme total lui permet également de nous montrer, au-delà des dialogues, ce que sont les sentiments de ses personnages, devenant ainsi, par des approches de regards de ces « acteurs », presque expressionniste, mais en douceur… En outre, sa manière d’aborder son personnage principal, Ava Gardner, est étonnante de justesse jusque dans les poses affrétées qu’elle prend, entre deux moments de liberté sensuelle… Et comment ne pas également parler des mille ambiances que sa couleur invente et réinvente au fil des pages.

Ava Gardner, ce sont plus de 70 films dans lesquels, des années 40 jusque dans les années 80, elle a fait bien plus que briller, dans lesquels elle a toujours dépassé le simple jeu pour créer des personnages qui finissaient par lui ressembler… Et un des films les plus extraordinaires du septième art, « La nuit de l’iguane », de John Huston avec Richard Burton, lui offre probablement son rôle le plus puissant, le plus proche aussi, sans doute, de sa vérité. De ses vérités…
Cette bande dessinée n’est pas « biographique »… Elle est une vraie œuvre personnelle de deux auteurs en parfait accord entre eux et avec la beauté exceptionnelle d’Ava Gardner, avec son génie du jeu. Un album pour amoureux d’une bande dessinée classique et éblouissante, et d’un cinéma dans lequel les actrices et acteurs sont et restent éternellement vivants !
Jacques et Josiane Schraûwen
Ava – Quarante-Huit Heures Dans La Vie D’Ava Gardner (dessin : Ana Miralles – scénario : Emilio Ruiz – éditeur : Dargaud – 2024 – 112 pages)