Riad Sattouf continue à nous parler de lui… et de notre monde, en même temps ! Un « journal » dessiné qui se démarque par sa lucidité, son intelligence, son humanisme !
L’Arabe Du Futur 4 © Allary Editions
Il n’y a, disait (entre autres) Brel, que les imbéciles qui ne changent jamais d’avis…
Et j’avoue que les livres de Riad Sattouf ne m’attiraient en aucune manière. Bien sûr, je les avais ouverts, feuilletés, mais sans jamais avoir envie de m’y arrêter, le temps d’une lecture.
Et, avec ce quatrième volume de son « journal », je me suis finalement décidé à oublier mes préjugés graphiques et à lire (un peu distraitement…) les premières pages. Et puis, avec de moins en moins de distraction… Et enfin, avec un plaisir encore plus total du fait qu’il m’était inattendu !
L’Arabe Du Futur 4 © Allary Editions
C’est de lui que parle Riad Sattouf. De son enfance, de sa façon de vivre avec des parents » mixtes « , selon l’expression (un peu stupide) consacrée…
Une mère française, un père arabe. Une mère qui éprouve toutes les peines du monde à nouer les deux bouts, un père professeur qui de plus en plus quitte la maison pour aller travailler au Moyen-Orient. Et y devenir de plus en plus croyant, d’une foi mêlée de préceptes, de lois, de rumeurs, de racismes pluriels, de haines de plus en plus assumées. Une foi qui, tout compte fait, n’est pas plus » lourde » que la volonté machiste du grand-père maternel français de Riad de le voir draguer les filles pour devenir » un homme « .
Deux cultures en partage, en héritage même, celle de l’Europe et celle de l’Afrique du Nord, deux univers dans lesquels ce jeune garçon devenant peu à peu adolescent ne se sent nullement à l’aise.
Dans ce quatrième volume, on parle de la vie sociale, en France comme au Moyen-Orient, d’un contexte politico-historique qui fait s’opposer les Occidentaux et le régime de Saddam Hussein. D’un Moyen-Orient qui peu à peu se plonge dans un intégrisme dont on connaît aujourd’hui les tristes et inacceptables dérives.
L’Arabe Du Futur 4 © Allary Editions
Ce livre, cette » série » plutôt, se révèle être un » Journal « , au sens le plus noble du terme. Un Journal graphique, un journal dessiné.
Nombre d’écrivains, depuis le dix-neuvième siècle, ont ainsi longuement rédigé le compte-rendu plus ou moins littéraire de leur existence. Qu’est-ce qui fait que la grande majorité de ces journaux est aujourd’hui totalement oubliée, alors que certains d’entre eux, très peu, ont traversé le temps pour continuer à éblouir les lecteurs d’aujourd’hui? … C’est que, tout simplement, des auteurs comme Léautaud, Gide, Renard sont des » VRAIS » auteurs, qui pratiquent un langage qui leur est totalement propre, avec des qualités littéraires que personne ne peut nier, et que même en nous parlant de leur quotidien, c’est toujours de nous aussi qu’ils parlent.
Il en va de même avec la bande dessinée, de nos jours. Un neuvième art qui, reconnaissons-le, en multipliant ce genre de productions plus ou moins nombrilistes multiplie les œuvres vides et inutiles !
Pour qu’un journal en BD puisse avoir une chance de traverser les années, il lui faut, à la base, de véritables qualités. Le contenu, bien entendu, le texte, évidemment, le dessin en osmose avec les mots et, essentiellement, que le propos de l’auteur ne soit pas uniquement un miroir dans lequel il se contente de se regarder.
Et, à ce titre, sans aucun doute possible, Riad Sattouf ne ressemble nullement à tous ces tâcherons qui ne savent ni dessiner ni écrire et qui croient (et une certaine critique bobo avec eux) primordial de nous parler de leurs quotidiens sans intérêt, et de le faire avec des dessins sans âme !
L’Arabe Du Futur 4 © Allary Editions
Riad Sattouf est un véritable auteur, pleinement, totalement. Et, oui, je m’en veux d’être passé à côté de son œuvre depuis si longtemps!
Son dessin est simple, mais d’une souplesse extraordinaire, le tout dans un découpage qui lui permet de mettre ici en évidence les traits caricaturaux et expressifs de ses personnages, là de nous montrer un paysage, un décor, un mur qui s’effrite, une cour de récréation, une école délabrée…
Son texte, lui, sous des aspects très simples aussi, parvient à nous restituer l’âme de chaque personnage, et de le faire sans manichéisme et sans nostalgie, avec, tout au contraire, une façon très douce presque de nous restituer une époque, des êtres qui luttent au quotidien pour vivre plus que survivre, même face au cancer. C’est d’adolescence que Riad Sattouf nous parle, c’est son adolescence qu’il nous raconte, et il le fait avec pudeur, sans gommer cependant les élans du corps qui furent les siens.
Et puis, il y a le travail sur la couleur. Des vignettes presque monochromes, variant leurs tonalités et leurs intensités, rythment l’écriture graphique, la narration littéraire, et la lecture, en bout de course.
L’Arabe Du Futur 4 © Allary Editions
Ce » journal » en bd est un livre important, un livre qui réussit à nous faire le portrait d’une époque, d’une enfance perdue dans des mondes qu’il ne comprend pas, d’une enfance qui rêve et qui se réfugie dans l’ailleurs, dans le dessin, pour faire de ses rêves des réels tangibles.
Et ce faisant, ce livre nous permet, mieux que mille discours politiques ou sociologiques, de comprendre l’intégrisme, d’en découvrir les errances, les trajets… Les manipulations…
Les plus vrais des psychologues, comme le disait un de mes professeurs il y a bien longtemps, ne sont pas à chercher dans la population des diplômés universitaires, mais dans le monde des écrivains… Des auteurs de bande dessinée, aussi, de nos jours. Et Riad Sattouf fait partie, incontestablement, de ces auteurs, de mots et de dessins, cherchant à comprendre le monde et à nous le faire comprendre.
Jacques Schraûwen
L’Arabe Du Futur 4 – Une jeunesse au Moyen-Orient (1987-1992) (auteur : Riad Sattouf – éditeur : Allary Editions)