Avec Les Compliments Du Chef – Humour, bd, gastronomie, publicité : un étrange menu ! Mais assez réussi…

Avec Les Compliments Du Chef – Humour, bd, gastronomie, publicité : un étrange menu ! Mais assez réussi…

Nul, et certainement pas moi, ne peut nier les talents conjugués de Frédéric Jannin et de son complice Gilles Dal. Des talents mis, ici, au service d’une bd réussie, mais étrange dans sa finalité !

copyright Anspach

Les amateurs de bande dessinée, les fans et les exégètes d’Hergé, Franquin, Greg, qui sais-je encore, me diront que je suis à côté de la plaque, et que ça fait bien longtemps que le neuvième art se prostitue souvent, et souvent avec talent, en se vendant au monde de la sacro-sainte pub.

Je ne suis qu’un amateur, dans le sens premier (et noble) du terme, mais j’ai, permettez-le moi, une certaine connaissance de cette déjà vieille compromission entre l’art, quel qu’il soit, et l’argent… L’argent, oui, parce que la publicité, la « réclame » comme on disait il y a longtemps, c’est quand même, qu’on le veuille ou non, l’émanation mercantile de la consommation rentable !

Je parle d’art, en général, oui. Que Toulouse-Lautrec ait gagné sa vie et son droit à peindre en se faisant l’illustrateur de revues entraînantes, tout comme d’autres affichistes exceptionnels, que Le Tintoret ou Le Caravage, à leur manière, se soient faits les hérauts d’une religion officielle et avide de pouvoir, cela fait partie de la grande histoire de l’art. Que le sapeur Camembert, que Caran D’Ache, Daumier, Rouveyre et d’autres aient sacrifié également, peu ou prou, à l’appel de l’argent plus ou moins facile, cela fait également partie de tout ce qui, depuis des siècles, a construit la société qui est nôtre. Tout comme l’engouement du pop art de Warhol, un art à la fois né de la publicité et s’offrant, encore et encore, à elle !

Mais qu’une voiture s’appelle « Picasso », cela ne vous dérange pas ?…

Mais que Mondrian, ou Van Gogh, ou Gauguin, ou Manet avec Dior, Magritte avec je ne sais quel robot ménager, deviennent des outils de vente, cela ne vous dérange pas ?…

Moi, oui…

copyright Anspach

En bande dessinée, les choses sont moins claires, sans aucun doute, dans la mesure où le support de la bd, ce fut pendant très longtemps le monde des magazines, de la presse, et que ce monde-là ne pouvait vivre que grâce à la manne de la reine Publicité. Que Franquin, ainsi, se soit laissé aller, comme bien d’autres de ses collègues (Attanasio, Hergé, et pas qu’un peu, etc.) à répondre à des demandes éditoriales, c’était normal, également. C’était dans l’air du temps… Les piles machin chose ou la boisson truc, « vendues » par le créateur génial du génial Gaston, les biscuits truc ou les chocolats machin en ligne claire, cela fait également partie intégrante de la bd, art populaire par excellence. Mais ces réclames-là, on n’en faisait pas des albums… C’étaient des objets immédiatement identifiables comme étant des supports dessinés d’une publicité mercantile.

copyright Anspach

Et donc, Jannin et Dal participent aujourd’hui, à leur tour, à cette tendance.

« Avec les compliments du chef », c’est une bd comme Jannin sait et aime les faire : une suite de gags, aux dessins simples sans jamais être simplistes, au graphisme soucieux de s’approcher au plus près des physionomies et des gestuelles de ses personnages, réussissant, en quelque sorte, à ce que le lecteur, grâce au dessin, les entende réellement (ou presque…) parler!

Quant aux gags eux-mêmes, ils participent, scénaristiquement parlant, à la même démarche. Ils sont de situation et de mots, ils sont d’observation et, de ce fait, ils permettent au lecteur de sourire ou de rire à ses propres réalités, à ses propres, osons-le dire, conneries…

Cela dit…

Et si, dès la première page, les auteurs se dédouanent, sous un sous-titre sans ambiguïté « les savoureuses coulisses d’un restaurant gastronomique », en disant, je cite : « c’est bien l’un des charmes de la caricature que de privilégier le drôle à l’authentique », je trouve que cela sonne faux!

