Fables Amères

Fables Amères

Chabouté, un auteur toujours exceptionnel !

Lire un album de Chabouté, c’est toujours un moment magique… Il est de ces dessinateurs, rares, qui ont un véritable « regard » sur le monde qui est le nôtre. Et les fables qu’il nous offre aujourd’hui sont d’une tranquille puissance !

Fables amères © Vents d’Ouest

Si on s’en réfère aux dictionnaires de toutes sortes, le mot fable couvre une réalité littéraire bien précise : il s’agit, en utilisant peu de place, de raconter une histoire qui décrit une réalité en y ajoutant une «morale», une «leçon».

A ce titre, même si les mots y sont peu présents, les courtes histoires dessinées de Chabouté sont profondément des fables. Des fables humanistes…


Fables amères © Vents d’Ouest

Chabouté est un magicien du dessin, un artiste qui, s’approchant au plus près des visages des personnages qu’il dessine, parvient, en quelques traits, à y graver des sensations, des sentiments variés et jamais caricaturaux.

J’ai presque envie de comparer ses fables à ce que faisait l’immense dessinateur d’humour noir Serre. Leurs styles graphiques, évidemment, n’ont rien de similaire. Mais les sujets traités, eux, sont proches, très proches même… Là où Serre traitait ces thèmes avec dérision et désespoir, en un dessin aux messages immédiats, Chabouté, lui, prend le temps de raconter le quotidien, et son traitement, dès lors, s’en fait tout aussi désespérant, mais avec des lueurs d’espérance que Serre n’avait pas.


Fables amères © Vents d’Ouest

Ce sont des fables amères, avec des « morales » tout en amertume, oui. Mais une amertume chargée de poésie. Une amertume qui, finalement, peut se savourer. Une amertume qui se nourrit d’abord de tendresse. Une amertume qui n’est que le signe d’une observation lucide de ce qu’est la vie qui nous entoure. Une amertume qui se transforme en sourires, parfois crispés, parfois éblouis, comme à la fin de la première fable de ce livre, qui nous dresse un portrait des ambiguïtés vécues par un militant d’extrême-droite.


Fables amères © Vents d’Ouest

Plus que des fables, toutes les courtes histoires présentes dans ce livre sont des chroniques. Chroniques de la haine ordinaire… de la bêtise intellectuelle… de la paresse irrespectueuse, de la pauvreté invisible, des rêves inaboutis, de l’indifférence narcissique, mais aussi de l’espérance culturelle et littéraire.

Chabouté se fait le chantre poétique et réaliste en même temps des différences entre les individus, différences raciales, sociales, culturelles, des handicaps présents aux quotidiens de nos balades à toutes et à tous. Chabouté fait, doucement, sereinement, œuvre de moraliste, oui, en nous décrivant une forme d’humour citadin, en nous poussant à dépasser les seules apparences, en pratiquant le dessin subjectif, comme en cinéma. Il nous dévoile une société, une civilisation qui se meurt par manque d’humanisme. Et, ce faisant, il nous ouvre les yeux, comme La Fontaine le faisait…


Fables amères © Vents d’Ouest

Ce n’est pas un livre muet, mais c’est un livre dans lequel les mots, quand il y en a, font plus partie du décor que du récit, que de ce que veut nous raconter et nous montrer Chabouté. Montrer… C’est le terme adéquat, je pense, pour ces fables amères qui, sans faux-fuyant et sans manichéisme sont un peu les miroirs de ce que nous vivons de jour en jour dans nos cités, dans nos rues, dans nos rencontres.

« Fables Amères » : un livre intelligent, un livre important, un livre à lire, à faire lire, à partager !….

Jacques Schraûwen

Fables Amères (auteur : Chabouté – éditeur : Vents d’Ouest)


Fables amères © Vents d’Ouest
François Walthéry – Une Vie en Dessins

François Walthéry – Une Vie en Dessins

Ni art-book ni monographie, voici un livre qui se promène dans les œuvres originales d’un des  » grands  » de la bande dessinée pour tous les publics ! Un artiste qui est aussi un artisan souriant… Et qui n’a jamais la langue de bois !


Une vie en dessins – © Champaka/Dupuis

Après plus de cinquante ans de carrière, François Walthéry est un des grands témoins de ce qu’on peut appeler l’âge d’or de la bande dessinée belgo-française. C’est dans les années 60 qu’il a fait ses premières armes, en travaillant pour Peyo, l’immortel créateur de Johan et Pirlouit et des Schtroumpfs.

Et aujourd’hui, c’est un très beau livre qui lui est consacré. Qui, plutôt, est consacré à ses dessins, à ses planches, à ses crayonnés. Un livre qui plonge, profondément, dans l’univers qui est le sien, un monde de création, un paysage intime, en quelque sorte, dans lequel s’épanouit un artiste complet.

