La Boîte à Musique : 1. Bienvenue à Pandorient

La Boîte à Musique : 1. Bienvenue à Pandorient

Il y a de ces livres sous le charme desquels on tombe rien qu’en les feuilletant. Et c’est le cas de cette  » Boîte à Musique « , dessiné par un jeune auteur, Gijé, que vous pouvez écouter dans cette chronique.

 

 

Dans ce genre de livre, qui parle d’enfance, de rêve, d’univers parallèles au nôtre, de magie, de quêtes initiatiques, le récit graphique ne peut fonctionner qu’à partir du moment où scénariste et dessinateur sont totalement en accord, à partir du moment où les dessins ne se contentent pas d’être des illustrations des mots, où les mots ne sont pas uniquement l’accompagnement des dessins. Et c’est bien cette osmose-là qui est totalement présente dans cette  » Boîte à Musique « .

L’histoire, ouverte à tous les publics, avec le souci d’éviter toute facilité, toute mièvrerie, est assez simple à résumer. Nola fête ses huit ans. Cette petite fille vit avec son père, et on comprend vite que sa mère est morte. Pour son anniversaire, elle reçoit une boîte à musique… Une boîte à musique dans laquelle elle voit une fille de son âge l’appeler au secours. Telle Alice, Nola va plonger dans un monde improbable, impossible, et y découvrir des traces de sa mère, y découvrir surtout que la vie n’est jamais qu’une suite d’apparences trompeuses.

Il y a dans cet album tout l’émerveillement de l’enfance. Mais une enfance confrontée avec des réalités qui, elles, n’émerveillent personne : la mort, la maladie, la drogue. Des réalités qui, cependant, de par la magie du thème, de par la magie du dessin, de par la magie du texte, deviennent ombres et lumières, sans cesse mêlées, deviennent poésie, au sens le plus large du terme… Le texte, simple sans jamais être simpliste, les dessins, le travail de la couleur, du clair et de l’obscur, c’est tout cela qui crée, et dès les premières pages, une ambiance de poésie, une sensation presque charnelle d’imagination en totale liberté.

Et si l’héroïne de cette  » Boîte à Musique  » est une enfant, le lecteur, lui, se doit de se réenfouir dans sa propre enfance pour aller au-delà des apparences et s’approprier le monde qui lui est proposé, comme en une fable où tout, finalement, est possible dès qu’il est rêvé…

Gijé: le scénario, la poésie …
Gijé: une fable …

 

Ce que j’aime aussi, dans ce livre, c’est que, malgré une influence revendiquée par Gijé, celle du style  » manga « , on ne se trouve pas du tout dans la démesure toujours un peu ridicule des expressions humaines. Dans les bandes dessinées qui créent des univers, des bd souvent axées sur l’héroïc-fantasy, l’accent est mis, habituellement, sur l’inattendu, sur l’immédiatement visible. Là aussi, il y a comme une influence des mangas, mais aussi des séries télé à succès !

Ici, rien de tout cela. Le dessin est beau, agréable à l’œil, et le monde que Gijé crée l’est sans ostentation, il est montré, dévoilé, par petites touches graphiques. Bien sûr, il y a l’environnement, les décors. Mais il y a surtout les personnages qui, pour typés qu’ils soient, n’en demeurent pas moins humains, dans leur expressivité, dans la construction physique qu’en fait Gijé. Le monde que ce dessinateur invente est un monde dans lequel chaque être croisé possède une véritable existence, un monde dans lequel personne ne peut être considéré comme un simple élément d’un décor onirique…

Gijé: créer des personnages et un univers

 

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais du scénario, du dessin, des couleurs.

Il me reste à parler d’un élément moteur du graphisme de Gijé : l’importance qu’il accorde, pratiquement à chaque page, au  » regard « . Il ne s’agit jamais, pour lui, de se contenter, à la manière japonaise, de caricaturer un visage, des yeux. Je parlais d’ombre et de lumière, et c’est aussi le cas dans le traitement des regards. Ombre, lumière, chagrin, joie, sourires, peines, peurs, reconnaissances… Les regards que dessine Gijé ne sont pas expressifs, ils sont plus que cela. Ils vont au plus profond de l’âme des différents protagonistes croisés dans les pages de ce livre. Ils sont une espèce de fil rouge que chaque lecteur peut, à son rythme découvrir…

Gijé: les regards

Ce qui est particulièrement réussi, dans ce livre, c’est que, adulte, j’y ai pris énormément de plaisir, mais que je suis certain qu’un enfant, voire un adolescent, en prendront encore plus ! C’est de la bd  » tous-publics « , c’est de la  » littérature-jeunesse  » intelligente, c’est un début de série qui, j’en suis sûr, tiendra les plus belles de ses promesses dans les suites promises à ce premier volume passionnant !

