D’Un Renoir À L’Autre

D’Un Renoir À L’Autre

Peinture, cinéma et neuvième art au rendez-vous de cet excellent album !

D’un Renoir à l’autre © 21g

Il y a, dans le monde de la culture, des vraies dynasties… Auguste Renoir fut un des peintres les plus essentiels et les plus libres de l’histoire de la peinture française, et son fils Jean, lui, fut un des artisans les plus géniaux du septième art. Portraits et destins croisés dans ce livre passionnant…

D’un Renoir à l’autre © 21g

Ne vous attendez pas à une double biographie traditionnelle, à une description de deux existences tout au long de deux vies.
Les auteurs ont choisi, tout au contraire, de faire de cette double biographie un résumé, aussi, des faits importants qui ont fait des Renoir ce qu’ils furent. Résumé de l’Histoire, résumé des âges de la vie et de l’apprentissage, résumé de l’importance de l’intelligence, du regard, et des éveils de la curiosité, ce livre dépasse le simple compte-rendu humain pour devenir un récit profondément humaniste, au sens premier du terme: d’un humanisme, donc, qui s’attache à l’être vivant et en fait le centre même de tout intérêt, artistique aussi.
Pour ce faire, le scénariste Eddy Simon et le dessinateur Jak Lemonnier ont choisi la voie des ellipses, des raccourcis. Mais si, dans bien des livres, ces outils narratifs se révèlent pesants et laissent souvent la place à une impression  » d’incomplet « , il n’en est rien ici, que du contraire. C’est de fluidité qu’il s’agit, de bout en bout, et ce livre devient ainsi un double itinéraire qui nous montre ce qu’est, dans quelque société que ce soit, la place de l’artiste.

D’un Renoir à l’autre © 21g

Auguste Renoir… Portraitiste, impressionniste, et puis libre, essentiellement libre, et toujours malade de recherche dans le rendu du regard, dans la manière de faire de l’art un langage qui, de personnel et d’intime d’abord, de solitaire aussi, puisse se faire universel.
Et toutes les pages qui nous montrent le peintre nous dévoilent un être qui sait que la création ne peut que passer par la douleur, mais que le douleur passe, toujours, alors que la beauté, elle, reste. Un peintre qui ne voulait pas se contenter de réaliser ce qui existe déjà, à une époque où la photographie devenait de plus en plus monnaie courante. Un homme, tout simplement, qui avouait ne savoir faire que ce qui lui plaisait ! Et qui, de ce fait, s’est toujours refusé à être chef de file, premier de cordée d’une école artistique, aussi novatrice et intelligente soit-elle !


D’un Renoir à l’autre © 21g

Tout commence toujours par l’influence… l’imitation, même… Et, surtout, par la foi totale en son  » don « .
C’est ce que l’existence d’Auguste Renoir a prouvé, c’est ce que celle de son fils Jean a prouvé également.
Pour lui, cependant, même s’il a commencé sa vie active par la céramique, il n’a jamais été question de suivre les pas de son père. Un père que, finalement, il ne comprenait pas vraiment. Un père qu’il n’a commencé à découvrir, d’une certaine manière, qu’à la toute fin de sa vie.
Jean voulait être artiste, certes, mais dans un univers où tout restait à explorer, celui du cinéma. Où tout restait à explorer et inventer.
Et il s’est immergé dans ce monde-là, avec la puissance de l’instinct, passant du muet à la guerre, de la guerre à la souffrance, de la souffrance au cinéma parlant.
Un tableau, tout comme un film, c’est un signe de mémoire… Et, comme le disait Jean Renoir, les seuls moments importants d’une vie sont ceux dont on se souvient.
Et c’est par cette mémoire qu’incontestablement on peut parler d’une dynastie  » Renoir « .  » Les intellectuels empoisonnent le monde « , disait Auguste… Et c’est pour cela que l’un et l’autre, père et fils, se sont trouvé un point commun face à l’histoire de l’art : rendre compte, simplement, à la façon d’un ouvrier manuel, de ce que leurs regards saisissaient de la réalité et de ses méandres.


D’un Renoir à l’autre © 21g

Dans ce livre réellement  » artistique « , les allers-retours sont nombreux, entre deux vies mêlées, entre deux histoires mélangées à la grande Histoire. Les tableaux d’Auguste sont à découvrir, au hasard des pages… Les films de Jean, eux aussi, apparaissent comme contrepoints primordiaux à son existence :  » La règle du jeu « ,  » La chienne « ,  » La grande illusion »…
Et c’est ce mélange intime de deux destins qui se suivent et, pourtant, se révèlent parallèles l’un à l’autre, que nous offrent les auteurs de ce livre. Des auteurs qui, tous deux, se sont effacés derrière leurs personnages pour les laisser vivre de page en page.
Nous sommes en présence, ici, d’une bd, d’un livre d’art, d’un livre profondément humain, d’abord, avant tout… Un livre qui aura sa place dans votre bibliothèque !
Et nous sommes en présence d’une maison d’édition,  » 21g  » qui, faisant référence au poids de l’âme humaine, nous offre de livre en livre un panorama de bien des figures qui ont profondément changé l’Histoire qui est la nôtre !

