Calembredaines

Calembredaines

Billevesées et coquecigrues sont au rendez-vous souriant (et même plus…) de ce livre à savourer matin, midi et soir !

Calembredaines © Lamiroy

Propos (f)utiles… Calembours faciles… Absurdes idées mises en images… Sottises incontestables… Jeux de mots approximatifs…

Entre Allais et Pierre Dac, Hugues Hausman s’en donne à cœur joie dans cet album, ma foi, jouissif ! Son humour est-il sémantique ?… Il est, en tout cas, celui du langage, un langage toujours fait d’à-peu-près, révélateurs comme aurait pu le dire le copain Freud.

Hugues Hausman s’amuse, autant que ses lecteurs, à détourner tous les sens interdits de notre société, toutes les dérives de ses mots, de ses maux aussi, à faire un pied de nez graphique et, osons le dire, littéraire à des « politiquement corrects » qu’il égratigne avec une sorte de jubilation adolescente qui fait bien plaisir !

Calembredaines © Lamiroy

Pour définir le contenu de ce livre, quelque 120 pages et bien plus de dessins, je pense qu’il faut faire confiance à un spécialiste, Philippe Geluck, qui, dans la préface de ce livre, nous dit : « C’est simple et subtil, c’est beau et ça me fait rire à chaque fois. Et, cerise sur le gâteau, c’est très con. Ce type a décidément tout pour lui ! ».

Voilà, le mot est lâché… Un mot qui se définit à l’envers de ce que Audiard ou Brassens lui donnait comme sens. Ces calembredaines sont, en effet, faites de gags vraiment cons, mais dans le sens du contresens, dans la lignée des lignes brisées.

Calembredaines © Lamiroy

Le dessin de Hugues Hausman ne cherche pas à éblouir. Comme chez Geluck, il est là pour accompagner les mots. On se trouve, chez ces deux auteurs d’ailleurs, dans une approche à la Buster Keaton de l’humour graphique ! Les protagonistes des gags de Hausman restent pratiquement impassibles devant l’énormité des mots qu’ils sont obligés, par un démiurge inconvenant, d’exprimer ou d’écouter !

Hugues Hausman, par ailleurs homme de spectacles (en attendant qu’ils puissent à nouveau recevoir l’assentiment de nos adorés gouvernants), acteur, scénariste, tire dans tous les sens. Mais avec gentillesse, toujours ! Avec même un certain détachement qui ajoute au plaisir de la lecture. Il nous montre la vie quotidienne, et ses langages stéréotypés à triturer dans tous les sens, il nous montre la bande dessinée, aussi, les schtroumpfs, les super-héros, il nous plonge dans les absurdités médiatisées de quelques films à succès. Il le fait avec sourire, et sans agressivité…

Calembredaines © Lamiroy

Et j’ai aimé aussi ce pudique remerciement, en fin d’album, pour un homme exceptionnel, dans le monde de la bd comme dans celui des rencontres au jour le jour : « remerciements à mon père, enfin, qui manque tous les jours – pour tout ce qu’il m’a apporté… »

Hugues Hausman s’amuse, il nous amuse, dans la lignée d’un Kamagurka, mais avec une absence de vulgarité gratuite qui le rend infiniment plus accessible à tout le monde !

Calembredaines © Lamiroy

A tout le monde, oui, donc à vous !…

En cette époque où l’ennui le dispute à la mise en retrait de la vie et de ses plaisirs, de ses libertés donc, ce livre se doit, croyez-moi, de se trouver sur votre table de nuit !

Pour ce faire, rendez-vous chez votre libraire préféré. S’il ne l’a pas en rayons, qu’il le commande… Ou, sinon, rendez-vous sur la page professionnelle de Hugues Hausman où vous pourrez commander cet album à lire sans retenue ! Ou, encore, sur la page de son éditeur…

https://www.facebook.com/Hugues-Hausman-199024924250/

https://lamiroy.net/

Jacques Schraûwen

Calembredaines (auteur : Hugues Hausman – éditeur : Lamiroy – 120 pages)

Calembredaines © Lamiroy

Contes de Noël et Jojo : deux albums Dupuis à mettre sous le sapin !

