Le Football

Le Football

Le regard analytique et politiquement incorrect d’un dessinateur de bd…

Bastien Vivès, c’est de la bande dessinée… Mais c’est aussi de l’humour, de l’observation, et, dans ce livre-ci, une vision sans concession du football/fric/spectacle ! Il dessine ce que bien des gens pensent tout bas !

le football
le football © Shampoing

A 35 ans, Bastien Vivès est un de ces auteurs qui osent ruer dans les brancards de la routine éditoriale et du  » bien-pensant « , en nous racontant des histoires qui s’écartent résolument des sentiers battus.  » Une Sœur « ,  » Le Chemisier « ,  » Attention Chien Méchant « ,  » Petit Paul « , autant de livres qui, ces dernières années, ont marqué le neuvième art… Des livres qui n’hésitaient pas à s’enfouir dans le monde du désir charnel, de l’érotisme le plus débridé, de la violence la plus répugnante, mais aussi dans le quotidien vécu à taille humaine.

Et donc, ce dessinateur qui est sans doute un des plus doués de sa génération, s’attaque (le mot est bien choisi !…) au football, ce sport qui électrise les foules et crée des gradins remplis de moutons bêlant tous dans la même direction !

le football
le football © Shampoing

C’est de l’humour, bien sûr ! Mais pas seulement ! C’est d’abord un livre fait par quelqu’un qui, incontestablement, connaît et aime le football. Mais quelqu’un, aussi, qui regarde un peu plus loin que le spectacle (de qualité ou pas…) qui se déroule sur le terrain. Avec une méchante subjectivité qui fait bien plaisir!

Et il aborde dans ce petit livre des thèmes aussi variés que l’hymne national chanté avant un match international ou que la fabrication des ballons de foot par des enfants-esclaves. Il nous montre aussi, en dessins qui ressemblent à des instantanés, la pauvreté des propos  » sportifs « , qu’ils soient ceux des joueurs ou ceux des journalistes dits spécialisés. Il décortique, avec un humour qui va jusqu’à l’absurde, les négociations entre les agents de joueurs ou les dirigeants de clubs. Sans oublier, bien évidemment, le rôle prépondérant des entraîneurs, coupés du réel, les vrais, sur le bord du terrain, et les milliers d’autres, au bistrot ou dans les gradins !

le football
le football © Shampoing

De tous les sports, le football est devenu, en quelques décennies, un phénomène de société. Un symbole, même, de ce qu’est notre société basée sur la rentabilité, l’argent, le pouvoir, la renommée. La  » prétention « , aussi !

A ce titre, ce Bastien Vivès fait presque œuvre de sociologie… mais toujours avec le sourire au coin des lèvres et du dessin ! Même quand il parle du machisme le plus imbécile qui soit !

L’humour est un chemin de traverse…

Un chemin qui peut faire réfléchir… Un chemin qui peut se révéler plus qu’absurde, totalement surréaliste, comme quand Vivès nous montre, assistant à un match de foot, un père expliquer à son fils que Jésus appartient à la vérité du football !

L’humour de Vivès est un miroir… Dans lequel nous nous reflétons… Et j’ai particulièrement aimé la petite séquence qui met en scène deux amis d’enfance, une star de foot et un copain qui prépare son bac…

le football
le football © Shampoing

Ce que j’aime aussi, et surtout, dans ce livre, c’est que Bastien Vivès se fait l’observateur de la bêtise, de toutes les bêtises, un peu comme Audiard le faisait. Mais sans user du  » mot « , rien qu’en retranscrivant ce qu’il a entendu, ce qu’il a observé, ce qu’il a compris.

Il tire dans tous les coins, et personne n’est épargné, ni les journalistes-journaleux, ni les joueurs, ni les supporters.

Le trait est simple, vif, parfois à peine esquissé, mais d’une efficacité redoutable. Les dialogues sont simples, eux aussi, et toujours totalement plausibles.

L’ensemble, c’est un petit livre qui se lit en riant jaune, surtout quand on aime regarder un bon match de foot!

C’est un livre salutaire… Qui m’a donné l’envie à retrouver chez Desproges et Serre ce qu’ils pensaient, disaient et dessinaient, eux, de ce sport emblématique d’une société aux valeurs de plus en plus sans valeur !

