Dow – 1. Les Ailes du Loup

Dow – 1. Les Ailes du Loup

Une bande dessinée d’aventure, qui mélange les genres et qui nous parle d’une sorte de super-héros, un aventurier, un homme avide de vengeance, dans un univers de mafieux, d’art et de trahisons…

D.O.W. 1 © Dupuis

La couverture de cet album, en nous montrant en effet un personnage qui porte un costume très symbolique de la thématique des super-héros, annonce la couleur. On y aperçoit Aliocha, donc, le héros de cet album, qui se trouve sur le toit d’un bâtiment. Il tient à la main une bombe de peinture. Autour de lui, on voit voler des pigeons. Il ne manque qu’une seule chose pour définir complètement ce personnage : un tatouage… Aliocha est un super-héros, à sa manière, mais sans vrais pouvoirs extraordinaires. C’est un héros humain, moderne…

Thilde Barboni : le héros de ce livre

Personnage ambigu, Aliocha multiplie les apparences, les appartenances à différents mondes, et c’est ce qui en fait, sans aucun doute, un aventurier proche de ce que les Comics aiment aborder : le justicier caché derrière un autre nom ! Pendant la journée, Aliocha est un tatoueur réputé, avec une clientèle qui n’a aucune difficulté financière. La nuit, il devient un « street-artist » engagé qui fait penser à Banksy. Et il est aussi un homme qui a des buts infiniment moins avouables.

Thilde Barboni : la symbolique du tatouage
D.O.W. 1 © Dupuis

Tout cela pourrait paraître confus, mais ce n’est pas le cas, dès qu’on entre dans l’intrigue concoctée par la scénariste, Thilde Barboni. Romancière par ailleurs, Elle aime en effet mélanger les histoires, construire des récits qui mêlent les genres. C’est le cas ici, encore, mais avec toujours, le souci de ne pas perdre le lecteur en cours de route, de l’agripper, en quelque sorte, en lui montrant à voir des actes et des actions dans lesquels la passion est omniprésente. Toutes les passions… Et elle le fait en multipliant les strates de lecture, en ajoutant à l’action et à ses narrations au premier degré, des symbolismes nombreux, épars, discrets. On y découvre par exemple une partie de l’histoire de la Russie soviétique, de celle du nazisme et de ses compromissions, on croise la présence de Dostoïevski. Il y a des armoiries, une croix gammée, un cercle tatoué qui, à lui seul, est un symbole puissant.

Thilde Barboni : les symboles, les références
D.O.W. 1 © Dupuis

Dans DOW, il est évident qu’on se trouve dans un face à face de deux systèmes de codes spécifiques. Il y a les codes habituels du polar : une guerre des gangs, une vengeance, la mafia, le poids du passé. Et il y a aussi les codes du comics américain. A ce titre, il faut souligner l’apport évident du dessinateur Gabor, qui use sans abuser de perspectives variées et démesurées, parfois, d’un dessinateur très expressionniste, tout et étant classique, avec des couleurs qui jouent avec les ambiances et aident à créer des rythmes dans chaque page, dans chaque séquence.

D.O.W. 1 © Dupuis

Et le fait de créer un héros tatoueur, ce n’est pas seulement profiter d’un phénomène de mode : c’est aussi sous-entendre que toutes les apparences, finalement, sont fabriquées… C’est donc un livre qui est bien plus qu’une simple aventure policière convenue. C’est une bande dessinée agréable à lire mais qui soulève, de ci de là, des vraies questions, des vraies réflexions…

Thilde Barboni : les apparences

Et ce mélange fonctionne. C’est une bd d’aventures, violente, avec des protagonistes bien typés. Mais c’est aussi, en même temps, un livre plein de références, philosophiques, historiques, littéraires… Dow, c’est une série qui nous parle aussi, dès son premier tome, du temps, du hasard, de ce lieu où nous nous trouvons toutes et tous, entre l’avant et l’après… Toute réalité humaine ne dépend-elle pas, dès l’initiale de sa réalité, du hasard autant que du temps qui passe…

Thilde Barboni : le hasard et le temps
D.O.W. 1 © Dupuis

Jacques Schraûwen

Dow – 1. Les Ailes du Loup (dessin : Gabor – scénario : Thilde Barboni – éditeur : Dupuis – 64 pages – septembre 2020)

Thilde Barboni

De L’Autre Côté De La Frontière

De L’Autre Côté De La Frontière

Une exposition à Bruxelles, enfin, et un album sombre et superbe !

Simenon, entre réalité et fiction. Un scénario de Jean-Luc Fromental tout en nuances, un dessin d’une belle lisibilité : Berthet est un des dessinateurs essentiels de la bd belge…

De L’Autre Côté De La Frontière © Dargaud

La mise en quarantaine de l’Art, réalité essentielle, pourtant, de la vraie liberté intellectuelle, arrive enfin à son terme… Plus ou moins, c’est vrai, puisque les distanciations « sociales » (étrange expression pour une interdiction des contacts humains) restent des ordres légaux. Mais ne boudons pas, surtout, notre plaisir à de nouveau pouvoir découvrir, admirer, rêver… A voir se rouvrir des galeries d’art qui sont les miroirs des talents qui, confinés, nous ont tellement manqué !

Donc, c’est dans la galerie Champaka que Philippe Berthet va exposer du 14 mai au 6 juin les originaux de son dernier album, l’excellent et très littéraire « De l’autre côté de la frontière ».

Et pour rester dans l’air du temps, étant donné les contraintes actuelles concernant les déplacements, encore peu conseillés, l’exposition sera accessible de manière virtuelle dès le lundi 11 mai, pour toutes les personnes intéressées, via un lien Preview par simple demande sur la page d’accueil du site de la Galerie Champaka.

http://www.galeriechampaka.com/

Berthet © Berthet

Mais au-delà de cette exposition qui, comme toujours dans cette galerie, sera claire, dépouillée, lumineuse, il y a un livre, un album, une aventure policière passionnante. Nous sommes en Arizona, à la frontière mexicaine, juste après la deuxième guerre mondiale. François Combe est un écrivain européen. Il y vit avec sa femme, son fils, leur gouvernante, et sa maîtresse. Le libertinage et l’écriture sont ses réalités, ses quotidiens. Des quotidiens qui se rougissent du sang de quelques meurtres que l’on peut qualifier de crapuleux.

La mort, depuis toujours, est omniprésente dans l’œuvre de Philippe Berthet. Ici, plus que dans ses livres précédents encore, elle se fait tragédie, mêlée intimement au sexe, celui qu’on dit tarifié, celui qui naît de la séduction, celui qui n’est qu’un signe de pouvoir, de possession.

On peut qualifier le dessin de Berthet de « ligne claire », c’est évident. Il est tout aussi évident que les couleurs de Dominique David, informatiquement travaillées, accompagnent à merveille ce parti pris artistique, de par leur présence lourde, de par la simplification des ombres et des lumières.

De L’Autre Côté De La Frontière © Dargaud
Philippe Berthet : le dessin
Philippe Berthet : la couleur

Au départ, on a l’impression de se retrouver en face d’une intrigue policière bien construite, respectueuse des codes du genre. Mais très vite, on se rend compte que derrière le personnage central François Combe se cache Georges Simenon, auteur belge incomparable de Maigret, certes, mais de bien d’autres livres également, tous s’enfouissant profondément dans les méandres de l’âme humaine. Je me souviendrai toujours du professeur Paul Osterrieth à l’ULB, dans son cours de psychologie, qui disait que les vrais psychologues, on les trouvait dans la littérature, et il citait Simenon parmi eux…

Ce choix d’un personnage central plus qu’inspiré par le réel a amené, bien évidemment, chez les deux auteurs, une approche très particulière de leur travail.

De L’Autre Côté De La Frontière © Dargaud
Jean-Luc Fromental et Philippe Berthet : le personnage central

Jean-Luc Fromental est un amoureux de la bande dessinée, lui qui, en son temps, a été rédacteur en chef du magazine Métal Hurlant. Il est aussi un amoureux du dessin, vouant une vraie admiration au génie de Pierre Joubert. Il est enfin un amoureux de la littérature, de l’Histoire, sous toutes ses formes. Dès lors, il a fait de Simenon, véritablement, un personnage de BD, de narration… Le choix d’un héros écrivain, c’est en quelque sorte, pour Fromental, dire que seule la littérature, sous toutes ses formes, peut rendre compte du rêve et du réel en même temps.