Contes de Noël et Jojo : deux albums Dupuis à mettre sous le sapin !

Même si Noël, cette année, aura une triste saveur, n’oubliez surtout pas de vivre, de vouloir être heureux, de vouloir rendre heureux… Et donc d’offrir à ceux que vous aimez, en le leur disant, des moments de plaisir et de poésie.

Contes De Noël du Journal Spirou (1955-1969)

(éditions Dupuis – 240 pages – novembre 2020)

La nostalgie, ce n’est pas juger le présent en exclusive fonction des passés que nous avons vécus et qui nous enchantés. La nostalgie, c’est avoir de la mémoire, simplement, et de faire de cette mémoire un élément actif de nos quotidiens, de nos émerveillements.

Se souvenir…

A une semaine de Noël, oui, se souvenir des numéros spéciaux du journal de Spirou, du magazine Tintin, de la revue Pilote, aussi…

Contes de Noël © Dupuis

Le souvenir du plaisir pris à feuilleter vite, très vite, sans s’attarder, les pages du magazine, pour se créer déjà des envies devant tous les récits de circonstance, qui n’étaient pas, oh merveille, « à suivre ».

Ah, les contes de Noël de notre enfance, de nos enfances ai-je même envie de dire, tant il est vrai qu’au fil du temps l’enfance et ses souvenances se font plurielles…

Je n’ai pas oublié ces sensations devant un livre « normal », les « Contes de ma Mère l’Oye », ni devant ces petites histoires qui émaillaient les revues « pour enfants » que je dévorais.

Alors, ne boudons pas notre plaisir, de boudez pas le vôtre, et (re)plongez-vous dans ces pages d’un temps ancien qui vous feront, gentiment, retomber dans des âges qui ne meurent jamais. Mais avec votre regard d’aujourd’hui sur les auteurs de ces contes dessinés, qui sont devenus des grands, des très grands du neuvième art.

Je ne vais bien entendu tous vous les citer, mais quel plaisir, croyez-moi, de voir les bons sentiments de la fête de la nativité illustrés par ces maîtres de la bande dessinée que sont Franquin, Jijé, Paape, MItacq, Will, Tillieux ! Et de retrouver aussi des artistes qu’il serait temps de remettre en bonne place dans l’Histoire majuscule de la BD : Godard, Salvérius, Berck, et l’immense Hausman.

Contes de Noël © Dupuis

Les années couvertes par ce livre qui vient à son heure nous permettent ainsi d’avoir un panorama assez complet de ce que fut l’aventure éditoriale de Spirou dans une bonne partie des trente glorieuses.

Les bons sentiments sont passés de mode, paraît-il, puisque nous voici dans une société de plus en plus virtuelle, dans laquelle, derrière le mot « solidarité », on met tout et n’importe quoi.

Alors, oui, cela fait du bien, immensément, de les retrouver, ces sentiments, ces sensations, et de se rappeler que la magie, celle de Noël, celle de l’enfance, nous l’avons toutes et tous au fond de nous. Si nous le voulons bien !

Jojo : Intégrale 4 : 2004-2010

(auteur : Geerts – éditions Dupuis – 312 pages – octobre 2020)

André Geerts est mort en 2010 à l’âge de 55 ans. En une trentaine d’années de carrière, il n’a certes pas révolutionné le neuvième art. Il a fait bien plus : il a œuvré dans la continuité des récits qui, certainement, ont enchanté son enfance, pour créer, adulte, des personnages tendres, attendrissants, terriblement humains, mélancoliques et poétiques.

Jojo © Dupuis

Oui, Jojo, ce gamin qui vit avec sa grand-mère, qui voit de temps en temps son père aussi gosse que lui, cet enfant est à lui tout seul la souvenance de toutes nos enfances. Il est la poésie qui fut nôtre et que l’âge adulte a, bien souvent, estompée.