 

Jacques Schraûwen

La Boîte à Musique : 1. Bienvenue à Pandorient (dessin : Gijé – scénario : Carbone – éditeur : Dupuis)

La BD Qui Fait Du Bien

La BD Qui Fait Du Bien

Quarante auteurs de bande dessinée se mobilisent au profit de l’association « Imagine for Margo », qui aide à la lutte contre le cancer des enfants. Un livre à acheter, bien évidemment, mais plus pour le geste que pour le contenu, peut-être !…

                    La BD Qui Fait Du Bien©Glénat

 

Je sais que les rapports entre éditeurs ne sont pas toujours au beau fixe, mais, d’emblée, je me dois quand même de m’étonner que dans un tel album aucune place n’ait été faite, même en simple citation, à l’extraordinaire série de Ernst et Zidrou, « Boule A Zéro » ! Depuis des années, ces deux auteurs parlent sans aucune mièvrerie du cancer des enfants, avec un humour toujours réconfortant, et réussissent à offrir à des hôpitaux des albums destinés, justement, à ces enfants.

                    La BD Qui Fait Du Bien©Glénat

 

C’est vrai que, la télé étant ce qu’elle est, la mode est à nous montrer les difficultés de rencontrent les gens malades, et des artistes comme Gad Elmaleh utilisent leur notoriété avec efficacité. La série télévisée « Les Bracelets rouges » participent de la même démarche, avec un évident talent.

Et il est bon, bien évidemment, que se multiplient ainsi les démarches culturelles et véritablement empathiques à  destination réelle des enfants malades.

Mais il eût été tout aussi bon, j’insiste, de ne pas oublier Ernst et Zidrou !

 

                    La BD Qui Fait Du Bien©Glénat

 

Cela étant dit, parlons de cet album-ci… Dans un livre collectif, chaque lecteur vient trouver ce qu’il aime, bien entendu. Ce qui fait que le panorama se doit d’être large, pour attirer un nombre le plus  important possible d’acheteurs, donc de participants à la cause pour laquelle est destiné cet ouvrage.

Quarante auteurs… Il y a donc, pour tout un chacun, au fil des pages, ce que individuellement chacun considérera comme moyen, mauvais, bon, ou très bon.

Quant à moi, sur les quarante auteurs présents, il y en onze que je plébiscite. Et, parmi ces onze, il y en a cinq qui me semblent, de par leur graphisme, de par leur texte et leur scénario, dépasser de loin tous les autres !…

Une chose m’étonne, d’ailleurs, dans ce livre : c’est le manque d’un vrai fil rouge, d’une vraie communauté d’imagination de la part de tous les auteurs participants.

Bien sûr, on va me dire que toute liberté leur a été laissée, et c’est très bien. Bien sûr, on va me dire que des essentiels y sont abordés : l’acceptation de la différence, la nécessité de faire plaisir, le pouvoir de l’imagination et du rêve, la puissance de l’amitié, la force du sentiment, la magie d’un sourire… Mais tous ces thèmes sont épars dans ce livre, ne sont pas toujours traités avec la même qualité d’approche, que ce soit au niveau du dessin ou du texte ! Et puisque c’est de maladie qu’on est censé parler dans ce livre, j’avoue ne pas comprendre la présence de certaines « nouvelles » dessinées qui estompent bien trop la réalité d’un cancer pour un être humain se trouvant à un moment qui devrait être l’aube d’une existence riche en beautés !

 

 

                    La BD Qui Fait Du Bien©Glénat

 

Cela dit, j’ai été séduit, et vraiment séduit, par Dav et son oiseau porteur de mauvaises nouvelles. Par Morvan et Evrard, toujours au plus proche de leurs personnages (comme Zidrou et Ernst dans Boule à Zéro, d’ailleurs !…). Par Domecq dont la poésie s’enfouit au plus profond de la maladie. Par Buche qui, même sans parler du cancer, nous remet en mémoire qu’il est plus important de vouloir vivre  que d’accepter de survivre !

Et il y a aussi  Nob, l’étonnant chapitre de Frazier, il y a Gilson, Coppée, et d’autres encore !

 

Je mentirais, donc, en disant que ce livre n’est, à mon goût, pas bon ! J’y ai déniché quelques vraies perles, quelques fulgurances créatives nécessaires lorsqu’on veut parler de ce qui est peut-être le plus injuste et  le plus horrible, l’enfance confrontée aux possibles de la mort.

Et, je vais me répéter, chacun y trouver ce qu’il veut bien y trouver. Mais il est important de l’acheter, cela j’en suis persuadé, parce que toutes les initiatives qui peuvent permettre à l’enfance de rester l’enfance, qui peuvent permettre aux regards de perdre toute curiosité et tout voyeurisme, qui peut permettre à tout le monde de choisir la voie de l’amitié et de la tendresse plutôt que celle de la peur et du repli, toutes ces initiatives doivent être encouragées !

