L’étymologie avec Pico Bogue

Une bd qui fait sourire, tout en nous plongeant dans ce qu’est notre patrimoine premier: notre langue, le français!

L’étymologie avec Pico Bogue © Dargaud

 

Pico Bogue fait partie de ces petits héros de bande dessinée qui me sont chers… C’est en effet un enfant sans cesse en train de réfléchir, d’observer, ce qui ne l’empêche nullement d’être un gosse, un vrai, turbulent, provocateur, attachant, exaspérant… Personnage central d’une série qui fait penser à la fois au Petit Nicolas de Sempé et à la Mafalda de Quino, Pico Bogue, depuis son premier album, s’intéresse aux mots, à leurs sens parfois pluriels.
En une époque où d’aucuns, qu’on a beaucoup (trop…) entendus, veulent voir la langue française se simplifier, grammaticalement et orthographiquement, on a droit, ici, dans ce nouvel album, à un avis différent, enfin !
Un avis qui puise sa force dans l’amour de ce « Français » de moins en moins défendu. Les exemples ne manquent pas, d’ailleurs, de la lente destruction de cette langue par les décideurs de toutes sortes : on ne parle plus de salle de rédaction, mais de news-room, d’administrateurs mais de managers…
La langue, c’est le territoire dans lequel s’étirent les racines d’une civilisation, d’une culture. Oublier que les mots ont des origines, c’est nier que la construction d’une pensée passe d’abord par l’apprentissage et la maîtrise d’un langage, d’une langue donc.
Pico Bogue, à ce titre, défend sa langue, émanation de l’amour que Dominique Roques, sa scénariste, porte aux mots… Parmi ces mots, il y a le verbe pronominal « s’entendre », dont les deux sens, finalement, sous-tendent totalement ce livre.

L’étymologie avec Pico Bogue © Dargaud

 

DOMINIQUE ROQUES: L’AMOUR DES MOTS
DOMINIQUE ROQUES: S’ENTENDRE

 

Mais n’ayez pas peur, surtout, de vous trouver en présence d’une œuvre sérieuse, ardue, pointue ! Fouillée, elle l’est, c’est vrai, dans l’analyse des mots choisis. Mais c’est aussi, et surtout même, le sourire qui est au rendez-vous. Cela fait longtemps que Dominique Roques et Alexis Dormal partageaient l’envie d’un album de Pico Bogue consacré exclusivement aux mots. Il leur fallait trouver le moyen de le faire sans ennui, en laissant Pico Bogue et ses proches s’amuser et amuser les lecteurs. Et ce moyen, ils l’ont trouvé, et ils le prouvent ici avec des gags toujours en quelques dessins d’une belle efficacité.
Bien sûr, à la différence des dix livres précédents de Pico Bogue, qui offraient plusieurs niveaux de lecture, on est ici dans un livre plus adulte dans sa démarche. Mais oui, c’est un livre qui fait aussi sourire, un livre passionnant, érudit et amusant.
Un livre qui, de ce fait, peut plaire à bien des publics, à bien des âges !…

L’étymologie avec Pico Bogue © Dargaud

ALEXIS DORMAL: CONSTRUCTION DE CE LIVRE
DOMINIQUE ROQUES ET ALEXIS DORMAL: PUBLIC VISÉ

 

Ce livre ne peut que plaire, de par son intelligence, à tous ceux qui aiment cette langue qui est la nôtre. Les mots gagnent à être apprivoisés, disait à peu près Julos Beaucarne. Dominique Roques et Alexis Dormal nous apprennent à le faire, et c’est un vrai bonheur… Grâce au texte clair de Dominique Roques, grâce aussi au talent d’Alexis Dormal. Il a un dessin tout en souplesse, tout en mouvement, tout en aquarelles lumineuses, tout en plaisir, tout en décors esquissés mais superbement présents, tout en mimiques à peine tracées et pourtant rayonnantes.
Deux auteurs complices nous invitent à devenir complices de leur amour des mots, et j’ose croire que nombreux seront celles et ceux prêts à les suivre dans cette passion!…

L’étymologie avec Pico Bogue © Dargaud

ALEXIS DORMAL: DESSIN

 

Les auteurs de Pico Bogue nous offrent des tranches de vie… Des morceaux d’existence quotidienne vus au travers des regards d’un enfant, de quelques enfants même, aux caractères très différents les uns des autres.
Ils le font, toujours, avec humour… Un humour bon enfant parfois, quelque peu grinçant à d’autres moments, un humour qui se révèle l’axe central de leur vision du monde, à tous les deux.
La place de l’humour dans notre monde… Voilà une grande question, une question que j’ai posée à Dominique Roques, et dont la réponse servira de conclusion à cette chronique… Une conclusion à laquelle je ne peux que souscrire!