Ce livre,  » une vie en dessins « , se veut en effet, à partir d’un enfouissement dans une somme iconographique imposante et particulièrement parlante, la description vivante de ce qu’on peut appeler un processus créatif.

Pour François Walthéry, d’ailleurs, vivre et créer sont indissociables depuis toujours !

Eric Verhoest: ce livre
Eric Verhoest: le processus de création
François Walthéry: vivre et créer

François Walthéry et Eric Verhoest © JJ Procureur

Résumer l’œuvre de François Walthéry est chose impossible, tant cet auteur s’est amusé (le mot est bien choisi !) à balader son talent dans bien des directions !

Bien sûr, il y a d’abord et avant tout Natacha, cette hôtesse de l’air qui fut peut-être bien la première des héroïnes sexy à trouver sa place dans un magazine pour la jeunesse ! Sexy, mais féministe en même temps, puisqu’elle est incontestablement la meneuse dans le duo qu’elle forme avec le steward Walter !

Mais avant cela, il y a eu Jacky et Célestin, Benoît Brisefer, Le Vieux Bleu, Rubine, Une femme dans la peau, Le P’tit bout d’chique, et quelques autres albums inspirés par son appartenance souriante à la culture wallonne.

Malgré une réputation de  » lenteur « , distillée sans doute en grande partie par Delporte auprès des lecteurs du journal de Spirou, François Walthéry semble, tout au contraire, ne jamais s’être arrêté de dessiner.

Et même si l’Aventure, avec un A majuscule, est un des moteurs les plus puissants de toutes les inspirations de Walthéry, il n’a pratiquement jamais refusé de « rendre service », et le nombre de ses illustrations, pour des amis, des associations, des chanteurs, entre autres, remplirait nombre d’albums aussi épais que celui-ci !…


François Walthéry: les illustrations

François Walthéry: l’Aventure

François Walthéry; Sophie Dumont, Jacques Schraûwen – © JJ Procureur

Ce qui caractérise également François Walthéry, c’est son humour… Il serait bruxellois, on parlerait de  » zwanze « … Mais il est wallon… Et il parle de cette spécificité avec, toujours, un large sourire au coin des lèvres comme au profond des mots.

Il est aussi et surtout un Wallon qui se souvient et se souviendra toujours de l’enfant qu’il a été. Un enfant qui n’a jamais participé à un jamboree mais qui a bien été scout. Avec un totem qui lui a été donné pour des raisons, elles aussi, souriantes !


François Walthéry: le vouvoiement

François Walthéry: le scoutisme

Une vie en dessins – © Champaka/Dupuis

François Walthéry a de la mémoire, et il le prouve dans ce livre, au gré de ses nombreux commentaires. Une mémoire qui remet en lumière quelques-uns des maîtres absolus de la bande dessinée, de Jijé à Tillieux, en passant par Franquin et Sirius. C’est qu’il les a côtoyés, tous, et qu’il a appris avec eux le sens des mots  » solidarité  » et  » amitié « . Et, également, « talent »…


François Walthéry: les « grands »

François Walthéry: Sirius

une vie en dessins – © Champaka/Dupuis

On a l’habitude, depuis quelques années, à voir fleurir sur les étals des libraires des monographies ou des art-books consacré à des auteurs de bande dessinée.

Mais Eric Verhoest, éditeur de cette  » vie en dessins « , fait le choix, pour Walthéry comme pour ceux qui vont le suivre dans cette collection, de privilégier le travail au jour le jour, de mettre en évidence les errances du dessin avant qu’il ne se fasse définitif. De définir, donc, un auteur, au travers, d’abord et avant tout, de sa création !


Eric Verhoest: cette nouvelle collection
une vie en dessins
une vie en dessins – © JJ Procureur

François Walthéry n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers, même si ces lauriers prennent l’apparence, comme ici, d’un superbe livre qui lui est consacré et dans lequel, de page en page, il se révèle tel qu’il est au quotidien de son travail, de sa passion. Je vous invite donc à découvrir l’album de Natacha, d’après Sirus, sorti de presse il y a peu.

Et vous l’aurez compris, je trouve que cet album-ci, somme imposante de dessins imposants, se doit d’avoir sa place dans la bibliothèque de tous les amoureux du neuvième art, ceux qui savent que les richesse de la bd contemporaine doivent tout à ce que des gens comme Walthéry ont ouvert comme portes il y a cinquante ans…

Jacques Schraûwen

François Walthéry – Une Vie en Dessins (éditeur : Champaka/Dupuis)

Les Femmes En Blanc: 40. Soufflez!

