Bâtard – Réédition en couleurs d’un livre à redécouvrir!

Bâtard – Réédition en couleurs d’un livre à redécouvrir!

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Une cavale, une mère et son fils, des truands violents… Des apparences, surtout, qui ne correspondent que rarement à la vérité ! Un livre qui se lit d’une traite !

Sur les routes américaines, une femme et son jeune fils vivent de la fuite les peurs, les dangers, les actes insensés. Leur voiture, le coffre plein du butin d’un casse fabuleux, les emmène, inexorablement peut-être, vers une confrontation humaine qui ne pourra qu’être celle de la mort , de la violence, de la plongée en des néants inconnus.

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Mais voilà, comme dans tous les livres de Max de Radiguès, le récit ne conduit jamais là où tout semble le guider. Et au-delà de la linéarité de l’histoire, du sentiment de déjà lu qu’on peut avoir en en découvrant les premières pages, au-delà des références évidentes avec la littérature noire américaine et un certain cinéma dans lequel brillait Lee Marvin, dans lequel brille Tarentino aujourd’hui, ce livre s’amuse à mêler les codes du polar pour nous offrir, en définitive, une histoire humaine sans morale, certes, mais véritablement émouvante et intelligente, dans sa construction comme dans sa narration.

Comme toujours aussi chez Max de Radiguès, le dessin simple n’empêche nullement un propos qui dépasse, et de loin, la simple anecdote ! Son graphisme, sans aucun effet, a, c’est une évidence, un aspect parfois quelque peu  » enfantin « , avec des erreurs de proportions, de perspectives, avec une présence extrêmement limitée des décors. Mais tout cela participe du même but que l’écriture elle-même : l’efficacité dans la continuité du récit, l’efficacité dans l’approche, au plus près, des personnages, l’efficacité dans le rendu des émotions, essentiellement au travers des regards et de leurs échanges.

On pourrait croire se retrouver ici, avec Eugène, ce bâtard, accompagnant sa mère dans une sanglante cavale, dans un simple polar de série b. Mais tout le talent de Max de Radiguès, celui de son scénario comme de son dessin, c’est justement d’offrir à ses lecteurs une histoire qui, tout compte fait, s’intéresse réellement à des problèmes de société, cette société dans laquelle nous vivons et qui engendre de plus en plus de monstres à taille humaine !…

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J’aime beaucoup Max de Radiguès, parce que, d’album en album, il adore visiter et nous faire visiter des univers à chaque fois différents. J’aime son dessin immédiatement accessible, qui ne se perd jamais dans les méandres du  » beau « . J’aime ses histoires qui n’hésitent cependant jamais à donner vie à des réalités et des sentiments peu recommandables. J’aime aussi, énormément, son espèce de détachement, celui d’un spectateur plutôt que d’un acteur, un détachement qui ne fait, en définitive, qu’accentuer l’intérêt et la puissance de ses scénarios.

Un livre, donc, à lire, à savourer !

Jacques et Josiane Schraûwen

Bâtard (auteur : Max de Radiguès – éditeur : Casterman)

Bruissements d’ailes dans les méandres de la bande dessinée…

Bruissements d’ailes dans les méandres de la bande dessinée…

Dans une chanson de Jean-Claude Darnal, un gamin répondait au magicien qui lui demandait ce qu’il voulait : « Dites-moi m’sieur, faites que j’ sois un oiseau… »

L’oiseau, lien entre terre et ciel, entre chair et esprit… Omniprésent dans l’art et, singulièrement, dans la bande dessinée.

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C’est le cas dans des séries qu’on peut appeler animalières… Je pense à Chlorophylle de Macherot… A Canardo, aussi, de Sokal, personnage mythique du neuvième art, canard désabusé dans un monde tellement proche du nôtre… A une série récente, proche, scénaristiquement parlant, de Orwell, et intitulée « Le château des animaux », de Delep et Dorison, dont une des héroïnes est une poule résistant à la dictature.

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L’oiseau, dans le neuvième art, c’est également cette existence extérieure à laquelle accrocher ses rêves, comme le grand aigle de Yakari. L’oiseau peut se faire symbole d’une vie différente avec laquelle dialoguer, comme chez Schulz, avec l’amitié entre Snoopy et l’oiseau Woodstock. La différence de langage, d’existence, dans cette rencontre entre un chien et un oiseau, devient ainsi le vecteur de la tolérance.

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L’oiseau, cela peut être aussi le miroir des sentiments du personnage central (et de son auteur !). Voyez la mouette de Gaston, de l’inégalable et inégalé Franquin !

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Et puis, il y a l’oiseau comme fugace élément de décor. Je pense aux Tuniques Bleues de Lambil, albums dans lesquels, selon les propres dires du dessinateur, il se repose des uniformes et de la guerre en dessinant, ici et là, des petites scènes champêtres. C’est flagrant aussi chez Olivier Rameau, de Greg et Dany, une série poétique dans laquelle les objets et les animaux participent à la magie du récit. Et les mondes de Hausman sont pleins, eux, d’oiseaux porteurs d’imaginaire…

Dans les livres réalistes, il en va de même : Yslaire, Lepage, Chabouté, Pé, aiment les mouvements des oiseaux qui réussissent, par leur seule présence, à rythmer le dessin…

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dédicace

Mais les oiseaux de la bd peuvent aussi être porteurs de symbolismes plus adultes… Le corbeau du Teuf Teuf club, de Willy Vandersteen, me faisait, enfant frémir de peur… Chez Comès, dans L’ombre du corbeau, cet oiseau couleur de nuit se fait le témoin d’une guerre aux tueries impitoyables.

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Dans la série western Undertaker, de Meyer et Dorison, le compagnon de l’anti-héros, un croque-mort, c’est un vautour, tout simplement… Hommage, en passant, à Lucky Luke dont les albums nous montrent souvent, unis, croque-morts et vautours.

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Il y a également Les sept vies de l’Epervier, série historique de Juillard, et l’excellent Kraa de Sokal, albums dans lesquels l’humain et l’oiseau voient leurs existences se mêler intimement…

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Mais le maître dessinateur animalier de la bande dessinée, c’est sans doute Jean-Claude Servais… Et il est un de ses livres dans lesquels les oiseaux deviennent messagers de la tolérance, de la réflexion, d’une forme de philosophie : L’assassin qui parle aux oiseaux.

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Je ne peux pas ici oublier Jacques Tardi, qui a publié un petit livre de 25 pages muettes, 20 ans en mai 1871, un vrai chef d’œuvre de narration simple sans être simpliste… Un homme, à la fin de sa vie, va accomplir un geste qu’il s’était promis de faire. Et de chez lui jusqu’au Père Lachaise, il est accompagné par une jeune femme, la mort, et par un corbeau… Et symboliquement, ce corbeau observe une fin de vie, sans plus, comme un enfant qui, grâce à un magicien, a pu se transformer en oiseau….

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Et voilà, la boucle de cet article sans prétention est ainsi bouclée…

Jacques et Josiane Schraûwen

Berlin 61 – Les aventures de Kathleen dans un livre totalement belge

Berlin 61 – Les aventures de Kathleen dans un livre totalement belge

De la bd belge, en effet ! Avec le cinquième volume d’une série qui nous fait voyager des années 40 aux années 60.

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Dans les albums précédents, on a vue Kathleen grandir, mûrir, d’enfant devenir femme, le tout dans un environnement proche toujours de la Belgique. On l’a connue enfant, oui, hôtesse de l’air, hôtesse d’accueil, journaliste au fil de ses aventures précédentes. Ici, dans Berlin 61, on la retrouve loin de ses habitudes dans une sorte de parenthèse professionnelle. Elle revient de vacances, dans un train-couchettes.

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Elle y rencontre une violoniste qui disparaît sans laisser d’autre trace que son instrument de musique. Et bien évidemment, Kathleen va vouloir la retrouver… Ce qui va la conduire jusqu’à Berlin où le mur de la honte vient d’être construit… Et la voici plongée, en l’an de grâce 1961, en un lieu où se vit au présent l’Histoire du monde !

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Il s’agit ici d’un récit d’espionnage, un peu comme ces romans de gare vite achetés avant un voyage en train. Une aventure avec des espions, donc, dans un environnement historique qui, graphiquement en tout cas, se veut fidèle à la réalité, à la vérité du temps qui passe…

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Une construction qui plaît à Baudouin Deville, le dessinateur, une narration qui lui permet, sans doute, de s’évader de notre univers de plus en plus étriqué…

Baudouin Deville

Baudouin Deville est un dessinateur classique, sans aucun doute. Son dessin ne cherche pas à « éblouir », mais à raconter, simplement, avec à la fois beaucoup de sérieux et un sourire tranquille…Il aime dessiner les décors urbains, les lieux, les rues, et tout ce qui, dans ces paysages citadins, permet de cerner la vérité d’une ville…

Baudouin Deville

Ce dessin classique n’en est pas pour autant figé. Au fil des années qui défilent dans l’existence de l’héroïne, Baudouin Deville parvient aussi à rendre compte de l’évolution de la société.

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Le point fort de Baudouin Deville, dans ce livre, c’est de recréer les détails quotidiens de cette époque, l’année 1961, au travers des décors, des personnages et de leurs attitudes. Il nous offre ainsi ce qu’on pourrait appeler une suite d’instantanés de la vie d’hier et, ce faisant, il nous fait toucher du doigt, aussi, à certaines avancées sociétales, le couple, les relations amoureuses, la liberté individuelle, ou la place de la femme dans la société… Ce côté quelque peu sociologique fait partie du plaisir de dessiner de Baudouin Deville…

Baudouin Deville

Je vous l’ai dit, Baudouin Deville est un artiste classique. Je le disais aussi, il ne cherche à aucun moment les effets spéciaux, les perspectives non réalistes. Il aime, comme il le dit, poser ses planches et prendre le temps d’en faire comme des instantanés des existences qu’il nous montre.

Baudouin Deville

Etre classique, ce n’est être ennuyeux pour autant ! Et son talent à dessiner des paysages, larges, ouverts sur le rêve en quelque sorte, fait merveille, ici et là, dans chacun de ses albums… Dans le prochain, par exemple, avec cette illustration somptueuse !

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Une série qui se laisse lire, même si le scénario, parfois, prend des libertés pas très compréhensibles avec la vérité historique. Le mot phallocrate, par exemple, utilisé dans ce Berlin 61 comme s’il s’agissait d’un mot usuel de l’époque, n’a vraiment eu cours qu’en 1968. Tout comme le mot machiste qui se cantonnait, au début des années 60, en Amérique latine. Mais ne boudons pas notre plaisir. C’est une série agréable à lire, et, il faut insister sur ce fait, c’est une série formidablement colorisée, avec talent, par Bérengère Marquebreucq. Une série totalement belge, scénariste, dessinateur, coloriste, et éditeur !

Jacques et Josiane Schraûwen

Berlin 61 (dessin : Baudouin Deville – scénario : Patrick Weber – coloriste : Bérengère Marquebreuxq – éditeur : Anspach – novembre 2023 – 64 pages)

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