« How i live now » et « Féroce »

« How i live now » et « Féroce »

Deux conseils lectures, deux excellents livres de chez Glénat !

Ce sont deux univers très différents l’un de l’autre que je vous invite à découvrir. Deux univers, cependant, qui, chacun à sa manière, se révèle être le reflet, aussi, de nos quotidiens… A lire, à faire lire !

How I Live Now

(dessin et couleur : Christine Circosta – scénario : Lylian d’après Meg Rosoff – éditeur : Glénat – 144 pages – septembre 2021)
How I Live Now © Glénat

Une guerre s’annonce… On en parle, on en a peur.

Le père d’Elisabeth, une adolescente révoltée, décide de lui faire quitter les Etats-Unis et de l’envoyer chez une tante, dans la province anglaise.

Seulement voilà : la guerre arrive, la guerre pend le pouvoir, la guerre devient l’horizon quotidien de tout un chacun, et ce de chaque côté de l’Atlantique.

N’allez pas croire, cependant, que ce livre va vous raconter ce qui l’a été des milliers et des milliers de fois, avec plus ou moins de talent : la vie d’un groupe de personnes au creux d’un pays en guerre !

How I Live Now © Glénat

Non, cette guerre n’est, finalement, qu’un élément du décor, un élément essentiel, certes, mais dont on n’aperçoit, au fil des pages, que très peu la réalité.

Je l’avoue, je n’ai pas lu le roman originel, ni vu le film qui en a été tiré en 2014.

Je n’ai lu que cette bande dessinée, et j’ai été ébloui par ce livre, par sa construction, par son dessin, par sa couleur.

Ce qui a intéressé les auteurs, je le disais, ce n’est pas cette troisième guerre mondiale qui sert de fond d’écran. Ce que nous raconte ce livre, véritable roman graphique, ce sont plusieurs histoires essentiellement humaines et quotidiennes, au travers de portraits rapprochés, de paysages, d’activités, de rêves et de luttes communs. Oui, c’est un livre de personnages et d’émotions, tout simplement !

How I Live Now © Glénat

Il y a Elisabeth, en conflit avec son père après la mort de sa mère. Il y a son anorexie esquissée dans le récit mais intervenant, sans aucun doute, dans ses attitudes, dans ses réactions. Elisabeth, qui se fait appeler Daisy et qui va trouver, dans cette famille britannique, des repères qui lui manquaient. Elisabeth qui va se sentir grande sœur responsable pour Piper. Elisabeth qui, du haut de ses quinze ans, va découvrir l’amour, celui qu’on dit romantique et celui qu’on sait charnel, avec son cousin Edmond, adolescent lui aussi… Elisabeth qui se découvre ainsi un sens de la famille avec ses quatre cousins.

Aux côtés d’Elisabeth et de sa famille, il y a les autres… Des militaires, entre autres, qui amènent avec eux la peur, le besoin d’engagement pour un des cousins d’Elisabeth, la séparation, le travail obligatoire, la fuite, enfin, pour recréer, utopiquement, le cocon familial dans lequel Elisabeth le sait, le sent, réside leur seule chance à tous les cinq de se restaurer à eux-mêmes.

Est-ce un livre, en définitive, sur l’adolescence ?

Je pense bien plus qu’il s’agit un roman dessiné qui nous parle, avec plusieurs angles de vue, de la vie, de ses âges, de cette nécessité que tout un chacun a de vieillir, de « grandir », quelles que soient les circonstances environnantes. Les âges, oui, et la perte des rêves pour s’en créer d’autres, et les lâchetés et les courages.

C’est un livre sur les émotions, qui sont de douceur ou de douleur, de nostalgie ou d’espérance, de départs et de retrouvailles.

How I Live Now © Glénat

La narration est linéaire… Et traitée de bout en bout à la hauteur de l’héroïne, Elisabeth. Ne sommes-nous pas toutes et tous, en fait, les seuls héros de nos existences ? Elisabeth n’en prend conscience que progressivement, et le scénario suit, avec une lenteur qui n‘a rien de pesant, cette évolution.

