Les Artilleuses – 2. Le portrait de l’antiquaire

Les Artilleuses – 2. Le portrait de l’antiquaire

Trois héroïnes dans un Paris réinventé !…

Cette série, qui en est à son deuxième tome, s’amuse à mélanger les genres, nous entraînant dans des aventures échevelées aux imaginaires féconds !

Les Artilleuses – 2.© Bamboo-Drakoo

La bande dessinée est affaire de goût, comme tous les arts. Ce que j’aime, personnellement, dans cet univers graphique et littéraire, c’est sa capacité à surprendre, à utiliser des codes bien connus pour les distordre, leur offrir quelques dérives.

Et ct c’est exactement ce qu’il se passe avec la série « Les Artilleuses »… Ces artilleuses, ce sont Lady Remington, magicienne anglaise, Miss Winchester, Américaine possédant une salamandre magique, et Mam’zelle Gatling, une fée parisienne.

Les Artilleuses – 2.© Bamboo-Drakoo

Nous sommes en 1911, dans un Paris qui n’est ni tout à fait le nôtre, ni tout à fait un autre !… On reconnaît les lieux, les bâtiments, les décors… L’ambiance, même, très début de siècle, avec les chaussures à clou des forces de l’ordre, avec des services secrets qui semblent déjà annoncer une future guerre…

Mais on se trouve également, en même temps, dans un univers où ce monde côtoie l’outremonde… Et, de ce fait, il est naturel dans ce Paris qu’on reconnaît, des Trolls, des animaux bizarres, des faunes, des elfes, des magiciennes…

Cela dit, ces Artilleuses ne sont pas seulement une série d’héroïc fantasy.

Les auteurs s’amusent, de bout en bout, à distordre les codes parfois trop spécifiques de ce genre littéraire… Avec le scénariste Pierre Pevel et le dessinateur Etienne Willem, je parlerais plutôt de « merveilleux »…

Pierre Pevel et Etienne Willem : le merveilleux

Dans le premier tome, trois aventurières, les fameuses artilleuses, ont volé une sigillaire, une bague qui, disparue, peut provoquer bien des remous dans l’outremonde. Dans ce deuxième tome, les auteurs mettent en scène une véritable enquête policière à l’ancienne, dans une ambiance proche des feuilletons de la fin de dix-neuvième siècle, voire du vingtième siècle… Je pense à Eugène Sue, entre autres… Du côté des drames, cette enquête qui va mettre en face à face les espions allemands, les espions français, et les artilleuses, cette enquête, donc, va provoquer des fusillades, avec, à la clé, des cadavres à la pelle… Mais tout reste toujours dans le domaine de l’aventure, de l’humour aussi…

Les Artilleuses – 2.© Bamboo-Drakoo

C’est un livre ardu à résumer… Mais c’est surtout un livre passionnant et, ma foi, jouissif ! On y trouve des tas de références, de sourires, un commissaire cher à Nestor Burma, par exemple, ou un rédacteur en chef de Spirou très emblématique… C’est dire qu’il y a plusieurs lectures possibles… Des lectures « feuilletonnesques », souriantes sans jamais être mièvres…

Pierre Pevel : les influences

Et puis, il y a aussi, narrativement, des encarts narratifs originaux… Des voix « off », en couleur jaune, qui ne se contentent pas comme avec les dessinateurs de la Ligne Claire, de décrire ce qui se passe, mais qui, tout au contraire, fluidifient le récit en y apportant des raccourcis de bon aloi.

Pierre Pevel et Etienne Willem : les inserts narratifs

Et le dessin d’Emmanuel Willem, venu du monde de l’animation, joue avec les perspectives, avec les mouvements, aussi, usant d’angles de vue qui distordent le graphisme tout comme le scénario le fait avec le récit. Etienne Willem, par ailleurs dessinateur d’une autre série excellente, « La fille de l’exposition », prouve d’album en album que son talent devient de plus en plus évident.

Etienne Willem : le dessin

Un dessin qui pourrait se suffire à lui-même, sans doute, mais qui prend encore plus de vie, encore plus de présence grâce à un travail sur la couleur qui, en ombres et en lumière, dépasse et de loin le simple coloriage !

Etienne Willem : la couleur

Et comme dans les feuilletons du dix-neuvième siècle, ce « tableau de l’antiquaire » se termine sur une planche qui donne envie de vite tourner la page pour en découvrir la suite !