Jacques Schraûwen
D’Un Renoir À L’Autre (dessin : Jak Lemonnier – scénario : Eddy Simon – éditeur : 21g)

Dickie Au Musée

Le regard d’un gentil iconoclaste sur le « Grand Art »…

Il y a déjà eu « Les Bidochon au musée », des albums à la fois décalés et extrêmement sérieux quant au fond. Il y a aujourd’hui le regard de De Poortere, graphiquement gentillet mais superbement provocateur et déjanté !

 

Dickie©Glénat

Quelles sont les raisons qui nous font sourire ? Qui nous font rire ?

Je pense qu’il y en a autant qu’il y a d’individus. Et que personne ne s’amuse comme quelqu’un d’autre, même si c’est à propos de sujets identiques.

Nul ne pourra jamais définir l’humour, fort heureusement, et c’est peut-être le propre de l’homme d’assumer, dès ce domaine très « visible » finalement, son goût pour la différence, son besoin de se singulariser ou, en tout cas, de se sentir singulier au milieu de mille pluriels…

Et pour le prouver, je vous invite à vous plonger dans ce livre qui revisite quelques artistes mythiques et leurs œuvres immortelles !

Dickie©Glénat

 

Belge néerlandophone, Pieter De Poortere pratique ce qu’on pourrait appeler une « ligne claire » appuyée… Un dessin tout en courbes, des contours extrêmement prononcés tant pour les personnages que pour les décors, un découpage de gags en une page tout à fait classique, tout cela se révèle d’une belle efficacité de lecture, tant il est vrai que cette simplicité pousse le lecteur, en quelque sorte, à voir tout de suite l’ensemble du dessin, et, ensuite, d’y trouver tout aussi vite l’élément perturbateur, celui qui, justement, porte à rire, à sourire… Quant à ses scénarios, muets, ils, vont à l’essentiel, eux aussi, grâce à la gestuelle plus qu’aux expressions.

 

Dickie©Glénat

 

Quant au contenu, au-delà même des « gags », ce livre est extrêmement ludique. Parce chaque planche est consacrée à un tableau, bien précis… Et que tout cela ressemble presque à un jeu de piste qui entraîne le lecteur dans le monde de l’art, mais qui le fait en usant d’un miroir déformant… C’est un peu comme si, avec Dickie, De Poortere nous racontait l’histoire qui se cache derrière des tableaux emblématiques de la grande Histoire de l’Art majuscule. Picasso et Guernica, la Vénus de Milo et sa nudité, Magritte, Hopper ou Man Ray, tous ces artistes et leurs œuvres perdent en sérieux, dans cet album… Mais ils le font avec une sorte de tendresse iconoclaste mais respectueuse qui rend hommage plus qu’il ne détruit. Une manière comme une autre de nous dire qu’il y a mille et une manières de regarder une œuvre d’art, comme il y a mille et une manières de sourire et de rire !

 

Jacques Schraûwen

Dickie Au Musée (auteur : Pieter De Poortere – éditeur : Glénat)

Dickie©Glénat

 

 

Darnand : Le Bourreau Français

Darnand : Le Bourreau Français

Pourquoi parler aujourd’hui de Joseph Darnand, un des personnages les plus sombres de la seconde guerre mondiale ?… C’est ce que vous expliquent les auteurs de cette bd dans cette chronique consacrée à un livre étonnant, et passionnant !

          Darnand©rue de Sèvres

D’une guerre à l’autre… De héros à salaud… Le tout au nom de la patrie, de l’honneur, d’un hymne national, d’un besoin de reconnaissance… Le tout dans un univers d’idéologies lentement changeantes, glissant, elles aussi, de la normalité à l’horreur la plus sanglante.

Et comme figure emblématique de cette époque de la grande histoire humaine, un personnage hors du commun, Joseph Darnand.

Voilà le choix de Patrice Perna pour son nouveau scénario, superbement dessiné par Fabien Bedouel.

Un choix qui peut paraître étrange, c’est vrai, mais qui correspond bien à la volonté que Patrice Perna a toujours eue de s’écarter des sentiers trop balisés de l’édition, de s’attacher à des personnages qui ont du corps, qui ont un vrai destin, et de nous en offrir un portrait sans fioritures mais sans manichéisme non plus.

Voilà aussi le choix de l’éditeur, Hervé Langlois, pour qui l’important, dans la bande dessinée, n’est pas seulement le récit, mais toutes les réflexions qu’il est capable d’ouvrir chez le lecteur.

Darnand©rue de Sèvres

Patrice Perna: choix du sujet

 

Hervé Langlois, éditeur

D’une guerre à l’autre… En compagnie de ce Joseph Darnand dont la destinée a été pour le moins exemplaire, au sens premier du terme.

