Après La Rafle : un livre et une exposition à Bruxelles

Après La Rafle : un livre et une exposition à Bruxelles

Avec un dessin puissant, un livre qui nous parle de l’inacceptable… A découvrir jusqu’au 22 octobre dans La Galerie de la Bande Dessinée – Chaussée de Wavre 237 – 1050 Bruxelles !

copyright les arènes bd

1942. A Paris a lieu une « rafle », l’arrestation de milliers de Juifs, par la police française. Des Juifs enfermés au « Vel d’hiv » avant d’être envoyés vers d’autres camps, antichambres d’une mort annoncée.

Dans la foule de ces humains, des hommes, des femmes, des enfants. Parmi ces enfants, Joseph Weismann.

C’est lui qu’on rencontre dans ce livre qui nous raconte la grande Histoire à hauteur d’enfance meurtrie à tout jamais.

Après la rafle… Un album inspiré donc par les souvenirs de ce gamin qui a vécu l’horreur de la rafle à Paris, l’horreur de l’enfermement, ensuite, dans un camp en France, à Beaune-la-Rolande, la folie de son évasion, enfin…

copyright les arènes bd

Ce livre, bien plus que le triste film « La Rafle », avec Jean Reno, est une réussite, à tous les niveaux.

Adaptation des souvenirs de Weismann, cet album est surtout un hommage à une mémoire brisée, à un être humain qui, au brasier de ses années, n’a jamais pu oublier et veut porter témoignage du besoin, essentiel, élémentaire même, de résister à l’inacceptable.

Avec un scénario qui n’a rien de linéaire, qui, même, se révèle éclaté, comme l’est toute mémoire humaine, finalement, cet album plonge les lecteurs dans la grande Histoire, celle d’une France oublieuse pendant des dizaines d’années de ce que fut réellement la collaboration : des camps de détention qui n’avaient rien à envier à ceux qui se multipliaient dans le Reich d’Hitler, dans le Loiret, en Alsace aussi, où un four crématoire a même « fonctionné » !

Laurent Bidot: le scénario

Deux enfants, perdus dans une guerre à laquelle ils ne peuvent rien comprendre, sont les axes centraux de ce livre de mémoire…

Laurent Bidot: l’Histoire

Mémoire historique, oui, mémoire émotionnelle surtout. Et pour en faire les héros tangibles de ce livre, pour être fidèles aux souvenances de l’enfant Joseph Weismann, Laurent Bidot et Arnaud Delalande ont décidé de tout raconter, par les mots et le graphisme, à hauteur de l’enfance… Une enfance dessinée, ainsi, portant sur le monde qui les entoure, le monde des adultes, le monde des grands, un regard extrêmement attachant.

Laurent Bidot: la mémoire

Et à Bruxelles, donc, c’est ce livre important qui se révèle et s’expose. Un livre que tout monde devrait avoir lu, et faire lire… Un livre qui se montre au travers des dessins de Laurent Bidot, un dessinateur qui a choisi un travail sur le noir et blanc proche de l’expressionnisme allemand pour rendre compte et souvenance d’un « inacceptable » répugnant.

copyright les arènes bd
Laurent Bidot: le dessin

Pour nous donner à voir l’horreur d’un quotidien français que l’Histoire officielle ne remet en lumière que depuis très peu de temps, Bidot choisit la voie de la pudeur et de l’émotion. Totalement dessiné de manière très classique, pour rendre clair et lisible le scénario éclaté, ce livre n’a rien d’un travail de seul délassement, et on sent, face aux cimaises où sont accrochées les planches originales, tout l’engagement qui a été celui de l’artiste.

Laurent Bidot: la pudeur

Ce livre, en fait, c’est un regard… Et même si l’album est paru en couleurs, des couleurs d’ailleurs parfaitement réussies, on ne peut qu’être éblouis par la technique du noir et blanc de ce dessinateur habité véritablement par son sujet. Et éblouis aussi par la fusion tangible entre le témoin, Weismann, le scénariste Arnaud Delalande, et le dessinateur Laurent Bidot… Le tout orchestré, dans le livre, par la couleur de Clémence Jollois.