L’étymologie avec Pico Bogue © Dargaud

DOMINIQUE ROQUES: CONCLUSION

Jacques Schraûwen
L’étymologie avec Pico Bogue (dessin: Alexis Dormal – scénario: Dominique Roques – éditeur: Dargaud)

En Roue Libre

En Roue Libre

Ceci n’est pas une bd qui nous parle, avec misérabilisme et mièvrerie, de la difficulté d’être handicapé dans les banlieues française!…

En roue libre © Casterman

 

Bien sûr, on nous montre dans ce livre un handicapé en chaise roulante, Tonio, qui a perdu une jambe il y a longtemps… Tonio dont on doit couper la seconde jambe bientôt… Tonio, aigri, agressif, qui semble n’avoir qu’un seul ami, un gars de son âge, un copain d’enfance… Un ami qui, comme tous les autres personnages de ce livre d’ailleurs, n’a pas de prénom. Un peu comme pour insister, au travers de l’identité de chacune et de chacun, sur l’élément central et moteur de Tonio dans le fil de l’intrigue.

En roue libre © Casterman

 

Nicolas Moog: les personnages

 

Les deux rythmes

 

Une intrigue, disons-le tout de suite, qui se conjugue avec lenteur, dans une linéarité tranquille, sans vrais à-coups, sans rebondissements, dans le simple compte-rendu d’un quotidien presque banal et vécu en grisaille.

Il y a donc Tonio, dans son fauteuil roulant, et son ami, qui le pousse et l’emmène où il veut, deux personnages qui ne sont pas complémentaires mais unis uniquement, semble-t-il, par leur passé. Deux personnages, de ce fait, qui sont tous deux handicapés, le premier physiquement, charnellement, le second moralement. Tonio est un adolescent de banlieue devenu adulte et toujours avide de révoltes plurielles et gratuites, son ami, lui, est rangé, il est marié, il a des enfants. Mais son adolescence enfuie l’oblige, le pousse, le condamne presque à ne pas abandonner celui qui reste l’image de ses frasques anciennes.

Le rythme est lent, le dessin, simple, dans les visages, les corps comme dans les décors, est dépouillé et se fait observateur plutôt qu’accompagnateur d’une intrigue réduite à sa plus simple expression. Et pourtant, malgré cette espèce de minimalisme dans le scénario comme dans le graphisme, le livre est prenant, incontestablement ! Émouvant, même…

 

En roue libre © Casterman

 

Gilles Rochier: handicap
La révolte

 

On ne s’ennuie pas du tout, que du contraire, dans ce livre qui, finalement, n’est pas du tout un livre sur les handicapés, mais bien plus un album qui s’enfouit, sans bruit, dans le monde d’aujourd’hui, celui de la non-richesse (je ne parle pas de pauvreté, tout comme ce livre n’en parle pas), un monde dans lequel l’amitié ne peut que paraître incongrue, parce que s’opposant à la grisaille des routines vécues au jour le jour.

Le handicap, malgré tout, reste présent, évidemment, mais plus par réflexion, comme dans un miroir quelque peu déformant.

C’est d’ailleurs ce qui rend ce livre empreint d’une véritable émotion, la sensation que ressent le lecteur, face au scénario de Gilles Rochier, que tout ce qui est décrit ici, plus que raconté d’ailleurs, naît d’une expérience vécue. Une expérience traumatisante, sans doute, et ouverte dès lors à la révolte, une révolte sous-jacente dans ce livre, mais de manière discrète… Le dessin de Nicolas Moog est lisse, certes, mais ce qui est raconté au travers de ce graphisme ne l’est pas du tout !