C’est en 1916, âgé de presque 19 ans, que Joseph Darnand entre de plain-pied dans la guerre, celle que l’on a dite « grande »… Très vite, il va se mettre en évidence, par sa bravoure, par son autorité naturelle, par son courage aussi, et l’intelligence de ses actions militaires derrière les lignes ennemies. Par son sens du respect et de l’amitié à porter, également, à ses hommes, pour qui il est prêt à se sacrifier.

De ce fait, la guerre terminée, il sera décoré, on dira de lui qu’il a été un artisan de la victoire, il reçoit la médaille militaire des mains du général Pétain, à qui il vouera dès lors une admiration sans bornes, il est également décoré, comme sous-officier d’élite, de la Légion d’honneur.

Et puis, la vie normale le rattrape, l’uniforme rangé dans une armoire poussiéreuse et remplacé par un costume de vendeur.

Par nostalgie sans doute de l’existence folle qui fut la sienne, une existence qui prenait tout son prix par le fait qu’elle pouvait s’arrêter à tout moment, il commence vite à vivre d’autres engagements, dans des mouvements d’extrême droite, l’Action Française, de Maurras, la ligue royaliste aussi.

Et lorsque viendra la guerre de 40, Joseph Darnand se rangera aux côtés de l’occupant, pour une collaboration totale et totalement active, en tant que dirigeant, entre autres, de la Milice, une organisation paramilitaire qui se rendra coupable de crimes atroces.

Pour Patrice Perna, tout l’intérêt de raconter le trajet de cet homme réside d’abord dans le plaisir qu’il a à créer des narrations qui obligent le lecteur à remplir les trous du récit, à créer un fil narratif qui n’a rien de linéaire, à mêler même les époques en laissant opaques certains moments qui pourraient pourtant se révéler essentiels dans la compréhension du personnage qu’il met en scène.

Tout l’intérêt aussi, pour lui, est de dépasser le simple portrait d’un personnage odieux pour nous peindre également le tableau d’une époque. Pendant l’entre-deux guerres, et depuis bien longtemps, l’antisémitisme et le racisme de manière générale étaient des réalités de tous les jours, même et surtout chez les « penseurs », les « écrivains », les artistes. Et le fait de n’en parler que par petites touches permet surtout à Patrice Perna de nous rappeler que l’extrémisme n’est pas neuf, et qu’il peut rejaillir à tout moment, créateur de bourreaux aussi impitoyables que Darnand.

Darnand©rue de Sèvres

Patrice Perna: narration
Patrice Perna: l’extrême droite

 

Ce « Darnand » va se conjuguer en trois volumes. La qualité des deux auteurs, complices déjà pour les séries « Kersten » et « Forçats », est de plonger les lecteurs, dès le premier tome, dans ce qu’ils nous racontent, et de maintenir l’intérêt de tout un chacun en laissant des tas de portes ouvertes, en laissant des zones d’ombre dont on devine qu’elles seront, à un moment ou un autre, jetées en pleine lumière.

Le scénario de Perna restitue l’époque, son ambiance, et la manière de parler de chaque personnage.

Le dessin de Fabien Bedouel est réaliste, bien évidemment, il est également de facture classique, beaucoup plus que dans ses albums précédents réalisés avec Patrice Perna. Et ce dessin parvient à éviter tout voyeurisme inutile, même dans le compte-rendu dessiné de scènes de guerre absolument innommables. Mais il n’a rien, non plus, et fort heureusement, de policé, de sage, de passe-partout !

Darnand©rue de Sèvres

Patrice Perna et Fabien Bedouel: le dessin
Fabien Bedouel: le dessinateur

 

Il faut également épingler ici le travail de Sandrine Bonini, la coloriste. Avec une palette traditionnelle, sans accumulation d’effets spéciaux, à l’instar du travail du dessinateur, elle réussit à ajouter une note de poésie aux scènes les plus horribles, à transformer même certaines planches, certaines cases, en éléments presque abstraits (je pense aux scènes qui mettent en évidence la neige, ou certains décors…).

Le regard que portent ces trois auteurs sur l’Histoire, cette Histoire récente qui reste l’orée de celle qu’on vit aujourd’hui, ce regard est un regard aigu, intelligent, humaniste mais sans faux fuyant.

Et Joseph Darnand, odieux, trouve dans leur récit un contrepoint avec un autre personnage, Ange… Un contrepoint qui permet à l’album, comme je le disais plus haut, de laisser des portes ouvertes, de laisser surtout quelques fenêtres ouvertes sur un ciel plus bleu, moins chargé de haine…

Fabien Bedouel: la couleur de Sandrine Bonini

Un livre à ne pas rater !…

Jacques Schraûwen

Darnand : Le Bourreau Français – tome 1 (dessin : Fabien Bedouel – scénario : Patrice Perna – couleurs : Sandrine Bonini – éditeur : Rue De Sèvres)