Le dessin et la couleur sont les interprètes premiers de ces émotions qui nous sont contées. La couleur nous restitue les sensations vécues par les différents protagonistes, elle est aussi porteuse de beauté, celle de la nature, celle des saisons qui passent, celle d’une forme d’autarcie tranquille. Mais cette couleur peut aussi, ici et là, se faire violente, dans la description graphique des tueries de la guerre par exemple.

Ce n’est pas un livre « feel good », ce genre tellement à la mode en ces temps pour le moins perturbés. C’est un livre intelligent, c’est un live humain, c’est un livre qui nous replonge, à sa manière, dans nos propres adolescences, donc dans nos propres éblouissements et nos propres premières amours.

Feroce : 1. Taïga de Sang

(dessin : Alex Macho – scénario : Gregorio Murso Harriet – couleur : Garluk Aguirre – éditeur : Glénat – 56 pages – septembre 2021)
Féroce 1 © Glénat

Dans ce premier volume d’un diptyque, la nature est également omniprésente.

Mais il s’agit d’une nature plus sauvage, celle des profondeurs de la Russie, près des frontières de la Chine et de la Corée.

La guerre dont on parle dans ce livre est insidieuse, économique, elle attente au patrimoine naturel d’un pays, la Russie, d’un continent, de la faune et de la flore…

Dans ce livre, les personnages sont nombreux.

On y trouve des ouvriers qui, perdus dans la Taïga, abattent les arbres en sachant qu’ils le font hors des lois existantes. Il y a des membres des brigades forestières, censés veiller à ce qu’aucune infraction n’ait lieu, il y a des écologistes qui viennent, avec l’aide du centre pour la protection du tigre de l’Amour, réaliser un film sur cet animal mythique et en voie de disparition.

Féroce 1 © Glénat

Il y a un mafieux russe qui veut se venger d’une réalisatrice écolo, Sabine Köditz.

Il y a une femme d’affaire chinoise, mafieuse elle aussi.

Et puis, il y a ce tigre, féroce, blessé, et qui provoque le départ en chasse de l’esprit de la forêt, l’Amba…

C’est vrai que ce livre nous donne pas mal d’informations extrêmement sérieuses, quant à cette déforestation sur le continent européen encore plus grave et importante que celle dont on parle que le continent américain, quant à l’omniprésence manipulatrice et mercantile de l’homme au sein d’une nature qui, pour ne pas se désagréger, va devoir se venger…

Parce que c’est sans doute là que se situe le vrai point de gravité de ce livre : au-delà de la violence, de la mort, de la trahison, de l’amour, du courage, de la lâcheté, des conflits familiaux, c’est la vengeance qui, peu à peu, envahit tout, les femmes, les hommes, et la nature.

Féroce 1 © Glénat

L’intelligence des auteurs est d’avoir choisi les codes d’une « aventure » pour nous livrer leur regard sur une réalité dont les médias ne parlent pas. Il est tellement plus facile de condamner sur un bout de papier les actes d’un Président sud-américain que de se dresser contre un voisin imposant ! Et, puisque ce livre nous offre sa férocité en un récit entraînant, sa lecture en est agréable… passionnante… Grâce, donc, au scénario sans temps mort, quelque peu éclaté, de Gregorio Muro Harriet.

Il faut dire aussi que le dessin réaliste de l’Espagnol Alex Macho fait preuve d’une virtuosité évidente et particulièrement efficace, visuellement parlant, et ce dès la couverture de cet album.

Féroce 1 © Glénat

Il faut dire aussi que la couleur, due à Garluk Aguirre, fait merveille dans la présence, presque tangible, du froid, de la neige, des paysages embrumés, des actes humains perdus dans le brouillard.

Dans ce premier tome, tout est mis en place, avec vivacité.

Tous les rouages de la tragédie sont là… Et j’ose espérer qu’ils seront à la hauteur de mes envies dans le prochain volume !