Cette bd se doit donc de se trouver dans votre bibliothèque, et d’être offerte à tous vents…Même et surtout, sans doute, à celles et ceux qui sont confrontés, autour de  vous, autour de nous, à la maladie, ou l’ont été…

 

Jacques Schraûwen

La BD Qui Fait Du Bien (ouvrage collectif paru chez Glénat)

Boni: La Dernière Bouchée De Carotte

Boni: La Dernière Bouchée De Carotte

Des gags « jeune public » qui sentent bon l’animation… Des lapins pas vraiment crétins… Un auteur, Ian Fortin, qui vous parle dans cette chronique de ses personnages terriblement humains!

 

 

Dans le monde de la bande dessinée pour jeunes, nombreuses sont les réussites. On peut parler de Titeuf, évidemment, du Petit Spirou aussi. Mais on ne peut pas oublier toute l’influence qu’ont eue, dans ce domaine, un Quino et sa Mafalda, un Shulz et son Charlie Brown.

Ian Fortin navigue, avec Boni, entre tous ces univers, picorant ici et là de quoi alimenter un style qui se révèle finalement, très personnel. Ce sont des fables qu’il nous raconte, à sa manière, puisqu’il a choisi la voie d’un symbolisme vieux comme Esope et La Fontaine pour nous parler, tout simplement, de la vie, d’un enfant qui se doit, au jour le jour, d’apprendre à être lui dans un environnement où l’enfance, finalement, n’a que peu de place.

Pour ce faire, l’auteur laisse des lapins se faire les doubles des humains. Ce ne sont pas des lapins venus d’ailleurs et prêts à toutes les bêtises, non! Ce sont des personnages qui vivent les problèmes humains de tout un chacun, problèmes relationnels, problèmes quotidiens, problèmes, surtout, provoquant le sourire au travers d’une sereine tendresse d’observation.

 

Ian Fortin: des lapins…

 

 

La bande dessinée animalière a le grand avantage de pouvoir rendre compte des réalités humaines en les démesurant, en les caricaturant lorsque c’est nécessaire. La caricature, d’ailleurs, fait partie intégrante de l’humour qui s’adresse à l’enfance, à l’adolescence, et les auteurs de mangas l’ont compris depuis bien longtemps, d’ailleurs. La caricature, c’est une manière de démultiplier, graphiquement, mais sans effets spéciaux, les expressions, les mouvements, voire même les discours de personnages qui, ainsi, montrent de manière évidente et frontale ce qu’ils ressentent, ce qu’ils vivent.

Cela dit, dans cet album, la caricature n’est jamais un exercice que s’impose l’auteur, elle vient à son heure, elle reste de bout en bout totalement naturelle.

Elle est là, surtout aussi, pour désamorcer à sa façon quelques thèmes abordés qui sont véritablement sérieux, comme le harcèlement entre les enfants, comme la violence dans le cadre de l’école, comme la difficulté à accepter les réalités d’un grand-père qui se refuse à exprimer toute empathie.

Et c’est là la grande qualité de cet album, de ce personnage, de cet auteur: faire sourire en nous montrant, pourtant, des vérités qui, elles, n’ont rien de fondamentalement amusant. Le sourire est constant, dans ce livre, et Boni est de ces personnages auxquels on ne peut que s’attacher. Et qui, de sourire en sourire, feront réfléchir à leur attitude dans la vie ses lecteurs, qu’ils soient parents, grands-parents, ou enfants!

Ian Fortin: la caricature
Ian Fortin: des sujets également sérieux

 

Sous l’apparente simplicité du trait se cache une maîtrise graphique sans faille, une maîtrise narrative aussi. Il ne faut que quelques dessins à Ian Fortin pour amener le gag à maturité, ai-je envie de dire, et le rendre palpable à même la page que le lecteur regarde.

Et pour soutenir ces gags, ce rythme aussi, il utilise, certes, tous les codes du mouvement dessiné, et ses personnages, ainsi, ont une vraie existence. Mais il utilise aussi la couleur comme élément majeur des ambiances de chacune des petites histoires qu’il nous raconte. Simples, presque élémentaires, ces couleurs font véritablement partie de la réussite de ce livre.

Et, ma foi, qu’on ait douze ans ou soixante ans, Boni est un enfant diablement attachant, croyez-moi!… Et je suis certain qu’il lui reste encore bien des bouchées de carotte à nous offrir!

Ian Fortin: la couleur

 

Jacques Schraûwen

Boni: La Dernière Bouchée De Carotte (auteur: Ian Fortin – éditeur: Dupuis)