Les Enquêtes Du Lieutenant Bertillon – chronique express

Les Enquêtes Du Lieutenant Bertillon – chronique express

Une série dont deux albums sont déjà disponibles… Du polar original…

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Cette série, parue chez Dupuis, a de beaux jours devant elle, très certainement ! Cyrille Pomès au dessin et Carine Barth au scénario parviennent, en effet, à nous faire rencontrer un personnage, un flic, qui s’éloigne des clichés du genre… Ou, plutôt, qui réussit à faire se fusionner plusieurs de ces clichés pour faire de ce lieutenant Bertillon une sorte de héros toujours à la marge… Deux albums sont déjà parus, donc. Dans le premier, « Amotken », on parle d’un incendie et d’un mort chez des forains, on s’y plonge dans des secrets de famille, des amours étranges, des problèmes d’argent… Dans le deuxième, « Sedna », Bertillon est muté dans la banquise : un bateau, disparu depuis trois ans, brisant la glace, montre à Bertillon que les souvenirs ne sont pas toujours bons à réveiller ! Dans le froid et l’incompréhension, ce lieutenant de police va découvrir de nouveaux univers, dans lesquels d’étranges traditions, un peu d’ésotérisme, des folies, une chèvre, un pingouin (ou un manchot) vont, à leur manière, guider le petit lieutenant un peu paumé vers une forme de solution…

Il faut souligner dans ces albums l’art des dialogues ! Peaufinés, ils définissent autant que le trait les différents personnages. A souligner, aussi, la création d’un héros atypique, un dessin d’ambiance, le tout avec des rebondissements qui rythment le récit, et la couleur de Drac sans laquelle je pense que le dessin serait trop confus…

Jacques et Josiane Schraûwen

Édika Sous Couvertures – humour gaulois et potache à l’honneur !

Édika Sous Couvertures – humour gaulois et potache à l’honneur !

Fluide Glacial, éditeur et revue, résiste aux modes, au bon goût aussi, depuis 50 ans, et cela se doit d’être souligné !

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C’est en avril 1975, en effet, que trois dessinateurs décident de créer ce qui se veut être un organe de presse « d’umour et bandessinées ». Parmi ces créateurs, Gotlib, qui a déjà fait les beaux jours du journal Pilote, de la revue L’écho des savanes, Gotlib qui a incontestablement apporté un sang nouveau à ce qu’on peut appeler l’humour en bd, avec, par exemple, la mythique rubrique à brac. Son sens du gag, de la provocation aussi, vont faire merveille dans Fluide Glacial avec des auteurs venus de tous les horizons : Tronchet, Binet, Gimenez et sa superbe série, sérieuse elle, des « Paracuellos », Alexis et même Franquin avec ses sublimes idées noires.

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Fluide Glacial, ainsi, s’est défini dans le paysage du neuvième art comme un magazine dans lequel l’humour, sous toutes ses formes, et souvent les plus non-correctes, voire vulgaires, avait sa place… Que toutes les bêtises avaient la liberté de s’exprimer !Et, parmi ces auteurs qui ont fait et font encore les beaux jours de Fluide Glacial, il y a Édika, qui fait l’objet aujourd’hui d’un petit livre sympa.

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On peut dire que ce dessinateur occupe une place de choix dans le choix des couvertures du magazine : il en a fait 83 sur les 582 numéros publiés ! Et on peut dire aussi que ces couvertures ont attiré, toujours, bien des regards, bien des réflexions, bien des critiques bien pensantes souvent… Parce qu’il faut l’avouer, Edika, dans le paysage de la bd, et même dans celui, pourtant déjà bien déjanté, de Fluide Glacial (et cela fait 40 ans qu’il y travaille, qu’il s’y amuse), un électron libre.

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Un humour déjanté, oui, né de la gauloiserie, cet humour vieux comme la France sans doute, et dont on peut dire que sa caractéristique première est d’être, comment dire, leste… voire plus, même ! Et dans ce domaine, Edika aime depuis toujours ruer dans les brancards, enfoncer les portes de la bienséance, avec sans arrêt un sens de l’absurde, du surréalisme, de la provocation gratuite, et, également, avec une forme souriante d’érotisme souvent gras… Disons-le tout de go, Edika adore, avec un graphisme totalement éloigné de tout réalisme, les femmes possédant des appas plus qu’imposants, et de préférence dénudées, les femmes aussi ridiculisant sans cesse les hommes cherchant à les séduire. Cela, je le sais, pourrait paraître n’être que graveleux ! Mais Edika a une manière de dessiner qui n’appartient qu’à lui, en multipliant les détails, à peine visibles parfois, en multipliant les personnages, un peu comme l’immense illustrateur Dubout faisait en d’autres temps.

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Édika a une façon de déformer la réalité qui est hors du commun, hors de tous les codes, on peut dire qu’il réinvente en quelque sorte l’humour à chaque album ! A chaque couverture, aussi… Et ce petit livre de 64 pages est là pour remettre les choses en place : Edika est un humoriste, et il y a un plaisir plus que souriant à se balader dans ses couvertures et, ce faisant, grâce à un texte bien fichu, à l’y découvrir tel qu’il est : un artiste populaire et Français faisant semblant d’être franchouillard !

Jacques et Josiane Schraûwen

Édika sous couvertures (textes de Gérard Viry-Babel, dans la collection « les jolis p’tits cultes », chez Fluide Glacial – 2025 – 66 pages)

L’Emprise – Histoire d’une manipulation

L’Emprise – Histoire d’une manipulation

Les grands mots et les grands discours sont souvent réducteurs, lorsqu’on aborde des sujets dits de société. La bande dessinée peut, elle, se faire proche de chacune, de chacun, au travers du quotidien d’un témoignage…

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Et c’est bien le cas avec cet album-ci. Deux femmes en sont les autrices. Fiamma Luzzati au dessin, et Camille Eyquem au scénario. Deux femmes en sont la trame, également. La trame d’un récit qui n’a rien de fictionnel, on le sent, très vite, on le ressent, profondément. Un récit qui, en commençant par nous parler d’amour, nous raconte l’envers du miroir, la mensongère vérité des apparences du quotidien. Une histoire « vécue » qui, sans pudeur, nous montre une lente plongée dans un enfer volontairement accepté…

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Lucrezia vient de se marier, à Portofino. Sa fête de mariage, somptueuse, avec de très nombreux invités bien « branchés », se termine doucement. Au bar d’un hôtel tranquille, la jeune mariée vient se reposer et entame la discussion avec un cliente. Agnès, au cours de cette conversation, dit à Lucrezia que sa belle histoire d’amour lui remet en mémoire une autre histoire… La sienne : « A l’époque, j’étais la jeune fille sage, col roulé, préoccupée de bien faire. C’était mon premier poste : attachée de presse dans une start-up. Le directeur venait de changer. »…

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Cet album, dès lors, va devenir l’illustration de ce souvenir raconté. Un souvenir souriant, tranquille, amoureux encore… Un souvenir qui, petit à petit, va révéler une réalité dans laquelle la fête et le sourire s’estompent sans heurts pour faire place à des attitudes qui n’ont plus rien d’amoureux. En racontant son passé, Agnès nous fait son portrait de jeune fille attendant le Prince Charmant, certes, mais aussi et surtout le portrait de cet homme qu’elle a aimé, qu’elle a épousé, dont elle a eu un enfant : Skipper…

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Et c’est là que la bande dessinée en dit bien plus que mille et une interventions psys. Sans chercher d’effet, Fiamma Luzzati nous prend comme témoins de cette histoire… Des témoins qui ne se posent aucune question, qui regardent vivre un couple parfait, qui appellent cela, sans doute, une fusion d’âme et de corps. Et elle le fait sans écorcher en quoi que ce soit, ce qu’ont été, au fil du temps les sentiments d’Agnès… Sentiments, sensations, émotions, déceptions, appartenances, quotidiennes dépendances…

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On comprend assez vite, bien évidemment, qu’il ne s’agit pas d’une femme malheureuse qui vient s’épancher auprès d’une inconnue heureuse… On comprend très vite, oui, que l’homme dans l’emprise duquel Agnès est tombée est le même que celui que vient d’épouser Lucrezia. On comprend aussi, dès lors, que cette bande dessinée est, bien sûr, un témoignage, mais qu’elle se révèle surtout une sorte d’autopsie froide d’une relation amoureuse dans laquelle le pouvoir occupe la place centrale…

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Et le talent des deux autrices est, justement, de faire que cette autopsie n’a rien de froid, de frigide… Bien sûr, elle nous décortique les attitudes d’un dominant narcissique, menteur, mythomane, possessif, mais elle nous dévoile surtout les raisons, intimes ai-je envie de dire, qui font qu’une femme se laisse ainsi prendre dans des filets déshumanisants. Ce livre n’est pas un appel au secours, il n’est pas non plus la négation du sentiment amoureux. Il est une sorte d’appel à l‘intelligence, celle de ne pas idéaliser une situation, mais de pouvoir garder son œil critique… Un appel qui reste sans écho, narrativement parlant, puisque Lucrezia garde ses illusions de grande amoureuse idéale, et que Skipper, le prédateur « sentimental », aura encore bien d’autres proies…

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Le sujet, vous l’aurez compris, n’est pas une bluette tranquille… Son traitement, cependant, n’a rien d’un mélo. Le dessin de Fiamma Luzzati est pour beaucoup dans la limpidité de la lecture de ce livre : un dessin simple, presque simpliste même, des personnages aux gestes et aux apparences souvent presque esquissées, mais mis en évidence dans des décors dont le flou pratiquement photographique les met toujours à l’avant-plan du récit, donc du témoignage partagé.

Un livre qui n’a rien à voir avec les pensums moralisants qui se multiplient… Un livre capable de faire réfléchir… Capable aussi, sans doute, et je l’espère, de montrer à toute une chacune la différence entre un prédateur ignoble et l’Amour… Toutes les histoires d’amour ne finissent pas mal, loin s’en faut, et j’en sais d’essentielles ! Mais il y en a bien trop qui ne sont que des manifestations d’une forme de pouvoir absolu… C’est cela que ce livre nous montre, en nous remettant en mémoire que les seuls contes de fée qu’on doive aimer, quand on rêve d’amour, sont ceux que l’on écrit, silencieusement, à deux, librement…

Jacques et Josiane Schraûwen

L’Emprise – Histoire d’une manipulation (dessin : Fiamma Luzzati – scénario : Camille Eyquem – éditeur : Dunodgraphic – avril 2024 – 124 pages)