Jacques Schraûwen

La femme parfaite – Une compilation des aventures de Mademoiselle F

C’est dans le magazine Flair que cette héroïne de papier sans trop de complexes, terriblement dévergondée, foncièrement amorale a vu le jour. La voici, non dans une intégrale, mais dans un choix souriant de ses quotidiens !

Serge Dehaes a le trait vif, quand on parle de son graphisme, évidemment, mais quand on aborde, aussi, sa manière d’écrire, de raconter, de décrire ses personnages.

On peut dire de lui, sans aucun doute possible, qu’il est un « mauvais esprit », et que la femme dont il a fait son personnage principal n’a rien de parfait, loin s’en faut ! Et heureusement, d’ailleurs ! Je ne sais plus qui a dit que la perfection engendrait l’ennui (Guitry, peut-être…), mais je peux dire que, dans ce livre de quelque 160 pages, on n’a pas beaucoup d’occasions de s’ennuyer.

Cela dit, soyons quand même honnête… Le lecteur qui veut lire le livre d’une seule traite finira vite par se lasser…

« La femme parfaite » vit, dans cet album, des centaines de petits gags, et c’est en picorant, au hasard, sans but précis de lecture, qu’on s’amuse le plus.

Le mot gag, d’ailleurs, n’est pas à prendre dans le sens « bd » du terme, je pense.

Il est bien plus à considérer dans une filiation avec le métier de dessinateur d’humour en un dessin, métier de gens comme Kiraz, Bellus, Peynet, et tant d’autres.

Il est de bon ton, de nos jours, de renier ces auteurs qui, il y a des années, faisaient sourire dans les pages des magazines comme Match, ou Lui, ou Playboy. C’est oublier que ces sourires, très différents les uns des autres, parfois très « bourgeois », parfois très « anars », parfois « esquissés », parfois « peaufinés », font partie intégrante de la culture populaire. Encenser Sempé et oublier Bosc a autant de sens que de ne parler en bd que d’Hergé et dénigrer Saint-Ogan…

L’ennui naît de la perfection, il naît aussi de l’uniformité… Il y a mille et une manières de sourire et de faire sourire… Et tous ces auteurs, oubliés ou placés dans des panthéons auxquels ils n’ont probablement jamais rêvé, sont des artistes appartenant totalement, oui, à la culture, celle qui se veut populaire et qui parvient à l’être.

Et c’est bien à cette race-là, avec cette héroïne en tout cas, et dans une tradition très française, que s’inscrit Serge Dehaes. C’est dans les pages d’un magazine féminin qu’avec Mademoiselle F, il a offert à des lectrices leur portrait en miroir déformant. Des lectrices qui, très vite, ont été conquises !

Mademoiselle F : une demoiselle qui n’en est plus une depuis longtemps ! Libre, libertine, mais, en même temps, pas féministe pour un sou… Avec un côté caricatural de ses aspirations les plus profondes : aimer, un peu, beaucoup, plus du tout… Mais être aimée et désirée, oui, surtout si un bon portefeuille aide à ne pas voir, pendant un certain temps, les défauts de l’homme choisi.

En fait, personne ne sort intact des dessins de Dehaes. Mademoiselle F est frivole, ne connaît pas le mot « engagement » ou, plutôt, décide de n’en tenir aucun compte. Elle a des copines, du même milieu qu’elle… Elle a un boulot, mais elle ne s’y investit qu’un strict minimum, et n’y voit, sans doute, que le lieu et l’occasion de faire des rencontres, de plaire et d’être séduite, le temps d’une aventure ou d’un simple baiser…

Il y a des hommes, aussi… Les patrons, entre autres, les « mâles » nantis qui pensent que le charme ne peut naître que de l’opulence. Une croyance que Mademoiselle F entretient avant de leur démontrer que c’est elle, finalement, qui sort gagnante à chaque amourette.

Il y a les hommes, oui, ceux qui se retrouvent compagnons de lit ou de quotidien de Mademoiselle F et qui se rendent vite compte que, finalement, c’est elle, même écervelée, jolie comme un cœur mais femme de désir et de pouvoir, qui dirige et décide tout de ses relations, de ses amitiés, de ses amours, de ses séparations.