L’attrait avoué de Simenon pour les jeux de l’amour, de l’étreinte plutôt, sa plongée imaginée dans la vérité de meurtres innommables, tout cela fait du scénario de Fromental une réflexion sur la place du créateur : est-ce être libertin que de parler de sexe, est-on observateur ou voyeur, ou réussit-on à être les deux en même temps ?

De L’Autre Côté De La Frontière © Dargaud
Jean-Luc Fromental : Simenon, la mort, le sexe

Avec comme anti-héros central un « littérateur », il était normal que ce livre soit aussi extrêmement écrit, littérairement construit. Le langage de Fromental, ainsi, rend hommage à celui de Simenon, mais sans pour autant être trop présent. Le langage, en fait, est tout autant celui des mots que du graphisme, de la couleur que de l’ambiance, des décors que des visages et des regards. Et ce sont ces langages en osmose qui permettent également des raccourcis qui allègent le récit et laissent au lecteur des plages de réflexion personnelle…

De L’Autre Côté De La Frontière © Dargaud
Jean-Luc Fromental et Philippe Berthet : le langage

Montrer Simenon photographe d’intimes étreintes, c’est une manière détournée de réfléchir à la tentative toujours un peu désespérée qu’ont les écrivains de « montrer » les mots… La photo de Simenon, le dessin de Berthet, ce sont des mémoires, d’abord et avant tout. Et si le sexe est axial, il est bien moins un révélateur d’une apparence…

Philippe Berthet a toujours Accordé une belle importance aux femmes, dans ses livres. Des femmes fatales, souvent, dans la filiation directe des grands polars américains, littéraires ou cinématographiques.

Ici, c’est différemment le cas. Nous sommes en présence d’un livre de femmes, mais des femmes qui ne sont pas des icônes attendues et manichéennes. Des femmes, en tout cas, qui sont beaucoup moins spectatrices de leurs existences mélangées qu’actrices d’un destin qui, de toute façon, ne peut que les dépasser.

De L’Autre Côté De La Frontière © Dargaud
Jean-Luc Fromental et Philippe Berthet : un livre de femmes

Vous l’aurez compris, « De l’autre côté de la frontière » est un livre excellent, qui donne d’ailleurs l’envie, je l’avoue, de se replonger dans les mémoires de Georges Simenon. Et Philippe Berthet fait partie, pour moi, et depuis longtemps, de ces auteurs dont le classicisme n’empêche jamais l’originalité, ni l’évolution dans le dessin. Vous avez envie d’autre chose que d’une balade chez Ikea ou Brico ou Action?…. Rendez-vous dans la galerie Champaka, à Bruxelles !

Jacques Schraûwen

De L’Autre Côté De La Frontière (dessin : Philippe Berthet – scénario : Jean-Luc Fromental – couleurs : Dominique David – éditeur : Dargaud – 72 pages – mars 2020)

EXPOSITION JUSQU’AU 6 JUIN 2020 à la Galerie Champaka, 27, rue Ernest Allard – 1000 Bruxelles

http://www.galeriechampaka.com/

Django Main de feu

Django Main de feu

Musique et bande dessinée pour « confiner le temps »

La musique, dit-on, adoucit les mœurs. Et la bande dessinée offre des fenêtres ouvertes vers des libertés que nous n’avons plus vraiment… Une excellente BD préfacée par Thomas Dutronc.

Django Reinhard est né en Belgique, à Liberchies, en 1910. Et il est mort jeune, en 1953, après une carrière fulgurante et exceptionnelle. Guitariste virtuose, totalement inspiré, il a vraiment marqué de son empreinte le jazz manouche, le jazz tout court !

