Blue Thermal 01 – Candy & Cigarettes

Blue Thermal 01 – Candy & Cigarettes

Vous prendrez bien un peu de Manga?….

Une bluette sympathique et un excellent polar sombre et particulièrement bien construit… En guise de mangas, il y en a pour tous les goûts!… Les miens me portent, en tout cas, à vous conseiller vivement de vous plonger dans « Candy & Cigarettes » !

© Komikku © Casterman


Blue Thermal 01

(auteur : Kana Ozawa – éditeur : komikku)

Une des grandes tendances de la bd japonaise, c’est ce qu’on pourrait appeler la « romance ». Les histoires à l’eau de rose se multiplient en effet, pour le plus grand plaisir des adolescents et, surtout, des adolescentes. C’est que les ingrédients dans ces livres sont toujours un peu les mêmes, calqués, en quelque sorte, sur le mythe charmeur et, ma foi, charmant, du prince qui l’est tout autant !

Un genre qui, je l’avoue, ne m’enthousiasme jamais vraiment.

Un genre illustré, dans ce livre-ci, par une histoire gentillette. Tamaki s’inscrit à l’université. Véritable garçon manqué, sportive dans l’âme, ce qu’elle veut, c’est se dénicher, comme toutes les filles de son âge, un « petit ami ». Mais voilà, si le coup de foudre existe, si elle le ressent, c’est vis-à-vis du ciel, des nuages, du vent, et d’un planeur dans lequel elle s’offre le bonheur de voler au-dessus des choses, des sentiments, et de leurs apparences.

Blue Thermal 01 © Komikku

Sans être exceptionnel, ce « Blue Thermal » se différencie malgré tout de la production habituelle de ce genre d’histoires. Par la personnalité de son héroïne, d’abord, qui, de gaffe en gaffe, se doit de trouver sa place dans une société japonaise extrêmement codifiée, une société dans laquelle le rôle de la femme n’a rien de féministe, que du contraire, et ce jusque dans les termes utilisés : après une ses maladresses, Tamaki s’entend dire, par exemple, qu’elle va devoir rembourser en nature… On parle de travail à fournir, certes, mais le double sens du langage n’a certainement, ici, pas grand-chose à voir avec le seul hasard !

La seconde différence se situe là, justement, dans le portrait d’un Japon toujours ancré dans des réflexes du passé, dépassés donc.

Cela dit, les codes habituels du manga (caricature des expressions, par exemple) sont bien présents, avec leurs lourdeurs évidentes. Mais le dessin réussit, cependant, à attirer grâce à l’attention qu’il porte aux regards des différents protagonistes.

Ce que j’ai apprécié, aussi, dans le dessin, c’est la symbolique des différentes représentations graphiques de l’héroïne, dessinée tantôt enfant, tantôt ado, tantôt presque adulte, selon les sensations qu’elle exprime.

C’est donc une bd manga sympathique, et qui s’adresse essentiellement à un public jeune, c’est évident !


Blue Thermal 01 © Komikku

Candy & Cigarettes

(auteur : Tomonori Inoue – éditeur : Casterman)

Avec ce manga-ci, on se trouve très loin du codifié, du conventionnel, à savoir même du « politiquement correct ». Jugez-en en découvrant le fil du scénario !

D’une part, il y a Raizo, un policier à la retraite qui voit son petit-fils atteint d’une maladie dont le traitement coûte une fortune.

De l’autre côté, il y a Miharu, une gamine de presque douze ans, adorant les bonbons, et n’ayant qu’un but, se venger de ceux qui ont assassiné ses parents.

Entre ces deux personnages qui ne devraient jamais se rencontrer, il y a une agence étrange, au sigle tout aussi étrange, SS, une agence qui dit travailler pour l’état et qui ne commandite que des meurtres.

Une agence qui engage le vieux policier… Une agence dans laquelle la gamine est une des tueuses les plus efficaces.

Candy & Cigarettes © Casterman

A partir de ce canevas, l’auteur garde le sens du rythme propre à l‘univers manga, mais il le complète par une construction narrative inspirée, elle, du comics à l’américaine. D’autres, avant Tomonori Inoue, ont déjà tenté la chose, c’est vrai, mais rarement avec réussite ! Et ici, le résultat est excellent! Moi qui ne suis pas vraiment fan des mangas, j’ai été ébloui et subjugué par ce livre.

Il faut dire que le regard y est critique sur le Japon d’aujourd’hui : la place des vieux dans une société axée sur des valeurs de profit et de rentabilité, le coût des soins de santé qui ne sont accessibles très souvent qu’aux plus riches, la corruption d’un système politique et policier, tout cela participe à un récit qui n’a rien, finalement, de gratuit.

Et, surtout, qui est passionnant, de bout en bout !

Nous nous trouvons en fait dans une théâtralisation tragique d’un polar inconvenant ! Un polar sombre, totalement amoral, traité, tout compte fait, sobrement, sans aucun excès, même dans les scènes de violence pure.