Jacques Schraûwen

Le Football (auteur : Bastien Vivès – éditeur : Delcourt/Shampoing)

Bruxelles 2019 – A l’occasion de la Belgian Pride du 18 mai, trois albums bd à découvrir

Bruxelles 2019 – A l’occasion de la Belgian Pride du 18 mai, trois albums bd à découvrir

C’est en 1996 qu’a eu lieu, pour la première fois à Bruxelles, la Gay Pride. A l’époque, seules quelques petites centaines de militants festifs avaient défilé… Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, loin s’en faut, et, le 18 mai prochain, la foule sera au rendez-vous. L’occasion de découvrir la bd «gay» dans trois de ses aspects…

Un Monde De Différence (auteur : Howard Cruse – éditeur : Vertige Graphic – exposition au Comic Art Factory à Ixelles à partir du 17 mai 2019)

https://www.comicartfactory.com/

A quelque 75 ans, Howard Cruse, fils de prédicateur, est à inscrire dans deux courants artistiques américains complémentaires : d’une part, l’underground, qui osait, à l’instar de Crumb, un langage, tant dessiné que littéraire, opposé à tous les codes du bienséant, et, d’autre part, la tendance initiée par « Mad » et qui osait rire de tout avec un sens de l’absurde qui ne fut pas sans influencer Gotlib de ce côté-ci de l’Atlantique.

Mais pour Howard Cruse, l’important fut très vite de dépasser ces frontières culturelles pour parler, simplement, de la liberté, de toutes les libertés. Et c’est ainsi que, dans « Un monde de différence », c’est un peu lui qu’il dessine sous les traits de Toland Polk, un homme du sud des Etats-Unis cherchant d’abord à nier ses « penchants homosexuels », mais amené, peu à peu, à les accepter, à les revendiquer, et ce dans un monde en changement (comme le disait Bob Dylan). Dans un monde où la marginalité était plurielle, où les différences et leurs revendications se côtoyaient dans ces marginalités. Dans un univers où résister à la pression d’une politique et d’une philosophie de vie déshumanisantes amenait toutes les différences à s’accepter les unes les autres pour un combat de tous les jours destiné à la recherche d’une vraie liberté de vivre et de penser, d’aimer et d’être aimé.

Ce livre raconte la grande Histoire de la lutte Gay, entre autres, il est le récit d’une quête identitaire et initiatique, spirituelle et sexuelle. Avec un dessin extrêmement précis et personnel, Howard Cruse a signé un vrai document important de la société gay… A découvrir jusqu’en juillet dans une galerie bruxelloise, le Comic Art Factory !

Freddie Mercury (auteur : Alfonso Casas – éditeur : Paquet)

Avec ce livre-ci, les éditions Paquet peuvent donner l‘impression de surfer sur le succès cinématographique de ces derniers mois. Mais qu’on ne s’y trompe pas, on ne se trouve pas en présence d’un simple biopic, mais d’une analyse assez fouillée de l’œuvre de Freddie Mercury, illustrée de dessins qui rendent autant hommage à l’artiste qu’il était qu’au contenu de ses chansons et qu’aux combats libertaires que ces chansons représentaient.

Ce livre, ainsi, est destiné à tous les admirateurs de Mercury. Mais son intérêt réside aussi dans la façon dont son auteur dresse un portrait sans avoir l’air d’y toucher, en partant, d’abord et avant tout, de ce qu’était l’essence même de la vie de Mercury : la création, la musique, le spectacle. Et à ce titre, ce « Freddie Mercury » s’adresse vraiment à un public très large !

Les Petites Faveurs (auteure : Colleen Cover – éditeur : Glénat Porn’pop)

Graphiquement entre Wallace Wood et Lucques, voici un livre résolument érotico-pornographique, souriant, inventif, et parlant de femmes qui aiment les femmes, et destiné aux femmes, sans aucun doute ! Aux lesbiennes… Aux autres… Et, ma foi, aux hommes, aussi, désireux de découvrir que l’appartenance sexuelle d’un auteur (homme ou femme) influence d’évidence ses récits et les moteurs intimes qui les sous-tendent, mais n’influence en rien le talent. Et Colleen Coover n’en manque pas, de talent, sans aucun doute possible !

Annie, l’héroïne, n’a pas grand-chose à voir avec son aînée « Little Annie »… Dévergondée, adorant les amusements solitaires, elle se découvre soudain une conscience… Et une gardienne cosmique de sa conscience, la blonde Nibbil. Blonde, inventive, et charnellement torride!

Cela dit, quand on parle de conscience, c’est de conscience de désir, de plaisir, de jouissance, de rires heureux, de bonheurs partagé, de folies fantasmées qu’il s’agit, d’abord et avant tout! !

Oui, c’est une bd lesbienne et pornographique, une bd qui n’est pas sans rappeler que l’« Alice au pays des merveilles » chère à Disney ne manquait pas de symbolismes qui étaient tout sauf sages et bien-pensants !

Une lecture à réserver à un public adulte, donc, avec un dessin vif, enjoué, intelligent, des scénarios qui illustrent de l’amour toutes les fantaisies, voilà ce qu’offre ce livre étonnant aux qualités évidentes !

Une Belgian Pride… Trois bandes dessinées très différentes les unes des autres, qui mènent du militantisme à la biographie, en passant par le plaisir des sens… De quoi, simplement, comprendre par tout un chacun que l’homosexualité est une réalité aux mille talents…

Jacques Schraûwen

Fables Amères

Fables Amères

Chabouté, un auteur toujours exceptionnel !

Lire un album de Chabouté, c’est toujours un moment magique… Il est de ces dessinateurs, rares, qui ont un véritable « regard » sur le monde qui est le nôtre. Et les fables qu’il nous offre aujourd’hui sont d’une tranquille puissance !

Fables amères © Vents d’Ouest

Si on s’en réfère aux dictionnaires de toutes sortes, le mot fable couvre une réalité littéraire bien précise : il s’agit, en utilisant peu de place, de raconter une histoire qui décrit une réalité en y ajoutant une «morale», une «leçon».

A ce titre, même si les mots y sont peu présents, les courtes histoires dessinées de Chabouté sont profondément des fables. Des fables humanistes…


Fables amères © Vents d’Ouest

Chabouté est un magicien du dessin, un artiste qui, s’approchant au plus près des visages des personnages qu’il dessine, parvient, en quelques traits, à y graver des sensations, des sentiments variés et jamais caricaturaux.

J’ai presque envie de comparer ses fables à ce que faisait l’immense dessinateur d’humour noir Serre. Leurs styles graphiques, évidemment, n’ont rien de similaire. Mais les sujets traités, eux, sont proches, très proches même… Là où Serre traitait ces thèmes avec dérision et désespoir, en un dessin aux messages immédiats, Chabouté, lui, prend le temps de raconter le quotidien, et son traitement, dès lors, s’en fait tout aussi désespérant, mais avec des lueurs d’espérance que Serre n’avait pas.


Fables amères © Vents d’Ouest

Ce sont des fables amères, avec des « morales » tout en amertume, oui. Mais une amertume chargée de poésie. Une amertume qui, finalement, peut se savourer. Une amertume qui se nourrit d’abord de tendresse. Une amertume qui n’est que le signe d’une observation lucide de ce qu’est la vie qui nous entoure. Une amertume qui se transforme en sourires, parfois crispés, parfois éblouis, comme à la fin de la première fable de ce livre, qui nous dresse un portrait des ambiguïtés vécues par un militant d’extrême-droite.


Fables amères © Vents d’Ouest

Plus que des fables, toutes les courtes histoires présentes dans ce livre sont des chroniques. Chroniques de la haine ordinaire… de la bêtise intellectuelle… de la paresse irrespectueuse, de la pauvreté invisible, des rêves inaboutis, de l’indifférence narcissique, mais aussi de l’espérance culturelle et littéraire.

Chabouté se fait le chantre poétique et réaliste en même temps des différences entre les individus, différences raciales, sociales, culturelles, des handicaps présents aux quotidiens de nos balades à toutes et à tous. Chabouté fait, doucement, sereinement, œuvre de moraliste, oui, en nous décrivant une forme d’humour citadin, en nous poussant à dépasser les seules apparences, en pratiquant le dessin subjectif, comme en cinéma. Il nous dévoile une société, une civilisation qui se meurt par manque d’humanisme. Et, ce faisant, il nous ouvre les yeux, comme La Fontaine le faisait…


Fables amères © Vents d’Ouest

Ce n’est pas un livre muet, mais c’est un livre dans lequel les mots, quand il y en a, font plus partie du décor que du récit, que de ce que veut nous raconter et nous montrer Chabouté. Montrer… C’est le terme adéquat, je pense, pour ces fables amères qui, sans faux-fuyant et sans manichéisme sont un peu les miroirs de ce que nous vivons de jour en jour dans nos cités, dans nos rues, dans nos rencontres.

« Fables Amères » : un livre intelligent, un livre important, un livre à lire, à faire lire, à partager !….

Jacques Schraûwen

Fables Amères (auteur : Chabouté – éditeur : Vents d’Ouest)


Fables amères © Vents d’Ouest