Jojo, ce sont les 400 coups, mais sans penser à mal, la vie scolaire, les amitiés des jeux, la campagne et ses éblouissements, mais aussi les peurs, face à la vieillesse qu’on voit s’installer chez ceux qu’on aime, face à des réalités qui, soudain, nous mettent en face de nos lâchetés, de nos courages, de nos fuites, de nos combats.

Tout cela, oui, c’est l’enfance, la nôtre… Celle de ce gamin qui vit, sur papier, dans l’incontestable filiation des personnages de Sempé.

Geerts, c’était un dessinateur lumineux, capable de rendre souriant un paysage urbain dans lequel passent des voitures à tout vitesse, et ce par la seule magie d’une mise en scène graphique qui place au centre de toute la narration les personnages.

Jojo © Dupuis

Geerts, c’était un raconteur d’histoires simples et, de ce fait, essentielles.

Dans ce dernier tome de l’intégrale qui lui est consacrée, on retrouve (ou découvre) les cinq derniers albums de Jojo. Avec l’extraordinaire et émouvant dernier chapitre de son œuvre majeure : « Mamy Blues ». La grand-mère de Jojo, Mamy, du haut de ses 69 ans, a un malaise… Et c’est la révélation, pour l’enfant turbulent qu’est son petit-fils, de l’inexorable finalité de la vie.

Il faut lire Jojo, il faut le relire, le faire lire, le faire découvrir par les ados d’aujourd’hui.

Il faut ne pas oublier des auteurs comme André Geerts, qui ont donné à la bd populaire et traditionnelle ses plus belles lettres de noblesse !

Jacques Schraûwen

J.-F. Charles – Artbook

J.-F. Charles – Artbook

Ne laissons pas les circonstances que l’on dit sanitaires prendre le pas sur les plaisirs de nos existences… Voici venir le temps des cadeaux faits à ceux qu’on aime ! Et voici un livre qui vient donc à son heure, pour être offert, ou pour s’offrir ! Ou les deux… Accompagné d’une exposition, du 4 au 19 décembre 2020 à Bruxelles, dans la Galerie Huberty & Breyne.

https://www.hubertybreyne.com/

J.-F. Charles – Artbook © Casterman

Je vais quand même commencer cette chronique par une petite remarque préliminaire… Pourquoi, avec un livre consacré à un auteur francophone, faut-il user d’un barbarisme inutile ? L’expression « Livre d’Art » est-elle tellement plus compliquée à dire, à écrire, à comprendre que ce triste « artbook » ?…

Voilà, c’est dit…

J.-F. Charles – Artbook © Casterman

Et ce qui doit être dit aussi, c’est que ce livre ne souffre pas, heureusement, de cet intitulé éditorial sans réel intérêt. C’est un livre vraiment intéressant, à bien des niveaux, à bien des points de vue ! C’est un ouvrage qui se différencie très fort des albums consacrés ici et là à des dessinateurs de bande dessinée. Ne vous attendez pas, en effet, à y trouver une somme exhaustive de l’œuvre de Jean-François Charles dans le monde du neuvième art, de Michel Deligne avant-hier jusqu’à Casterman aujourd’hui.

Charles-Louis Detournay a fait un choix extrêmement particulier : nous montrer les à-côtés du travail de Jean-François Charles, nous le faire découvrir non au travers de la bd, donc, mais grâce à ses plaisirs et talents de peintre.

J.-F. Charles – Artbook © Casterman

Et c’est ainsi que Charles-Louis Detournay a construit son livre en quelques chapitres qui, thématiquement, permettent au lecteur, en dehors de toute chronologie, de se glisser dans les tableaux de Jean-François Charles, dans ses sources d’inspiration, dans ses techniques aussi. Du Voyage en Italie à une incursion au Moyen-Âge, en passant par les Indes ou par l’Auvergne, ce livre est une invitation au voyage immobile, en compagnie d’un artiste réaliste et rêveur tout en même temps.

Charles-Louis Detournay : le contenu de ce livre

Je ne vais pas ici parler des différentes techniques utilisées, apprivoisées par J.-F. Charles, et qui forment en quelque sorte la trame d’une autobiographie tranquille, sereine. Une autobiographie, qui, à sa manière, se révèle être un récit intime et personnel axé pratiquement exclusivement autour de l’Art, comme mouvement personnel de l’âme, comme fenêtre entrouverte sur quelques vies un peu secrètes.