Pour moi, ce livre est à découvrir, absolument, par les amateurs de mangas, par les amateurs de BD européenne, par les amateurs de Comics… Par toutes celles et tous ceux, en fait, qui aiment la bande dessinée sous toutes ses formes, quand elle choisit les chemins de l’originalité, de l’intelligence et du talent !


Candy & Cigarettes © Casterman

« Blue Thermal » s’adresse résolument à un public jeune, et le fait sans surprise mais avec beaucoup d’honnêteté dans la construction. A réserver, à mon avis, aux adolescentes et aux adolescents… Après tout, il vaut mieux rêver au prince charmant en se sentant proche des nuages que s’accrocher au virtuel de son smartphone…

« Candy & Cigarettes », lui, est destiné à un public beaucoup plus adulte, c’est une évidence ! On y parle d’horreur quotidienne et de mort, on y parle de peur et d’indifférence… On y dessine le portrait d’un monde qui est, aussi, le nôtre. Et puis, il y a cette héroïne, qui reste une enfant malgré ses actes de tueuse, et qui se révèle profondément attachante ! A NE PAS RATER !

Jacques Schraûwen

Brigade Verhoeven : 1. Rosie

Une adaptation en bd d’un roman de Pierre Lemaitre : un album passionnant et intelligent !

Qu’est-ce qui fait la qualité d’un « polar » ?… Souvent, la personnalité de son personnage principal… A ce titre, le commandant Verhoeven, dans les romans de Lemaître comme dans cet album bd, mérite largement le détour !

Brigade Verhoeven © Rue De Sèvres

 

Au départ, il y a donc un roman de Pierre Lemaitre. Ecrivain aimant balader ses mots loin des chemins battus de l’édition, Pierre Lemaitre n’est pas de ceux qui se contentent de reproduire des schémas tout faits. Ses romans policiers, ainsi, utilisent, de manière normale et évidente, les codes du genre (crime, enquête, découverte du coupable…). Mais ils les détournent, il les triture, et ils les mélangent. Ainsi, dans ce « Rosie », on connaît très vite le coupable… Et tout le roman, comme tout l’album, se construisent autour de la recherche, non pas de LA vérité, mais d’une explication qui puisse satisfaire cette vérité…
L’intrigue de cet album a tout ce qu’il faut pour être spectaculaire, et elle l’est grâce au dessin  de Corboz, qui suit avec vivacité et efficacité un scénario plein de zones d’ombre: un jeune homme fait sauter des bombes, se constitue prisonnier en disant qu’il en a placé d’autres. Et, pour éviter les explosions promises, il demande qu’on libère de prison sa mère…. Sa mère, accusée d’avoir tué sa fiancée !


Brigade Verhoeven © Rue De Sèvres

 

A partir de ce canevas, différentes explications peuvent exister, et plusieurs d’entre elles sont abordées au fil des pages… Mais ne vous attendez pas, avec les auteurs de cet album, à du convenu, loin s’en faut ! C’est bien plus l’approche psychologique qui intéressait Lemaitre dans son roman, c’est également ce qui motive le scénariste et le dessinateur de cet album sans temps mort.
Et puis, et surtout sans doute, c’est la figure du commandant Verhoeven qui construit véritablement ce livre, qui en est le pivot, le centre de gravité.
Verhoeven, petit, chauve, binoclard, est un de ces flics à placer à mi-chemin entre Burma, Wallander et Adamsberg. Il a un côté intello déphasé, un côté surréaliste, un côté instinctif, un côté « chef » aussi, vis-à-vis de tous les membres de sa brigade, un côté romantique, également, au feu de sa vie privée.

Brigade Verhoeven © Rue De Sèvres

 

Le scénario, donc, est fidèle à l’esprit du livre originel. Il n’évite pas quelques raccourcis, mais ne s’écarte jamais du « style », au sens large du terme, de l’écrivain, ni même de son rythme.
Le dessin aurait pu être profondément réaliste, et il n’en est rien… On se trouve plutôt en face d’un semi-réalisme, un peu dans la filiation de Tardi. Un graphisme qui rappelle aussi la construction, le découpage de certains comics. Mais un dessin, surtout, qui place au centre de tout les physionomies des protagonistes, leurs expressions, qu’elles soient de colère ou de dégoût, d’amusement ou de doute.
Les couleurs, que je pourrais presque qualifier de « grisaille » même si la palette des coloristes est étendue, participent pleinement au sens même de l’intrigue racontée ici : tout est, en fait, en demi-teintes, comme peut l’être l’âme humaine quand elle se trouve confrontée à ses propres distorsions…


Brigade Verhoeven © Rue De Sèvres

 