Les Artilleuses – 2.© Bamboo-Drakoo

Mais, pour cela, il va falloir attendre que paraisse, dans quelques mois, « Le secret de l’elfe »…

Jacques Schraûwen

Les Artilleuses – 2. Le portrait de l’antiquaire (dessin : Etienne Willem – scénario : Pierre Pevel – couleurs : Tanja Wenish – éditeur : Bamboo-Drakoo – 48 pages – mai 2021)

Les Artilleuses – 2.© Bamboo-Drakoo

Airborne 44 – 9. Black Boys

Airborne 44 – 9. Black Boys

Neuvième volume, déjà, d’une série qui, en nous parlant de la guerre 40-45, nous fait aussi réfléchir à ce que sont nos quotidiens…

Airborne 44 : 9. Black Boys © Casterman

Outre la qualité graphique, la puissance d’un scénario sans aucun manichéisme, cette série a une construction intelligente, respectueuse des lecteurs qui n’ont pas envie de se perdre dans des suites qui n’en finissent pas. Chaque récit s’articule en deux tomes… Et donc, ce numéro neuf est la première partie d’une histoire, ancrée dans la Grande Histoire, et qui dépasse le factuel d’un conflit qui a vu le monde s’embraser, pour aborder des thèmes aussi actuels que le racisme et la tolérance.

Philippe Jarbinet : une implication personnelle

Résumons quelque peu le scénario. En août 1944, Nice est libérée et fait la fête. Virgil un jeune afro-américain, noue un flirt avec une infirmière blanche, ce qui n’a pas l’beur de plaire à Jared, un soldat, blanc lui. Il y a une bagarre, un tabassage… Et puis, quelques semaines plus tard, ils se retrouvent dans les Ardennes pour faire face à une nouvelle offensive allemande… Et pour survivre, ils vont devoir, tout simplement, s’accepter l’un l’autre… Difficilement, mais obligatoirement !

Airborne 44 : 9. Black Boys © Casterman

On sent, en lisant les livres de Philippe Jarbinet, combien le touche l’histoire de la deuxième guerre mondiale.

Philippe Jarbinet : l’Histoire

Tout ce livre foisonne de regards aiguisés sur une réalité qu’on occulte bien trop souvent : la place donnée aux soldats noirs dans l’armée américaine, une place qui n’était pas plus enviable que celle accordée, par les Français, aux tirailleurs sénégalais… Ce livre nous parle de racisme, mais aussi de musique, d’amour, de désir, de nature, de rencontres humaines.

Avec, d’une certaine manière, une remarque très pessimiste : d’un combat à l’autre, tous les ségrégationnismes restent vainqueurs. Aucune lutte n’est définitive. Et cette réalité est celle que vit Virgil, le héros, le « Noir » dans un monde de « Blancs », qui sait déjà que les lendemains ne seront pas tous ensoleillés, loin s’en faut !

Philippe Jarbinet : Pessimisme…

C’est que tout racisme naît et entraîne un sentiment contre lequel la foule et ses poitiques ne résistent que peu : la haine… Cette haine qui est une prison, cette haine qu’on veut fuir mais qui s’impose, de rumeur en dictature, et même de dictature en démocratie. Les droits de l’Homme n’ont sans doute jamais été aussi bafoués que depuis la victoire contre le nazisme…

Et c’est là aussi tout le talent de Jarbinet que de pouvoir, à partir d’une réalité historique, ériger une fiction qui s’avère, elle, intemporelle.

Airborne 44 : 9. Black Boys © Casterman
Philippe Jarbinet : fiction et réalité

Même si le travail de l’auteur, Philippe Jarbinet, est d’une belle justesse et fidélité quant à la guerre, aux uniformes, aux armements, l’important n’est pas là… Il est dans l’intérêt qu’il porte, de bout en bout, à ses protagonistes, sans jamais être manichéen, mais en observateur neutre d’une Histoire qui, de toute façon, dépasse les seules individualités qui la construisent. Mais qui, dans le même temps, s’inscrit résolument dans le réel. Jarbinet est un dessinateur réaliste, classique, rigoureux, et ses récits prennent tout leur sens, comme dans cet album-ci, de l’intégration de ses personnages dans des décors précis, des décors qui ne sont pas théâtraux mais qui participent pleinement à la narration, à l’humanisation de l’histoire racontée. Le trait de Jarbinet s’intéresse de près aux regards, aux trognes ai-je envie de dire. Mais, en même temps, il privilégie de bout en bout les décors… Les sous-bois dans lesquelles se perdent les personnages, les paysages enneigés dans lesquels ils se débattent contre l’ennemi et contre leurs préjugés, tout cela participe à un rythme, à une ambiance…

Philippe Jarbinet : les décors

Ainsi, c’est un livre au scénario extrêmement bien construit, un livre humaniste, un livre merveilleusement dessiné. Le graphisme classique de Jarbinet s’inscrit dans la filiation d’un Hermann, sans aucun doute, mais sans aucune imitation.