J.-F. Charles – Artbook © Casterman

Parce que, autour d’un choix thématique de l’édition des tableaux de J.-F. Charles, ce que l’auteur de ce livre, Charles-Louis Detournay a voulu, c’est laisser parler l’artiste, le dessinateur, le laisser seul se dessiner par le biais de mots utilisés à l’envers d’eux-mêmes, c’est-à-dire en illustrations des dessins et des peintures. Et les mots de J.-F. Charles, sans aucune pédanterie, nous parlent de paix, de regard, de besoin d’aller au-delà des simples apparences du réel.

Jean-François Charles : un besoin de paix

Cela dit, si vous pensez que ce livre ne va vous parler que des univers parallèles dans lesquels, entre deux albums, J.-F. Charles se réfugie, vous vous trompez. Parce qu’il est, d’abord et avant tout, essentiellement donc, un activiste de la bande dessinée. Ceux de ma génération se souviendront de l’éblouissement de ses Pionniers du Nouveau Monde chez Michel Deligne, éditeur atypique et dont il faudra bien qu’un jour quelqu’un se décide à lui rendre hommage ! On y parlait d’Histoire, avec un H majuscule, mais sans rien de scolaire, et c’était étonnant. Et important…

J.-F. Charles – Artbook © Casterman

J.-F. Charles est un raconteur d’histoire… D’histoires plurielles, un de ces auteurs pour qui les personnages sont toujours plus importants que les péripéties qu’il leur impose. Et dans ce livre-ci, il nous le prouve encore, par l’absurde presque. En nous parlant de sa peinture, de ses références picturales, il s’amuse à rattacher ses propos à ses livres, aux étapes graphiques de sa vie professionnelle, aux étapes qu’il n’a pas toutes franchies mais qu’il aurait aimé parcourir, comme « Don Quichotte », par exemple.

J.-F. Charles – Artbook © Casterman

Ce livre ne peut que plaire aussi, vous l’aurez compris, aux amateurs purs et durs de Bande dessinée, tant il est vrai qu’il nous offre, s’enfouissant dans des paysages lumineux et frémissants, pas mal de ses héroïnes, qu’on découvre prêtes, nous tournant le dos, à disparaître dans les méandres enchanteurs de ses tableaux…

Jean-François Charles : raconteur d’histoires…

Le grand plaisir de ce livre, de cet album d’art, c’est bien entendu l’iconographie, choisie avec soin, racontée avec talent. Mais c’est aussi une ambiance globale, une sorte de souffle invisible et muet qui se balade de page en page. J.-F. Charles aime les héroïnes, depuis toujours… Ces héroïnes, dans ce livre, semblent lui tourner le dos, mais c’est pour mieux se laisser découvrir autrement. C’est pour mieux se livrer, totalement, je dirais même érotiquement, aux feux de la couleur, une couleur qui ruisselle et fait de ce livre une ballade aux véritables allures poétiques.

Jean-François Charles : la couleur, encore, toujours

Je me suis fait la remarque, en fermant ce livre, qu’il s’agissait du premier opus de J.-F. Charles sur la couverture duquel on ne voyait pas le nom de son épouse Maryse.

J.-F. Charles – Artbook © Casterman

Et pourtant, elle est là, ce livre lui est dédié, de bout en bout, et c’est aussi ce qui fait la force de J.-F. Charles depuis toujours, cette osmose de couple et de passion qui parvient, depuis tant d’années, à dépasser toutes les habitudes du survivre…

Charles-Louis Detournay, Jean-François Charles et Maryse Charles

Jacques Schraûwen

J.-F. Charles – Artbook (auteur : Charles-Louis Detournay – éditeur : Casterman – 264 pages)

Exposition dans la galerie Huberty & Breyne à Bruxelles du 4 au 19 décembre 2020

https://www.hubertybreyne.com/

J.-F. Charles – Artbook © Casterman