Et la bande dessinée que je vous propose de découvrir raconte son enfance, son adolescence, jusqu’à l’accident qui lui a brûlé la main, lui laissant deux doigts inertes. Ce livre nous raconte aussi son combat pour dépasser son handicap et véritablement créer un style, un toucher de guitare qui n’appartient qu’à lui !

On pourrait croire qu’il s’agit ici d’une biographie. Et c’est le cas, mais uniquement en petite partie.

Pour les auteurs, le scénariste Salva Rubio, et le dessinateur Efa, raconter l’enfance de ce gamin plus que turbulent que fut Django, c’est aussi raconter le début du vingtième siècle, nous montrer ce qu’était alors le monde tzigane, ou rom, ou gitan. C’est également, plus largement, l’occasion de nous parler d’apprentissage, de la solidarité d’une communauté et, surtout, de l’art, de la musique. Choisir de nous parler de Django Reinhardt, cela n’a rien eu de gratuit, incontestablement.

Et ce qu’ils nous montrent, c’est le portrait d’un monde tzigane raconté à taille d’enfance, de façon à nous faire découvrir ce que furent les éléments de l’existence qui firent d’un gosse turbulent, d’un tout jeune adulte handicapé un des maîtres de la musique du vingtième siècle.

Django Main de feu © Dupuis
Efa : le choix du personnage
Efa : chercher les origines…

Django Reinhardt, tel qu’il nous est révélé ici, est un personnage mythique dont la biographie se balade sans cesse entre légende et réalité. Mais il est cet enfant qui, un jour, décide d’appartenir à plus grand que lui, à la musique, cette musique au centre même de l’âme tzigane, cette musique à la fois individuellement salvatrice et signe d’un lien profond entre les êtres. Et c’est là, me semble-t-il, que ce livre prend toute sa force, tout son intérêt : dans le discours graphique qu’il nous donne de l’art, sous toutes ses formes, et des chemins qu’il est seul à pouvoir creuser pour rendre le quotidien vivable.

Django Main de feu © Dupuis
Efa : L’art avant tout

Rubio et Efa, déjà complices il y a quelque temps pour un superbe « Monet », parviennent ici à raconter avec passion la passion d’un être démesuré. Et de le faire avec tous les ressorts naturels de la narration : des seconds rôles, nombreux, des paysages variés, du rythme soutenu, des séquences sans temps mort, une humanité omniprésente. Ils nous montrent plusieurs apprentissages, plusieurs naissances, en quelque sorte : la vie sans père, la vie en communauté, la découverte du banjo, l’amour, l’amitié, la paternité, l’infidélité, la douleur, la souffrance et le combat pour dépasser cette souffrance. Pour que tous ces éléments soient parfaitement fonctionnels, il a fallu au dessinateur Efa tout l’art d’un vrai metteur en scène !

Django Main de feu © Dupuis
Efa : le dessinateur est un metteur en scène

Le propos, dans cet album, dépasse donc le seul récit d’une existence, sans pour autant être infidèle à cette vie exceptionnelle. Et la présence, en fin de volume, d’un dossier historique est particulièrement bienvenue.

Le dessin d’Efa est d’une totale efficacité. Semi-réaliste, parfois même caricatural, ce dessin rend vraiment « vivants » tous les personnages autour de Django, et ils sont nombreux ! Efa les fait vieillir, il parvient à rendre compte graphiquement de leurs émotions. Ses couleurs, avec une dominance des tons ocres, nous plonge véritablement et sans angélisme dans un monde qu’on ne connaît pas. Il y a du rythme, des visages expressifs, du sentiment, de l’ambition, de la liberté et … une musique qui nous parle toujours de terre, de nuages, de soleil ! On en a bien besoin…

Django Main de feu © Dupuis
Efa : le dessin

Un livre « culturel » au sens large et noble du terme, un livre qui nous donne à voir la naissance d’un destin, la lutte et la révolte nécessaire à toute création. Des valeurs, tout compte fait, qui manquent beaucoup de nos jours !…

Jacques Schraûwen

Django Main de feu (dessin : Efa – scénario : Salva Rubio – éditeur : Dupuis – 68 pages suivies d’un dossier de 18 pages – parution janvier 2020)

Django Main de feu © Dupuis