Philippe Jarbinet : Hermann

Et puis, comment ne pas parler de la couleur ! Cette couleur, directe, qui est, pour les scènes de neige en Ardenne, d’une vraie beauté… Cette couleur qui, véritablement, rythme le récit, l’éclaire au moment de la fête de la victoire à Nice et l’éteint ensuite, progressivement, au fur et à mesure que la guerre et la mort prennent le relais de la liesse populaire…

Airborne 44 : 9. Black Boys © Casterman
Philippe Jarbinet : la couleur

De toute la série Airborne, je pense que cet album-ci est le meilleur, qu’il a permis, de par son thème sans doute, à Jarbinet de dépasser ses propres limites artistiques. Une superbe réussite…

Jacques Schraûwen

Airborne 44 : 9. Black Boys (auteur : Philippe Jarbinet – éditeur : Casterman – 64 pages – avril 2021)

Philippe Jarbinet

Adam, l’attraction du pire

Adam, l’attraction du pire

Le portrait d’un jeune « radicalisé » : un livre interpellant !

Remedium est de ces auteurs de bande dessinée qui ne peuvent que parler de ce qu’ils connaissent, que de ce qu’ils ont découvert. Il est de ces artistes que l’on peut dire engagés, puisque résolument dégagés des manichéismes ambiants et tristement politiquement corrects.

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore

Dans ce livre, c’est une histoire vraie qui sert de trame à un récit simple, celui d’une manipulation intellectuelle menant au pire.

Le scénario de Séraphin Alava est frontal, il suit les pas, tout simplement, d’Adam, emprisonné pour des faits de terrorisme. Des pas en prison, bien évidemment, mais aussi, et surtout, ceux qui l’ont conduit jusqu’à cet enfermement.

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore

Le dessin de Remedium, encore plus ici que dans ses livres précédents, est simple, direct, sans fioritures, sans pratiquement de décors. Ce sont des êtres humains qu’il nous montre, dont il nous parle, qu’il fait vivre et parler. D’un être humain, surtout, l’anti-héros de ce livre, Adam, prénom symbolique pour un homme qui, pour différentes raisons, se cherche une raison d’être…

Et on suit donc l’embrigadement d’Adam, dans une de banlieue comme il y en a tant, en France, en Belgique, partout, même en plein cœur des villes…

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore

L’attraction du pire, c’est pour cet adolescent de 19 ans une spirale qui, lentement, sans heurts, mène un individu à ne plus être capable de penser par lui-même.

Et ce qui est extrêmement intéressant dans ce livre, c’est que les auteurs refusent tout manichéisme. Ils nous donnent à voir, certes, une descente en enfer avec l’alibi d’un paradis à venir, mais ils le font en montrant, aussi, la multiplicité des possibles, des avis, au travers même des amis d’Adam qui tentent de lui faire comprendre ce que devrait être le message de l’Islam.

« Ta foi, elle est en toi et elle ne regarde que toi » lui dit un proche… qu’il n’écoute pas !

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore

Ce livre est en quelque sorte l’autopsie dessinée d’une entrée en terrorisme, en religion. Avec l’appui d’une propagande bien huilée, avec des jeux vidéo qui aident cette propagande, des jeux dont Adam dit : « on se croirait dans une guerre, non dans un jeu vidéo » !

Les auteurs réussissent à ne rien occulter : la manipulation amicale pour démontrer que la famille n’a pas fait son travail, l’instauration d’un complotisme à partir de faits avérés, avec un sens aigu de l’analyse complotiste des événements de mort au Proche-Orient.

Ce livre, qui s’inscrit ouvertement dans une volonté de lutter contre les radicalisations, se continue par un dossier pédagogique à destination des jeunes, des parents et des enseignants. En outre, en France, il servira de base à une exposition itinérante dans les collèges.

C’est donc bien d’un livre engagé qu’il s’agit. D’un livre qui tente d’ouvrir des portes, ou des fenêtres plutôt, sur la vie et toutes ses valeurs essentielles.

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore

Et ce n’est pas un hasard si la lecture devient pour Adam une aide… Un chemin nouveau… Un peu comme si la jeunesse, en apprenant à lire, appréhendait en même temps le plaisir et le pouvoir de l’écriture. Lire, c’est s’offrir la chance d’écrire, écrire, c’est réfléchir…

Adam, c’est un livre qui parle de la foi, sans la condamner. Et qui fait d’un livre de Romain Gary une porte de sortie, une attraction inversée, puisque chacun, pour lui, « se doit de porter le défi d’être un homme ».

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore

« Il sait bien que les vérités absolues n’existent pas, qu’elles ne sont qu’un moyen de nos réduire à la servitude » (Romain Gary)

Jacques Schraûwen

Adam, l’attraction du pire (auteur : Remedium, d’après un témoignage fourni par Séraphin Alava – éditeur : La Boîte à Pandore – mars 2021)

https://www.lalibrairie.com/livres/editeurs/la-boite-a-pandore,0-781312.html

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore