Le Chemin Du Couchant

Le Chemin Du Couchant

Un western classique et lumineux… Avec de tels auteurs, ce genre littéraire prouve qu’il continue à occuper une place de choix dans l’univers du neuvième art !

Nous sommes au Canada, à la fin du dix-neuvième siècle. Britanniques, Indiens et Métis ne vivent pas vraiment en bonne harmonie. Dans un contexte de luttes incessantes et cruelles, un sergent de la police montée reçoit la mission de traquer et d’arrêter Louis Riel, le meneur de la révolte des Métis.

Ce livre, donc, nous montre et nous raconte cette traque, tout simplement.

Il s’agit incontestablement ici de classicisme dans la construction du récit. Cette histoire qui nous est racontée, malgré l’un ou l’autre retour en arrière, reste, narrativement, très linéaire. Les ressorts qu’utilise le récit sont également ceux que l’on connaît depuis toujours, au cinéma, dans les westerns américains traditionnels.

Mais à tout cela, qui pourrait paraître comme désuet, voire inintéressant, Corteggiani a l’intelligence, non de détourner les codes du western, mais d’y ajouter, de ci de là, des touches personnelles, des réflexions qui n’ont rien de convenu, des scènes qui refusent tout manichéisme dans la présentation des différents personnages, des différentes ethnies.

Il y a de l’action, dans son scénario, de l’Histoire, de l’amitié, de la  mort, du respect et de l’horreur. Et ce mélange est parfaitement réussi.

La réussite est au rendez-vous grâce aussi au dessin, somptueux, de Sergio Tisselli ! Là, on s’éloigne vraiment du classicisme du propos.

D’abord, il y a son trait. Un trait tout en finesse, un tait qui aime tantôt s’attarder sur les physionomies changeantes des personnages, tantôt sur des décors qui laissent la place à la  nature et à ses beautés, de jour comme de nuit, tantôt, enfin, à du mouvement, celui de la lutte, de l’action, celui de la mort et de la brutalité, de la torture et de la blessure…

Et puis, il y a sa couleur ! SES couleurs, lumineuses même dans les scènes qui se construisent, graphiquement, en clair-obscur, des couleurs en application directe sur la planche, des couleurs qui remplacent souvent les décors d’une manière presque abstraite, mais d’une abstraction qui, de par son lyrisme, devient extrêmement réaliste, réelle en tout cas.

Il y a donc, à la lecture de cet album, un double plaisir. Celui, d’abord, de se plonger dans une histoire sans vraie surprise mais impeccablement menée et dialoguée. Celui, ensuite, de se plonger dans un récit dessiné qui, lui, n’a rien de convenu, et crée une ambiance qui rend ce livre passionnant, passionnel, passionné!

Les codes du western, finalement, sont aussi ceux de la tragédie, de la tragédie grecque, avec un chœur, avec une unité d’action et de lieu. Ce sont des thèmes essentiellement humains, et cet album-ci nous prouve que le western dessiné, le western de qualité, a encore de beaux jours devant lui !… De Boucq à Hermann, de Serpieri à Tisselli, les aventures humaines vécue dans une Amérique en création auront toujours d’incomparables attraits!…

Ce  » Chemin du couchant « , aux personnages bien typés, aux lumières fabuleuses, est à ne pas manquer par tous les amateurs de bd classique, de bd superbe à regarder, de bd qui met au centre de l’intrigue des personnages d’os, de chair, et de souffrance! !…

 

Jacques Schraûwen

Le Chemin Du Couchant (dessin : Sergio Tisselli – scénario : François Corteggiani – éditeur : Mosquito)

Comme Un Chef

Comme Un Chef

Benoît Peeters se livre à une autobiographie particulièrement gourmande. Aurélia Aurita la dessine avec simplicité et générosité. Et tous deux sont interviewés dans cette chronique !

 

 

Comme un Chef©Casterman

Benoît Peeters : l’éclectisme

 

 

Comment définir Benoît Peeters ?… Il fait partie de ces artistes du mot incapables de se cantonner dans un seul domaine. Ami et complice de François Schuiten, il est bien sûr le scénariste assez démesuré des « Cités Obscures » (qu’on réédite, d’ailleurs, pour le moment, dans un format extrêmement agréable…). Mais il a aussi scénarisé l’excellent « Dolorès », dessiné par Anne Baltus, et quelques albums pour Frédéric Boilet.

Mais Benoît Peeters, c’est aussi un des grands spécialistes de « Tintin », un analyste de l’Histoire de la bande dessinée (Töpffer, par exemple), un amoureux de la photographie, un romancier et un essayiste.

Et cet album paru dans la collection « écritures » de chez Casterman nous le dévoile plus intimement, puisque c’est d’une vraie biographie dessinée qu’il s’agit. Mais d’une biographie axée sur un, aspect encore méconnu de Benoît Peeters : son amour de la cuisine… de la gastronomie… et les éblouissements nombreux de sa jeunesse !

 

 

Comme un Chef©Casterman

 

Benoît Peeters: le travail passion

 

Aurelia Aurita : le travail

 

Aurelia Aurita : spontanéité dans le dessin

 

C’est une biographie, oui, qui nous fait découvrir un Benoît Peeters jeune, amoureux, passionné très tôt par la cuisine, étudiant et rencontrant Roland Barthes, passant de Belgique en France, de France en Belgique, découvrant la bande dessinée avec « A Suivre », la grande cuisine avec les Frères Troisgros, cultivant une amitié gastronomique et intellectuelle avec le chef belge Willy Slawinski… C’est un parcours de vie, d’abord, surtout, d’une existence caractérisée par deux constantes : le travail et la passion ! Et ce sont sans doute ces deux constantes, partagées d’ailleurs par la dessinatrice Aurélia Aurita, qui font de ce livre un peu plus qu’une simple biographie !

Le dessin d’Aurélia Aurita, d’ailleurs, proche du style « blog », est vif, rapide, spontané même. Ce qui ne l’empêche pas d’être, quand il le faut, descriptif, réussissant, par exemple, à exprimer, par le trait, le plaisir qu’un regard gourmand peut ressentir devant un plat hors du commun !

 

Comme un Chef©Casterman

 

Benoît Peeters: la collaboration

 

 

En fait, ce qui caractérise vraiment ce livre, qui ne raconte rien d’autre, finalement, qu’une série de rencontres vécues par Benoît Peeters, et qui ont toutes, à leur manière, orienté sa vie, la caractéristique première de cet album, c’est la collaboration, la façon presque intime dont dessinateur et scénariste ont construit un récit linéaire, lisible et, ma foi, extrêmement gourmand. Gourmand, oui, même quand les trajets d’existence de Benoît Peeters ne sont pas ceux de la gastronomie, même quand il nous dit qu’il faut toujours ruser avec les livres, donc la lecture, pour en découvrir toutes les richesses, toutes les poésies. Ce livre est un livre de goût, au sens le plus large du terme, et il n’aurait pu être une réussite sans une collaboration étroite et, oui, osons le dire, sensuelle, entre ses deux auteurs…

Comme un Chef©Casterman

 

Benoît Peeters: la générosité

 

Aurelia Aurita: la passion, thème universel

 

Une existence, quelle qu’elle soit, vaudrait-elle la peine d’être vécue sans passion, sans réussir à aller au-delà des mots et de leurs mensonges, des apparences et de leurs faux reflets ? Ce que ce livre nous dit, c’est que seules, peut-être, comptent les sensations, elles qui naissent par hasard, qui se font indéfinissables, et qui continuent à faire vivre les espérances de l’enfance.

On peut aimer manger, aimer en parler, et, pourtant, se taire… La cuisine et la littérature, donc aussi la bande dessinée, ont un point commun que ce livre-ci réussit à montrer sans le définir : c’est la musique… Celle des mots, celle aussi des plats qui se suivent dans un menu, la musique et ses rythmes intangibles, ces rythmes qui peuvent permettre au silence d’être parlant.

« Comme Un Chef », c’est un livre de générosité, c’est aussi un livre de passion, oui. Et la passion restera toujours un thème universel, capable de toucher tout le monde au plus profond de l’âme, quand elle s’accepte ou se veut curieuse !

 

Comme un Chef©Casterman

 

La bande dessinée peut parler de tout, avec tout le monde, comme le cinéma, le théâtre, la littérature… Luchini en est un exemple essentiel… Benoît Peeters aussi, qui nous emmène à sa suite dans une poursuite sereine, tranquille, mais en priorité humaniste, du plaisir de vivre… De tous les plaisirs que peut faire jaillir une vie vécue avec le regard et l’esprit continuellement ouverts !

 

Jacques Schraûwen

Comme Un Chef (dessin : Aurélia Aurita – scénario : Benoît Peeters – éditeur : Casterman)

Le Cimetière des Innocents : 1. Oriane et l’Ordre des Morts

Le Cimetière des Innocents : 1. Oriane et l’Ordre des Morts

Dans cette chronique, consacrée à un livre qui mêle Histoire et Fantastique, allez à la rencontre et écoutez deux auteurs aux talents pluriels et complémentaires : Fourquemin et Charlot !