Les Femmes En Blanc: 40. Soufflez!

Quarantième album pour ces infirmières qui font sourire, certes, mais en grimaçant bien souvent ! Une série populaire, dans le meilleur des sens du terme…

les femmes en blanc
les femmes en blanc – © dupuis

Populaire, oui, puisque les petites histoires de ces infirmières s’adressent à tout un chacun, et abordent des thèmes que, finalement, tout le monde connait, tout le monde appréhende aussi : la maladie, la douleur, les soins et, en fait, l’évolution d’une société –la nôtre- dans laquelle les découvertes médicales sont nombreuses et fantastiques, mais dans laquelle, en même temps,  » l’humain  » est de plus en plus oublié, peut-être…

Les auteurs de ces Femmes en blanc ont réussi à ne lasser ni leurs lecteurs ni eux–mêmes grâce à cet aspect presque sociologique (mais toujours souriant, même jaune, ou noir !) de leur BD. Puisque les thèmes qu’ils traitent, en mots et en dessins, suivent l’actualité, et malgré quelques gags récurrents au fil de ces quarante albums, ils assurent une longévité à leur série grâce à la variété des situations qu’ils nous racontent.

Philippe Bercovici: longévité et variété
les femmes en blanc
les femmes en blanc – © Dupuis

Quarante albums, donc, pour deux auteurs complices depuis bien des années.

D’une part, il y a le prolifique Raoul Cauvin, incontestable maître d’œuvre de bien des séries à succès chez Dupuis. Un Cauvin qui, comme je le disais, n’évite pas de temps à autre quelques redites, mais qui ne fatigue jamais ses lecteurs, tout comme lui ne se fatigue pas à chercher ce qui pourra faire sourire, rire, ou même, parfois, réfléchir.

D’autre part, il y a Phiippe Bercovici, un dessinateur dont les premières armes datent des années septante. Un dessinateur qui a confronté son dessin aux scénarios de Cauvin, mais aussi à ceux de Yann ou de Corteggiani.

Philippe Bercovici qui varie les plaisirs, en étant aussi dessinateur de presse.

Un auteur à part entière, puisqu’il se révèle avec  » Les Femmes en Blanc « , avec un trait vif, avec un sens à la fois du mouvement et de l’expression caricaturée, un véritable metteur en scène des idées de Cauvin.


Philippe Bercovici: Raoul Cauvin

Philippe Bercovici: mise en scène
les femmes en blanc
les femmes en blanc – © Dupuis

Je le disais : ce qui fait la longévité de cette série, sans aucun doute, c’est qu’elle ne ronronne pas dans un humour uniquement frontal. Puisant ses sujets dans la réalité, celle de tout un chacun, n’hésitant pas dès lors à parler de la mort, de l’automédication, de la politique de la santé, du manque de moyens humains, de l’évolution de l’accueil dans les hôpitaux, de l’empathie du corps médical qui a toutes les peines à résister aux pressions de la vie et de ses obligations administratives de plus en plus lourdes, s’enfouissant de gag en gag dans ce que tous nous vivons, cette série est celle d’un humour extrêmement proche des gens, des lecteurs…


Philippe Bercovici: humour et réalité
Les Femmes En Blanc: 40. Soufflez!
Les Femmes En Blanc: 40. Soufflez! – © Tous droits réservés

Des lecteurs, oui, qui ne peuvent que se retrouver, se reconnaître, dans pas mal de personnages mis en scène par Bercovici et Cauvin. Parce qu’un des plaisirs de ces quarante albums, c’est, justement, de voir revenir régulièrement des « héros » qui, d’abord silhouettes, occupent une place importante d’album en album. C’est bien notre monde, notre univers, dans ses décors comme dans son humanité, dans son angoisse comme dans ses rires, que nous narrent les auteurs. Et c’est une réussite, souvent, de les voir remettre en avant des patients comme  » le père « , pour qui le monde médical, celui dans lequel travaille sa fille, est d’un total hermétisme.


Philippe Bercovici: un monde « normal »

Philippe Bercovici: le personnage du « père »

La bande dessinée, dès ses primes créations, s’est voulue ouverte à tous les publics.

 » Les Femmes en Blanc  » appartiennent à cette vision du divertissement. Un divertissement intelligent, un divertissement qui, comme je le disais, tourne au rire jaune parfois, souvent même.

C’est que l’humour, en fait, ce n’est pas que  » la politesse du désespoir « … C’est aussi et surtout le miroir déformant de nos propres angoisses… Et un miroir déformant, cela fait et fera toujours sourire et rire !

Jacques Schraûwen

Les femmes en blanc : Soufflez ! (dessin : Philippe Bercovici – scénario : Raoul Cauvin – éditeur : Dupuis)