Laurent Bidot: la couleur

Un livre et une exposition à ne pas rater, donc…

copyright les arènes bd

Jacques et Josiane Schraûwen

Après La Rafle (dessin : Laurent Bidot – scénario : Arnaud Delalande – couleur : Clémence Jollois – éditeur : Les Arènes BD – janvier 2022 – 124 pages)

 Exposition jusqu’au 22 octobre des dessins de Laurent Bidot – La Galerie de la Bande Dessinée – Chaussée de Wavre 237 – 1050 Bruxelles

Alamänder : 1. Mystère A La Tour De L’Horloge

Alamänder : 1. Mystère A La Tour De L’Horloge

Un romancier, un scénariste, un dessinateur et deux coloristes : de la fantasy qui décoiffe !

copyright kamiti

Résumer ce premier album n’est pas compliqué.

D’une part, nous avons un mage, Jonas Alamänder, chassé de sa maison, voulant plaider sa cause, et confronté à un mystère digne de Rouletabille. Sa sagesse de mage liée à ses compétences de détective, avec l’aide étrange de Retzel, un horrifiant petit animal de compagnie, tout cela va-t-il suffire à résoudre les énigmes criminelles qu’il découvre ?

D’autre part, nous avons un gamin, Maek, que l’on voit vieillir au gré d’une quête horrifique dans laquelle la mort est omniprésente.

Entre Alamänder et Maek, aucun lien, sans doute. Et 800 années de différences, dans deux mondes qui ne se ressemblent que très peu…

Deux lieux, deux temps, et le TEMPS qui se fait, au fil du récit, un personnage presque palpable…

Tous les albums d’héroic-fantasy se ressemblent souvent. Très souvent. Trop souvent… Et voici qu’en peu de temps, deux séries de ce genre réussissent à leur manière à casser des codes que je trouve, personnellement, très étroits. SOW, inspiré, si je ne m’abuse, d’un jeu vidéo… Et ALAMÄNDER, inspiré d’un roman…

copyright kamiti

Alamänder… Personnage qu’on a l’habitude de rencontrer dans le monde de la fantasy : beau, jeune, aventurier, charmant et, bien évidemment, charmeur. Mais voilà… Il est plein d’illusions, ce garçon, et, comme Spirou, il a un compagnon que bien des gens prennent pour un écureuil. Mais Retzel et Spip n’ont strictement rien à voir ! Sinon dans leur propension à manger, dans celle de râler… Pour le reste, vous découvrirez vite que cet hommage à une bd mythique se fait quelque peu gore au fil des pages !

Retzel est le contrepoint d’Alamänder. Un contrepoint total… Aucune sagesse chez lui, aucune utilité non plus, semble-t-il, et de la vulgarité, de la provocation!

Maek… Personnage qu’on a plus l’occasion de rencontrer dans les comics américains les plus sombres qui soient, ceux qui s’intéressent aux tueurs psychopathes. Il semble sorti tout droit des pages d’un « ça » de Stephen King, mais un « ça » dans lequel le clown serait la proie d’un enfant assassin, un enfant, d’ailleurs, qui ne rêve que de cela, une école des assassins !

copyright kamiti

Atypique, incontestablement, cette série l’est, qui donne parfois l’impression de se perdre dans sa propre évolution. Il y a des zones d’ombre qui ressemblent à des oublis. Maek est le premier des Hempé, mais qu’est-ce qu’un Hempé ?… Alamänder, au cours de son enquête, parle de bruits que des gardes ont entendus, alors qu’à aucun moment, dans le déroulé de l’action, le scénario n’en parle…

Les auteurs m’ont dit, le sourire aux lèvres, qu’il allait falloir attendre le deuxième tome pour avoir quelques réponses à mes légitimes questions !…

copyright kamiti

Cela dit, ce livre m’a bien plu.

Certes, il file un peu dans tous les sens, il pratique à la fois l’humour glauque et la plaisanterie vulgaire, le gore et une certaine forme de tendresse, l’aventure la plus convenue avec des soldats, leurs étranges montures et des monstres hideux, et le meurtre dans un lieu clos cher à Christie comme à Leroux.

Il multiplie aussi les références, avec Spip, comme je l’ai dit, mais avec les folies agricoles que notre univers connaît déjà (des céréales belliqueuses…), il mêle dieux, humains, magie et quotidiens… Il nous parle d’amitiés viriles et d’émois amoureux. Il mélange des mythologies que nous connaissons, grecque et catholique, entre autres, pour en créer une nouvelle…

copyright kamiti

Et c’est tout cela qui fait la richesse et la réussite de ce livre. On ne s’ennuie à aucun moment, on a l’impression de se trouver dans une sorte de micmac brumeux qui finit plus par ressembler à un univers ésotérique qu’à de la fantasy, avec un rappel, discret, au Petit Albert…