Pierre Lemaitre est de ces écrivains capables d’accrocher un lecteur dès les premières lignes, à l’instar de Malet, de Pennac, de Vargas, ou de Aspe.
Bertho et Corboz ont réussi le pari, en prenant comme héros ce flic qui dessine (comme Adamsberg, encore…), d’être passionnants dès les premières vignettes.
Je n’ai donc qu’une seule envie, après avoir refermé cet album : qu’il ne soit que le début d’une série !… Et de vous en conseiller, ardemment, la lecture!…

Jacques Schraûwen
Brigade Verhoeven : 1. Rosie (d’après le roman de Pierre Lemaitre – dessin : Yannick Corboz – scénario : Pascal Bertho – éditeur : Rue De Sèvres)

Brigade Verhoeven © Rue De Sèvres

Bravo Pour L’Aventure 

De la BD américaine pur jus, mais diablement décalée !

 

Alex Toth, comme plusieurs de ses collègues compatriotes, est considéré à juste titre comme un des maîtres du noir et blanc. D’où l’intérêt de cet album, tout en couleurs, qui révèle encore plus le talent de cet artiste à toujours redécouvrir !

 

Bravo pour l’Aventure©Paquet

 

Mort en 2006, Alex Toth est un de ces auteurs américains particulièrement prolifiques. On peut même dire qu’il a pratiquement touché à tout ce qui fait la richesse de la bande dessinée américaine : comics (il a même dessiné Superman !), récits de guerre, travaux d’animation, histoires d’horreur à la « Creepy », polar sombre… Avec, toujours, ou presque, un plaisir à dessiner des personnages quelque peu ambigus, comme son fameux « Torpedo », repris par le superbe Jordi Bernet.
Avec Toth, on peut sans aucun doute parler de continuité. Son art du noir et blanc, comme je le disais, est en continuité flagrante avec Milton Caniff, qui a influencé tellement de dessinateurs, aux Etats-Unis comme en Europe (Jijé, par exemple)

Bravo pour l’Aventure©Paquet

 

Et, donc, les éditions Paquet ont décidé, dans leur collection « Cockpit », de remettre à l’avant plan cet auteur éclectique qui fut aussi capable – et avec quel talent ! -, de se pasticher… Et de rendre hommage, ainsi, avec le sourire au coin des lèvres, à un art dit mineur (à l’époque du moins).
Cet album met en scène un aviateur, Jesse Bravo, dont la ressemblance avec les idoles du cinéma américain des années trente est évidente.
Symbole de la réussite américaine et de ses aléas, Jesse Bravo se bat pour ne pas faire faillite, en butte aux banques qui le harcèlent. Et, pour s’en sortir, il travaille pour le cinéma, cascadeur émérite et un peu fou.
La première des deux histoires nous montre Jesse Bravo embringué dans une aventure qui mêle aviation, cinéma, jolie fille aux courbes avantageuses, trahisons, casino mafieux et truands possédant un certain sens de l’honneur… Toth, incontestablement, s’est beaucoup amusé à mélanger tous les ingrédients traditionnels des aventures à l’américaine des années 30 et 40… Ce n’est pas du pastiche, mais cela n’en est pas loin du tout ! C’est en tout cas une façon de démonter les trucs et ficelles d’une certaine narration, qu’on pourrait nommer : « le hasard organisé »…

Bravo pour l’Aventure©Paquet

 

La seconde histoire de ce livre est infiniment plus surprenante… Touché à la tête par une hélice en mouvement, Jesse Bravo s’évanouit et commence un voyage dans un univers onirique extrêmement particulier… Tout commence avec un personnage qui ressemble au chapelier d’Alice au pays des merveilles, mais qui a la manière d’agir, plutôt, du lapin du livre de Lewis Carroll.
Et puis, de délire visuel en délire visuel, avec des couleurs qui, ici, deviennent essentielles pour la structure même du récit, Bravo croise des personnages venus de tas d’horizons graphiques différents, de Caniff à Pratt, entre autres…
Ce petit récit pourrait n’être qu’un hommage de la part de Toth à tous les dessinateurs qu’il admirait… Mais c’est aussi, et surtout même, une histoire poétique, inspirée, presque littéraire, au cours de laquelle Toth semble avoir voulu aller au bout de son talent graphique, plus loin, en tout cas, que dans ses productions habituelles.

Bravo pour l’Aventure©Paquet

 

Entre Caniff et Kubert, entre onirisme et pastiche, Bravo est un personnage qui mérite vraiment d’être redécouvert ! Grâce soient rendues aux éditions Paquet, donc, pour cet album dans lequel la couleur réussit à mettre vraiment en évidence le talent graphique de Toth, et, étonnamment, sa manière d’user du noir et du blanc également…
Un excellent livre pour tous les amateurs de l’Histoire du neuvième art !

Jacques Schraûwen
Bravo Pour L’Aventure (auteur : Alex Toth – éditeur : Paquet)

 

Bravo pour l’Aventure©Paquet