Le problème, pour moi, est justement à !… Les auteurs sous-entendent ainsi que, justement, la réalité de ce restaurant dont ils se font les chantres consentants est un ensemble de qualités indéniables, comme le montre, d’ailleurs, sans équivoque la couverture de ce livre.

Or, pour y avoir été, dans ce fameux restaurant, avec mon épouse, je ne peux que m’inscrire en faux. Un service minimum, d’abord… Mais il faut dire qu’à une table toute proche, il y avait Witsel auprès duquel chef et serveurs s’attardaient volontiers… Des plats minimalistes sous des appellations pseudo-poétiques, et des plats, surtout, ne laissant aucune trace dans la mémoire sinon, le repas terminé, une sensation d’avoir été berné. Une ambiance de riches et de parvenus plus soucieux de se montrer que de savourer… Du tape-à-l’oeil, quoi, ce qui nous a toujours immensément dérangés, mon épouse et moi, dans quelque domaine de la vie que ce soit! Et je sais qu’elle aurait refermé, elle, ce livre au bout de trois pages.

Nous en sommes sortis en ayant faim, oui… Comme du « Comme Chez Soi » quelques années auparavant… Et en nous promettant de ne jamais y remettre les pieds.

copyright Anspach

Donc, en conclusion, j’ai ben aimé ce livre par le portrait qu’il fait, mais toujours gentiment comme pour ne pas choquer le restaurant partie prenante dans cet album, de la faune qui va dans ce genre d’endroit chic et cher et de la faune qui y vit et y travaille. J’ai souri, oui… Plus d’une fois… Mais en me disant, à chaque fois, qu’il devrait exister des lois strictes concernant la publicité mensongère !

Lisez-le, ce livre dont, finalement, le personnage central est un restaurant sans doute sponsor de l’album, pour rire, vous amuser, et, également, vous apprêter, pour vos prochaines sorties au restaurant, à choisir un lieu sans tenir compte de ce que la pub en dit ! Et vous remarquerez que, dans cette chronique mi-sel mi-poivre, je ne cite à aucun moment ce restaurant… Par contre, dans la bd, ne vous en faites pas, son nom est bien présent… Je dirais, personnellement, qu’il est même lourdement présent !

Jacques et Josiane Schraûwen

Avec Les Compliments Du Chef (dessin : Fred Jannin – scénario : Gil Dal – éditeur : Anspach – 48 pages – juin 2022)

Adelin & Irina : La Révolte Des Esclaves

Adelin & Irina : La Révolte Des Esclaves

Semblant d’héroïc fantasy et mythologie revisitée dans cet album foisonnant (un peu trop…) mais attachant !

L’impératrix des Amazones, la très jeune et très capricieuse Gazolba, va fêter son anniversaire avec faste, orgueil et festin somptueux.

Seulement, dans la capitale du royaume des Amazones, pour certaines, la gloire des années anciennes, des conquêtes sanglantes, de l’hégémonie évidente de la gent féminine sur l’univers, ce passé manque terriblement ! Jusqu’à ourdir un complot pour ôter le pouvoir de cette enfant sans intérêt et restaurer un régime fort ! Il y a des complots, des compromissions, des alliances, le tout sous la houlette de la baronne Ulcera.

copyright Nico

Et puis, il y a les esclaves. Parce que cette société ne survit, finalement, que grâce à ces hommes sans importance qui n’en revêtent une qu’en devenant les objets des mille quotidiens de ces Amazones. Des esclaves qui voient arriver un avatar de Conan et de Spartacus qui ne veut que se révolter, des esclaves aussi soutenus par quelques femmes qui veulent l’émancipation de ces êtres trop considérés comme inférieurs.

Et au milieu de tout cela, il y a la belle Irina, son esclave personnel Adelin, son aidante Kubika, et la capitaine Linielle de la garde impériale, pour sauver une situation qui semble incontrôlable !