C’est cette imagination, littéraire d’abord, scénaristique ensuite, graphique enfin, qui lie tout cela en y ajoutant le travail de la couleur…

J’attends donc la suite de cet album, en espérant y trouver les réponses aux « blancs » volontaires de ce premier tome !

les auteurs et leur éditeur

Alexis Flamand et Gihef

Jacques et Josiane Schraûwen

Alamänder : 1. Mystère A La Tour De L’Horloge (dessin : Marco Dominici – scénario : Gihef, d’après le roman d’Alexis Flamand – couleurs : Andrea Celestini et Alessandro Russotto – éditeur : Kamiti – septembre 2022 – 64 pages)

Amy Pour la vie

Amy Pour la vie

Un livre intelligent et tolérant ! Un livre, tout simplement, tous publics, qui fait du bien.

copyright Bamboo

Dans cet album, on découvre une petite fille de 12ans, la brune Amy. On peut dire d’elle qu’elle pratique au quotidien la joie de vivre. Et pourtant, cela ne devrait pas être chose facile, puisqu’Amy est non-voyante. Et c’est son existence au jour le jour qu’on découvre dans ce livre qui, même s’il est destiné à un jeune public, se doit d’être lu par toute une chacune, par tout un chacun !

copyright bamboo

Il est vrai que tout cela pourrait donner lieu à un livre mélo, et cela ne l‘est nullement !

L’éditeur Bamboo a l’habitude de proposer des livres pour jeunes, en surfant sur la mode des gags en une page : les blagues de Toto, les Profs, les joueurs de foot, ou de rugby, que sais-je encore… Et j’avoue que ce n’est pas vraiment ma tasse de thé, comme on dit, même si certaines de ces séries à succès sont réussies, dans le genre.

Mais Bamboo, c’est aussi l’éditeur d’une série exceptionnelle qui parle d’une adolescente qui vit en hôpital, avec d’autres enfants, pour soigner son cancer : « Boule à Zéro », de Ernst et Zidrou. Là aussi, on se retrouve face à un sujet qui aurait pu être larmoyant et qui est, tout au contraire, d’une tendresse fabuleuse.

copyright bamboo

Tout comme ce livre-ci !

On y suit, de page en page, Amy et son chien guide dans la rue, à l’école, avec ses copains, faisant du sport… Plus que des gags, je dirais que ce sont des petites tranches de vie souriantes. Amy va à l’école avec son chien, ce qui provoque un intérêt de la part des profs et de la direction, mais aussi de la part des autres élèves qui font, soudain, de la salle de classe une ménagerie…

Je le disais, rien de larmoyant, même quand Amy et son chien Kita participent à des classes vertes et que l’adolescente se sent « hors-jeu » à cause de son handicap. Mais ses amis lui rendent le sourire en transformant cette classe verte en une classe noire, toutes lumières éteintes le soir, pour que chacun puisse découvrir, réellement, ce que c’est que de ne pas voir… Ce livre, c’est vraiment un ami pour la vie, un ami pour la vue… Et des amitiés qui, pour utopiques qu’elles soient dans la réalité, malheureusement, font réfléchir et donnent l’espoir d’un monde qui peut devenir meilleur.

copyright bamboo

Il n’y a finalement rien d’enfantin, dans ce livre…

Et le côté bande dessinée se complète par des fiches pédagogiques sérieuses, mais traitées avec simplicité… Au sujet des chiens guides, bien sûr, mais pas uniquement. Comment, par exemple parler à une personne aveugle… Il faut lui dire quand on sourit, quand on s’en va…

Et ce qui est à souligner, vraiment, c’est l’humour simple et gentil. Dans le scénario, d’abord, avec un sens très « parlé » de l’écriture et des dialogues. Dans le dessin, évidemment, qui n’est jamais caricatural et qui, non réaliste, réussit de ce fait à faire passer des messages importants.

Je dirais que, à sa manière, ce livre fait l’éloge de la différence… Nous pose la question de savoir ce qu’est la normalité. Au travers, par exemple, de cette réflexion de la part de Louka, un ami d’Amy : « on n’est jamais obligé de faire comme tout le monde »…

copyright bamboo

Oui, c’est un livre agréable, qui fait du bien, qui nous fait croire que nous pouvons rendre notre monde plus habitable qu’il ne l’est…

Jacques et Josiane Schraûwen

Amy pour la vie (dessin, Cécile – scénario : Derache et Cazenove – (très jolies) couleurs : Annelise Sauvêtre – éditeur : Bamboo – 56 pages – avril 2022)