Le Cimetière des Innocents©Bamboo Grandangle
Charlot: les personnages

 

Le cimetière des innocents était une réalité, un lieu entouré de maisons, un endroit où s’entassaient des morts par centaines… L’odeur était fétide, sans aucun doute… Surtout que, outre les tombes mêlées les unes aux autres, s’y trouvait aussi un reclusoir, c’est-à-dire une petite construction totalement close, à l’exception d’une ouverture permettant à la nourriture d’y être jetée, une petite maison-prison dans laquelle survivait, pendant un temps plus ou moins long, une recluse, une femme qui se consacrait exclusivement à Dieu pour protéger les humains…

Et ce cimetière des innocents, en un seizième siècle qui connaît les horreurs des guerres de religion, est le lieu choisi par Philippe Charlot et Xavier Fourquemin pour nous raconter l’histoire d’un jeune huguenot à la recherche des restes de son père, et d’une jeune fille dont le père pense avoir trouvé la pierre philosophale. Leur amitié, tourmentée dès le départ, sera tout, au long de ce premier album, sauf un voyage de sérénité !…

Mais il sera un voyage, oui… De l’un vers l’autre, des deux, ensemble, vers un monde de cruautés inhumaines, vers des ailleurs que ce premier tome ne fait encore qu’esquisser.

C’est le voyage de quelques personnages, aussi, autour d’un cimetière, autour de la pierre philosophale, autour du pouvoir, autour des reliques, des personnages nombreux qui, tous, par le talent de Philippe Charlot, existent pleinement… Il y a un prêtre, un mercenaire, des assassins, un « méchant » dont on ne voit pas le visage. Il y a tout, dans ce livre, pour que le plaisir des yeux et de la lecture soit constant !

 

Le Cimetière des Innocents©Bamboo Grandangle

Charlot: le fantastique

 

Philippe Charlot fait partie de ces scénaristes qui aiment à mélanger les genres, qui aiment faire le choix de la poésie plutôt que de l’aventure pure. Et c’est ce qu’il fait ici, utilisant le personnage du père de la jeune femme comme moteur « fantastique » de son récit. Tout se construit, d’abord, autour de la grande Histoire, tout continue à s’ériger dans la petite histoire de deux héros, un jeune protestant, une jeune athée, tout se termine par des pouvoirs possédés par Oriane, cette jeune femme, et qui pourront contrer la mort et ses inéluctables néants. Des pouvoirs qui lui sont donnés par ce qui ressemble à une pierre philosophale…

 

Le Cimetière des Innocents©Bamboo Grandangle

Fourquemin – scénario et dessin : plaisir d’univers sombres travail sur le décalage, l’ombre, la lumière

 

Vous l’aurez compris, cette série naissante se balade, et nous balade, entre vérité historique et imagination pure, entre horreur et poésie, entre morts et vivants. Il fallait, pour que les mots de Philippe Charlot atteignent leur but, un dessin capable non de les illustrer, mais de les compléter, de les précéder même. Et le graphisme de Xavier Fourquemin, aidé par le travail sur la couleur de Hamo, atteint totalement ce but ! Ce dessinateur aime les ambiances, le passage de l’ombre à la lumière, les univers sombres, les décors porteurs de mystères. Mais il aime aussi les expressions, les sourires révélateurs, les personnages qui ont du corps et du mouvement. Et c’est ce qui fait aussi de cette bd une réussite passionnante dont on attend, avec déjà de l’impatience, la suite !

 

Le Cimetière des Innocents©Bamboo Grandangle

Fourquemin – évolution du dessin – lisibilité et narration – décors, ambiances, attention… évolution :

 

Une histoire comme celle que nous racontent Hamo, Charlot et Fourquemin, peut certes être déstabilisante. Mais elle se doit d’être lisible, compréhensible, plausible de part en part, comme toute œuvre fantastique sans apprêt, comme le sont les romans de Béalu, par exemple, ou de Gérard Prévot. Et le Fourquemin d’il y a quelques années, efficace dans les albums de cette époque, a laissé ici la place à un dessinateur qui prend plus de temps pour faire de son graphisme un véritable outil de narration. Son dessin est au service du scénario, et sa manière ici de peaufiner les décors, là de les estomper voire de les nier, tout cela permet à l’album d’être d’une totale lisibilité, et de laisser aux ambiances graphiques le temps et le pouvoir de conduire progressivement à des moments narratifs essentiels.

 

 

Le Cimetière des Innocents©Bamboo Grandangle

 

J’ai toujours été séduit par le dessin de Xavier Fourquemin. Je le suis tout autant par le plaisir historique et imaginatif de Charlot, qui, d’ailleurs, récemment, nous a gratifiés d’un excellent album consacré au tango.

Et je suis totalement « fan » de cette série débutante, sans aucun doute ! C’est de la bande dessinée intelligente, qui unit l’aventure et la réflexion, la fable et l’Histoire, l’écriture et le dessin, le tout dans une belle osmose qui ne pourra, j’en suis convaincu, que vous plaire…

 

Jacques Schraûwen

Le Cimetière des Innocents : 1. Oriane et l’Ordre des Morts (dessin : Xavier Fourquemin – scénario : Philippe Charlot – couleurs : Hamo – éditeur : Bamboo Grandangle)