Tous les éléments sont en place pour une grande saga guerrière, que nous conte cet album.

copyright Nico

Pour traiter de cet univers mêlant antiquité, cruauté, gynarchie, Histoire, violence, Nico, l’auteur de ce livre, a choisi une voie qui, elle aussi, mêle différentes narrations, ou, plutôt, différents points de vue narratifs.

Il y a d’abord l’humour, noir de préférence. Un humour totalement contre les morales bien pensantes qui fleurissent de nos jours, un humour, ai-je envie de dire, à la « Fluide Glacial » des premières années. Un humour également teinté d’une forme bien sage d’érotisme, et qui reste, malgré tout, malgré les jeux de mots parfois un peu lourds, bon enfant.

Il y a aussi l’écriture, littéraire et graphique, qui ressemble assez à une fable. Une fable sur le pouvoir et sur les « valeurs » dont il se revendique, un pouvoir qui ne peut entraîner, finalement, qu’une forme d’esclavage.

Une fable, également, sur les microcosmes qui forment la société, toute société : les obéissances aveugles, les croyances, les révoltes avortées…

Le récit prend également la forme d’une suite ininterrompue de petits moments, de petites tranches de vie, qui nous baladent, justement, dans toutes ces niches de la société.

Enfin, il y a une accumulation, comme dans la vie de tous les jours que nous connaissons, de mauvais choix, de ruades dans les brancards de l’oppression, mais pour de mauvaises raisons.

copyright Nico

Le dessin de Nico est parfois encore un peu trop rigide, mais il varie les plans, il aime s’attarder sur les visages, sur les ambiances, sur les groupes également, et ce avec réussite. C’est un dessin que l’on peut inscrire dans la filiation de Wasterlain, donc s’éloignant des codes trop précis engendrés en leur temps par les fameux « Trolls de Troy ».

Nico aime également les références… A la bande dessinée, avec Conan, comme je le disais, avec aussi, de ci de là, Hergé. A notre actualité, avec un personnage qui s’appelle Makron. Avec l’omniprésence, pour les visiteurs de cette capitale des Amazones, d’un collier qui n’est pas sans rappeler notre fameux CST « pandémique »…

copyright Nico

Pour ma part, je pense que l’histoire qui nous est racontée aurait gagné en clarté, en lisibilité, en unité, en ne multipliant pas autant ces références.

Je pense aussi que le lecteur peut se perdre dans les péripéties, nombreuses, trop sans doute, qui sont montrées et racontées, le tout au travers de personnages qui, du fait de leur nombre important, ne sont pas suffisamment fouillés pour les rendre attachants.

Un autre point négatif, à mon humble avis, c’est le texte, trop fourni, trop petit aussi… Le condenser aurait fluidifié à la fois le récit et sa mise en images.

Mais cela n’empêche en rien le plaisir que j’ai pris à la lecture de cet album. A découvrir un vrai auteur qui, j’en suis certain, tiendra les promesses offertes par sa manière d’aborder une aventure, de la narrer, de la dessiner, de la mettre en scène. Sa façon de mêler intimement l’imaginaire et le réel est extrêmement intéressante.

copyright Nico

Un livre à découvrir, donc, un auteur dont on peut attendre beaucoup…

Jacques et Josiane Schraûwen

Adelin & Irina : La Révolte Des Esclaves (auteur : Nicolas Van De Walle – éditeur : éditions du tiroir – janvier 2022 – 64 pages)

Auprès De Mon Arbre – un titre inspiré par Brassens pour un livre à ne pas rater !

Auprès De Mon Arbre – un titre inspiré par Brassens pour un livre à ne pas rater !

Les arbres sont des compagnons immobiles de nos quotidiens… Pas seulement en forêt, mais sur les chemins campagnards, dans les villages et les cités, dans les jardins citadins. Ce sont eux les héros essentiels de ce livre !

Non, je ne vais pas ici vous faire un discours écologique pompeux, ne vous en faites pas !