La femme parfaite © Editions du Tiroir

Je le disais, Mademoiselle F, c’est un portrait déformant, mais pas uniquement des femmes, loin s’en faut !

C’est, gentiment, avec un faux air machiste, un portrait personnel et personnalisé de notre société, simplement, que nous livre Serge Dehaes.

Jacques Schraûwen

La femme parfaite – Une compilation des aventures de Mademoiselle F (auteur : Derge Dehaes- Editions du Tiroir – 2021 – 160 pages)

www.editions-du-tiroir.be

Fin De Bail

Fin De Bail

Des histoires courtes dans un univers où l’absurde le dispute au fantastique

Pendant les années 80, Philippe Berthet s’est fait le collaborateur de gens comme Foerster ou Antonio Cossu. Et c’est avec ce dernier qu’ils ont créé quelques petits bijoux réunis (enfin) dans cet album !

Fin De Bail © Editions du tiroir

Je l’ai déjà dit, je le répète : Philippe Berthet est un dessinateur dont le talent, indéniable, appartient totalement à l’histoire de la bd, à l’histoire du polar sombre, du roman noir dessinés…

Antonio Cossu, qui fut son complice à plusieurs reprises, est de ceux qui ont amené dans la bande dessinée « pour tous » des délires fantastiques qui, tout comme ceux de Foerster, ont marqué eux aussi l’évolution du neuvième art.

Fin De Bail © Editions du tiroir

Et cet album nous permet de découvrir (ou de redécouvrir) cinq « nouvelles » en bd qui ont vu s’associer, intimement ai-je envie de dire, les talents de ces deux auteurs, Berthet et Cossu.

Chacun étant dessinateur et scénariste, ils nous offrent des histoires dans lesquelles leurs deux personnalités ne deviennent qu’une.

Fin De Bail © Editions du tiroir

La première évidence, en lisant ces cinq petites histoires, c’est que s’y profilent quelques ombres littéraires de bon aloi : Jean Ray, Claude Seignolle aussi, Gérard Prévot sans doute, Maupassant également.

La deuxième évidence, c’est le plaisir des auteurs à créer des personnages qui, caricaturaux sans doute, n’en revêtent pas moins toutes les dérives de l’humanité.

Fin De Bail © Editions du tiroir

C’est le cas d’une belle employée pour qui chaque matin est un combat personnel…

C’est le cas pour Titanic Joe dans un univers en déliquescence…

C’est le cas pour ce tueur professionnel qui croise sur sa route un vrai porte-poisse…

C’est le cas de la folie divine d’un aliéné…

Fin De Bail © Editions du tiroir

C’est le cas, enfin, de deux acteurs X qui se regardent sur l’écran et parlent de dialectique amoureuse, avec cette phrase sublime, digne de Guitry : « Qui te parle d’amour ? Il s’agit de couple, ici ! »…

« Fin de bail », c’est un livre qui conjugue plusieurs thématiques scénaristiques traitées avec vivacité : l’horreur, le roman noir, le fantastique, et l’absurdité… Celle de l’imaginaire comme de la réalité, celle de la vie comme de la mort.

Fin De Bail © Editions du tiroir

En outre, il y a un jeu de la part des deux auteurs qui permet de rester très moral, puisque le mal est toujours puni, dans chacune de ces histoires. Un jeu, oui, comme pour nous dire : « Tout cela, c’est pour s’amuser, n’allez surtout pas croire que, dans la vie normale, des gens aussi salauds que ceux que nous avons inventés existent vraiment ! »

« Fin de bail », c’est un livre réjouissant, avec un dessin qui s’attarde avec délice sur les décors, avec des dialogues coupés au couteau… A lire, absolument !

Jacques Schraûwen

Fin De Bail (auteurs : Philippe Berthet et Antonio Cossu – couleurs : André Taymans et Antoine Bréda – éditions du tiroir – mars 2021 – 32 pages)

https://www.editions-du-tiroir.org/