 

En roue libre © Casterman

 

Nicolas Rochier: le dessin et la couleur

 

Ce livre est donc l’œuvre d’un scénariste, Gilles Rochier, qui n’a pas besoin d’effets spéciaux pour émouvoir et même surprendre, d’un dessinateur, Nicolas Moog, qui a fait de son dessin la continuation lente, émouvante et sans apprêts de la narration, et de Jiip Garn, qui, coloriste, a choisi, lui aussi, la simplicité dans ce qui se révèle, de sa part, une mise en scène légèrement colorisée des différentes séquences qui construisent ce livre…

C’est de tons monochromes qu’il s’agit, donc monotones comme la vie entourée d’immeubles déshumanisés. Des tons tranquilles, aussi, qui permettent d’accentuer les retours au passé sans pour autant les mettre trop en évidence.

 

En roue libre © Casterman

 

C’est donc un superbe travail à trois que cet album, qui, au-delà d’un thème et d’un titre qui peuvent sembler rébarbatifs, se révèle comme intéressant, intelligent… Une belle réussite !

 

Jacques Schraûwen

En Roue Libre (dessin : Nicolas Moog – scénario : Gilles Rochier – couleurs : Jiip Garn – éditeur : Casterman)

Essence

Essence

Un roman graphique qui voyage entre l’ici et l’ailleurs, entre la vie et la mort, entre le possible et l’improbable… Le tout sur fond d’une enquête identitaire presque policière ! Une réussite de plus parue chez l’éditeur Futuropolis !

  Essence©Futuropolis

Résumer cet album est extrêmement simple. Achille, jeune homme fou d’automobile, se promène dans une espèce de no-mans-land entre vie et mort. Accompagné par son ange gardien, une jeune femme particulièrement jolie, il doit, pour trouver la paix, retrouver d’abord la mémoire de ce qui l’a tué.
Résumer cet album est extrêmement difficile. A l’instar du héros mythologique dont il porte le prénom, ce jeune mort découvre à la fois l’immortalité et les chemins détournés qui peuvent la réduire à rien. Il lutte contre son passé, contre son présent, contre tout ce qui, finalement, ne s’inscrit pas dans l’immédiateté de ses passions, de ses souvenirs qui ne se restaurent que peu à peu.
Album onirique, donc, mais également analyse du pouvoir de la passion sur le quotidien, album fantastique mais également approche très réaliste et même scientifique de la puissance des fabricants d’essence sur notre société, album policier mais aussi livre d’amour et de détresse, « Essence », de par la multiplication de ses thèmes, pourrait perdre ses lecteurs en cours de route, et ce n’est cependant jamais le cas grâce à un dessin phénoménal et un scénario sans aucun faux pas.


 Essence©Futuropolis

Ce qui est frappant aussi, dans cette bande dessinée, c’est le nombre imposant de références, totalement assumées. Des références qui sont graphiques, avec des regards en biais lancés à Hergé, à Giger, mais aussi à Vasarely et à Mondrian.. Des références littéraires, aussi, au gré des rencontres d’Achille… Des références cinématographiques, avec James Dean, Bunuel, entre autres…
Au travers d’une vision tout à fait surprenante du « purgatoire », les auteurs nous emmènent ainsi dans une quête identitaire, oui, en nous laissant suivre les pas d’un homme mort, certes, mais dont même la mort reste animée par la passion. Celle de la vitesse, celle des voitures, de manière plus générale, celle de l’amitié, celle de l’amour. Mourir est, pout Achille, un cauchemar, mais un cauchemar qui, par toutes les rencontres qu’il lui impose, même les plus horribles et les plus nauséabondes, le replonge dans son humanité disparue.
Vivre sans passion n’est pas vivre, sans doute… Mais vivre sa passion, c’est aussi tout oublier, même de vivre, telle est la leçon qu’Achille, anti-héros éperdu d’absence, vit au fil des quelque 180 pages de ce livre.

Essence©Futuropolis

Je persiste et signe : Futuropolis est, sans aucun doute, un éditeur qui aime sortir des sentiers battus pour nous offrir souvent des petits bijoux. C’est le cas, ici, avec un livre dont le dessin de Benjamin Flao est absolument étonnant par sa variété, par sa beauté presque classique à certains moments, pratiquement surréaliste à d’autres moments, réaliste ici, caricaturale là, aimant multiplier les détails dans un décor sur telle page, les réduisant à leur plus simple expression dans telle autre page…
Fable fantastique ancrée de plain-pied dans le monde qui est nôtre, « Essence » est un livre à placer en bonne place dans votre bibliothèque !…

Jacques Schraûwen
Essence (dessin : Benjamin Flao – scénario : Fred Bernard – éditeur : Futuropolis)