D’ailleurs, qu’est-ce que l’écologie ?

Quand on cherche la définition de ce mot, la première que l’on trouve définit une science s’attachant à l’étude des êtres vivants. La deuxième définition nous parle d’un équilibre entre l’homme et ce qui l’entoure, mais avec une dangereuse dérive, puisqu’elle parle de « doctrine ». Quant à la troisième définition, elle est la dérive ultime, puisqu’elle définit une idéologie politique aux formes, reconnaissons-le, de plus en plus autoritaristes et de moins en moins démocratiques…

Je souscris pleinement, évidemment, à la première définition…

La deuxième correspond, sans aucun aspect doctrinaire heureusement, au contenu de ce livre-ci : un livre qui nous parle de tout ce qui, au plus proche de nous, les arbres, participe à l’équilibre entre l’humain et son environnement naturel. Et j’y souscris tout aussi sereinement !

Quant à la politique, elle n’a (plus) rien à faire avec l’humanisme, ni même avec l‘intelligence !

copyright ernst

Donc, revenons-en à cet album.

Comme le disait Brassens, il ne faut jamais s’éloigner de son arbre… Il faut le regarder, le voir, le sentir vivre.

Et c’est ce que nous offre ce livre, au travers d’un personnage, Jo la Genette, qui, de page en page, nous fait découvrir la beauté des arbres, d’une part, leur variété, mais aussi tout ce que cette beauté cache de vie, d’espérance de vie, de diversité grouillante, d’existence, tout simplement, autonome, solidaire, des mots desquels il nous restera toujours beaucoup à apprendre et à espérer…

copyright ernst

Certes, ce livre est ouvertement et volontairement destiné à sensibiliser une jeune génération plus souvent sensible à la virtualité immédiate qu’à la réalité tangible… On peut parler, bien évidemment, d’une sorte de vulgarisation scientifique, tant il est vrai qu’on y apprend des tas de choses… Saviez-vous, par exemple, que dans une haie, centrée par un arbre, on trouve des oiseaux, des mammifères, des insectes, des dizaines d’espèces d’araignées, et même des reptiles ?

Parce que, au-delà ce l’arbre, c’est tout un univers naturel que nous approchons, lecteurs curieux, tout au long de ce livre. On y parle des haies, on y parle aussi de l’importance d’un paysage, pour la diversité naturelle autant que pour le regard qui s’y pose, on y parle du langage des arbres entre eux, de racine à racine, on y parle du bois et de ses mille utilités journalières, on y parle des fondations de Venise…

copyright ernst

Et on le fait simplement, avec humour, aussi…

Grâce aux dessins d’illustration, dus un auteur de bande dessinée auquel on doit la série la plus importante, humainement parlant, de ces vingt dernières années (au moins…), « Boule à zéro » (avec l’excellent scénariste Zidrou). Serge Ernst est un dessinateur engagé, à sa manière, et depuis bien longtemps, depuis ses fameux « Clin d’œil » des années 70.

Engagé non politisé…

Engagé, avec Boule à zéro, pour faire sourire les enfants hospitalisés…

Engagé aujourd’hui pour montrer la richesse la plus immédiate qui n’appartient à personne, et donc à tout le monde, la nature, les animaux, les arbres, omniprésents pour qui sait encore ouvrir les yeux, pour qui veut encore éclairer ses regards.

Ce livre n’est pas distribué en masse… Il est le fruit d’un travail passionné de quelques auteurs, et d’un dessinateur motivé par son sujet, et parvenant, sans avoir l’air d’y toucher, à faire de l’humour la plus belle des armes de l’intelligence…

Ce livre est donc vendu sur les sites de l’éditeur : www.ap32.fr et www.jolagenette.com si vous le voulez avec une dédicace de Serge Ernst.

copyright ernst

Jacques et Josiane Schraûwen

Auprès De Mon Arbre (illustrateur : Serge Ernst – éditeur : arbre et paysage 32 – 109 pages – www.ap32.fr et www.jolagenette.com si vous le voulez avec une dédicace de Serge Ernst.)